Les otages, Mia, Tara et l’imposteur

Les otages d'Entebbé surveillés par Böse et Kuhlmann. DR

Les otages d’Entebbé surveillés
par Böse et Kuhlmann. DR

TERRORISME.- Le 27 juin 1976, l’Airbus du vol 139 d’Air France venant de Tel Aviv, quitte Athènes à destination de Paris. A bord, se trouvent quelque 250 passagers.  Peu après le décollage, le vol est détourné par quatre terroristes. Deux sont membres du Front populaire de libération de la Palestine et les deux autres -Wilfried Böse (Daniel Brühl) et Brigitte Kuhlmann (Rosamund Pike)- appartiennent aux Revolutionäre Zellen (RZ), une organisation de guérilla urbaine gauchiste active en Allemagne de l’Ouest. L’avion se pose à Benghazi en Libye où il demeure sept heures pour se réapprovisionner en carburant. Il repart ensuite pour atterrir sur l’aéroport international d’Entebbé en Ouganda. Rejoint par trois autres pirates, le commando demande la libération de 53 prisonniers pro-palestiniens détenus dans les prisons israéliennes mais aussi au Kenya, en France, en Suisse et en Allemagne. Le gouvernement israélien refuse d’abord de discuter avec les terroristes. Mais, à la suite de deux vagues de libération de passagers, Israël semble se laisser fléchir… Mais, dans le plus grand secret, Jérusalem prépare une imposante opération militaire destinée à libérer tous les otages restants…

Avec Otages à Entebbé (USA – 1h47. Dans les salles le 2 mai), le réalisateur brésilien José Padilha revient sur un détournement aérien et une opération militaire d’envergure que le cinéma et la télévision ont plusieurs fois abordé, ainsi Victoire à Entebbé (1976) avec dans les rôles principaux Anthony Hopkins, Burt Lancaster, Liz Taylor, Kirk Douglas, Mission Yonathan (1977), film israélien réalisé par Menahem Golan dans lequel Klaus Kinski incarnait Wilfried Böse ou encore, à la télévision, Raid sur Entebbé de l’Américain Irvin Kerschner… Connu pour avoir mis en scène Narcos (2015), la série Netflix consacrée à la traque de Pablo Escobar, Padilha signe un film d’action bien mené et soucieux de respecter, notamment en s’appuyant sur les témoignages de rescapés et de militaires de l’opération Tonnerre, avec la plus grande exactitude les événements d’Entebbé. Mais le film incorpore aussi des éléments métaphoriques dans son récit avec une chorégraphie interprétée par la troupe Batsheva qui, selon Padilha, « parle de la nécessité de se débarrasser de ses idées préconçues pour vivre en paix avec des gens différents de soi… »

Perès (à gauche) et Rabin (au centre) décident de l'action militaire. DR

Perès (à gauche) et Rabin (au centre)
décident de l’action militaire. DR

Otages à Entebbé met en exergue les dissensions entre les terroristes, la situation politique en Allemagne avec la mort d’Ulrike Meinhof, figure emblématique de la Fraction Armée Rouge ou encore la manière dont Idi Amin Dada, l’imprévisible président-dictateur d’Ouganda, s’est impliqué dans la gestion de la crise. Mais le film, en montrant largement les intenses débats qui animent le premier ministre israélien Yitzhak Rabin (Lior Ashkenazi) et son ministre de la Défense Shimon Perès (Eddie Marsan), questionne, en faisant le pont entre les sept jours de 1976 et la situation contemporaine, l’opposition de deux camps dominés par les prises de positions les plus radicales. Peut-être parce que chacune des deux populations vit constamment la peur au ventre… Dans la moiteur du terminal d’Entebbé, les otages tremblent constamment pour leur vie et on suit, avec intérêt, comment tout est mis en oeuvre pour les sortir de là…

Wen (Zhou Meijun) et Lily (Peng Jing), deux gamines victimes. DR

Wen (Zhou Meijun) et Lily (Peng Jing),
deux gamines victimes. DR

CHINE.- Dans une modeste station balnéaire chinoise, deux collégiennes sont agressées, dans un motel, par un homme d’âge mûr. Mia, la toute jeune employée qui travaillait, ce soir-là, à la réception est la seule témoin de faits qu’elle a aperçu grâce à une caméra de surveillance. Mais l’encore adolescente préfère ne rien dire par crainte de perdre son emploi. De son côté, Wen, 12 ans, l’une des victimes, comprend que ses problèmes ne font que commencer. Une avocate va se charger de révéler l’affaire au grand jour…

Une immense statue de Marilyn Monroe, dans la version robe blanche et bouche de chaleur de Sept ans de réflexion (1955), revient régulièrement dans Les anges portent du blanc (Chine – 1h47. Dans les salles le 2 mai), le nouveau film de Vivian Qu. Au moment où elle commençait à écrire son scénario, la cinéaste chinoise a vu, dans la presse, une photo d’ouvriers démontant une statue géante en robe blanche et, à côté, une jeune femme tenant une pancarte disant « Ne partez pas, Marilyn ». La scène se passait dans une bourgade du sud-ouest de la Chine où la statue avait été construite à des fins commerciales mais avait été démolie parce que la jupe volait trop haut. Plus d’un demi-siècle après le film de Billy Wilder, les luttes de Marilyn sont toujours d’actualité.

Mia, la réceptionniste (Wen Qi), un témoin muet. DR

Mia, la réceptionniste (Wen Qi),
un témoin muet. DR

D’abord productrice (son Black Coal a obtenu l’Ours d’or à la Berlinale 2014), Vivian Qu est venue à la réalisation. Les anges… est son second long-métrage dont elle dit: « C’est un histoire sur les femmes. A propos de la société qui façonne notre connaissance et nos valeurs. Des choix qui nous sont permis et du courage d’en faire d’autres. Sur les rôles interchangeables de la victime et du spectateur. A propos de vérité et de justice. Et surtout, à propos de l’amour. » De l’amour, pourtant, on n’en trouve guère dans le parcours des jeunes Wen et Lily. Car c’est dans une société placée sous le double signe de la violence et de l’argent que se débattent les personnages. Pour les femmes dépeintes par Vivian Qu, c’est surtout de survie dont il est question. Mais aussi du blanc qui, depuis les temps les plus anciens, est symbole de pureté, une pureté qui semble niée aux femmes du film. Autour d’un motel, d’une plage (où les mariés viennent se faire photographier) et d’un parc d’attractions à la dérive, la cinéaste pose un regard de témoin, à l’instar de celui de Mia, la réceptionniste, sur une société où la condition de la femme paraît singulièrement exécrable. Opposant des couleurs et des lumières volontiers éclatantes face à la noirceur de la situation, Vivian Qu livre aussi, avec ses Anges…, une oeuvre visuellement brillante.

Mark (Dominic Cooper) et Tara (Gemma Arterton). DR

Mark (Dominic Cooper)
et Tara (Gemma Arterton). DR

PRISONNIERE.- Lorsqu’elle se regarde dans son miroir, Tara Hainsworth a l’air désespérément triste. Elle s’applique machinalement des produits de beauté sur les pommettes et les lèvres. Mais rien n’y fait. Dans la banlieue de Londres, cette jeune mère passe ses journées à s’occuper de ses deux enfants, à faire les courses au supermarché voisin, à ranger sa jolie maison. Mark, son mari, est un cadre qui constate: « Mais on a de la chance, non? Tout le monde n’a pas ça! » Sans doute mais Tara ne supporte plus cette vie calme dépourvue d’intérêt. Parfois, elle a vraiment le sentiment que l’air lui manque. Alors que Mark lui fait volontiers l’amour et qu’elle pleure en cachette en attendant que ça passe, Tara murmure: « Je ne suis pas heureuse ». Tandis qu’elle rêve de suivre des cours d’art, elle commence à se promener dans Londres, flâne sur les ponts, achète La dame à la licorne chez un bouquiniste… Lorsqu’elle confesse son désarroi grandissant à Mark, celui-ci ne comprend pas ses nouvelles envies. Un jour, n’y tenant plus, Tara saute dans l’Eurostar et part pour Paris. Au musée de Cluny, elle admire la magnifique Dame à la licorne lorsqu’un homme la prend en photo…

C’en en rencontrant la comédienne Gemma Arterton en 2016 que le cinéaste anglais Dominic Savage a commencé à imaginer le scénario d’Une femme heureuse (Grande-Bretagne – 1h45. Dans les salles le 25 avril). De discussions en échanges avec l’actrice, est né un scénario qui dresse le portrait intimiste d’une femme mariée qui se sent enfermée dans son rôle de mère au foyer, qui ressent une profonde dépression et aspire à s’épanouir.

Tara et Philippe (Jalil Lespert). DR

Tara et Philippe (Jalil Lespert). DR

Tourné à Gravesend, la ville natale de la comédienne et construit pour laisser une place importante à l’improvisation des acteurs et à en retirer une dynamique libératrice et créatrice, The Escape (en v.o.) observe, à la manière d’un entomologiste, une femme en train de se débattre -silencieusement et intérieurement- dans une période terrible de son existence. Dominic Savage réussit à capter l’attention et l’empathie du spectateur pour un personnage qui paraît parfois littéralement s’asphyxier comme un poisson hors de l’eau. Bien sûr, l’échappée parisienne et la rencontre de Philippe (Jalil Lespert) peut sembler un cliché façon « brève rencontre » mais, à travers Anna (incarnée par Marthe Keller), le parcours de Tara va encore évoluer. On connaît un certain nombre de films sur des couples en désespérance mais Une femme heureuse mérite le détour dans sa manière d’être toujours au plus près de Tara. Evidemment, le film doit beaucoup au jeu de l’excellente Gemma Arterton. Remarquée comme agent du MI6 au côté de Daniel -007- Craig dans Quantum of Solace (2008), l’actrice a été révélée au grand public français dans Tamara Drewe (2010) de Stephen Frears où son charme pétillant faisait merveille et dans Gemma Bovery (2014) d’Anne Fontaine, variation sur Madame Bovary, où elle faisait perdre pied à Fabrice Luchini en boulanger normand… Ici, Gemma Arterton emporte l’adhésion dans la gravité douloureuse…

Marie (Paula Ber) et Georg (Franz Rogowski). DR

Marie (Paula Ber) et Georg (Franz Rogowski). DR

SOLITUDE.- De nos jours, à Marseille, des réfugiés de l’Europe entière rêvent d’embarquer pour l’Amérique, fuyant les forces d’occupation fascistes. A Paris, une vague connaissance a remis à Georg, un Allemand solitaire et taiseux, deux lettres qu’il doit remettre à Weidel, un écrivain qui séjourne à l’hôtel Ryad. Lorsque Georg arrive à l’hôtel, l’écrivain s’est donné la mort. Georg récupère son passeport, conserve les deux lettres et emporte un manuscrit intitulé Les rescapés. Prenant l’identité de l’écrivain mort, Georg est décidé à se servir de son visa pour rejoindre le Mexique. A Marseille, l’Allemand réussit à échapper à des rafles de la police. Il rencontre Driss, un gamin qui aime le football et Mélissa, sa mère sourde et muette. Il croise aussi à plusieurs reprises une jeune femme belle et mystérieuse…

C’est grâce au cinéaste Harun Farocki (1944-2014) auquel Transit (Allemagne – 1h40. Dans les salles le 25 avril) est dédié, que Christian Petzold a découvert le roman éponyme d’Anna Seghers, femme de lettres allemande juive et communiste, publié pour la première fois en 1944. Après René Allio qui en fit une adaptation réaliste en 1990, le cinéaste allemand s’empare à son tour de cette histoire pour en tirer une oeuvre à la fois complexe, kafkaïenne, fantastique et envoûtante. Car, s’il est, ici, question de forces d’occupation, de purges et de personnes raflées enfermées dans un… vélodrome, l’action se déroule à Paris et surtout à Marseille, dans des lieux apparemment contemporains.  lorsqu’une rafle se produit, ce sont des véhicules de la police française et des fonctionnaires vêtus de tenues d’aujourd’hui qui entrent en action…

Georg et Driss (Lilien Batman). DR

Georg et Driss (Lilien Batman). DR

Dans un premier temps, Transit devait se dérouler en 1940, à l’instar du livre de Seghers mais Petzold n’avait guère d’intérêt pour un film historique: « J’avais simplement essayé de me représenter ce que cela donnerait si je montrais les mouvements des réfugiés dans la Marseille d’aujourd’hui, mais sans les problématiser. Et cela ne me gênait pas du tout. Et ça me dérangeait que cela ne me dérange pas. Cela voulait dire pour moi que les tentatives de fuite, les angoisses, les traumatismes, les histoires des gens qui étaient coincés à Marseille il y a 70 ans sont immédiatement compréhensibles. Elles n’ont absolument pas besoin d’explications. » Alors que la question des migrants d’aujourd’hui en Europe entre constamment en résonance avec le film, Transit, filmé dans un beau cinémascope, devient cependant une aventure beaucoup plus complète et foncièrement étrange où un imposteur construit un réseau entre des personnages dont le sort lui importe plus que tout et qui vont pourtant l’amener à faire des choix tragiques. Il en va ainsi de Driss qui sait que… les goals allemands sont bons et bien sûr de la fantomatique Marie qui croise régulièrement un Georg qui va tomber sous son charme et tout faire pour lui permettre de prendre la fuite. Dans ce récit, raconté en voix off par un narrateur (Jean-Pierre Darroussin), Georg, l’écrivain imposteur, semble presqu’apaisé dans un monde en panique habité d’agités et d’angoissés. Mais il a tout loisir aussi de questionner ce silence des autres que, seule, explique la honte. Le réalisateur des remarquables Barbara (2012) et Phoenix (2014) confie, ici, deux singuliers personnages à Paula Beer, vue dans Frantz (2016) de François Ozon et surtout à Franz Rogowski (Georg) remarqué chez Haneke (Happy End en 2017) et qu’on verra, à la mi-août, en tête d’affiche dans l’excellent In den Gängen

 

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