Godard, la guerre et Roxy le chien

Bon voilà, je me suis fait avoir… C’était hier à la sortie du Dardenne. Qui a fait, au passage, un tabac lors de sa présentation en séance de gala. Ca sent bon, la Palme, ça ? Donc, on sort de l’auditorium Lumière et là, un mur de caméras et de confrères qui tendent le micro. Habituellement, je dis non merci. Fort de l’expérience déjà lointaine mais cuisante de ma collègue Marie-Aimée, critique à La Charente libre. Elle sortait, toute retournée, de « Trouble every day », le film de Claire Denis dans lequel la vampirique Béatrice Dalle était couverte de sang. C’était en 2001. On lui met un micro sous le nez et elle dit: « Terrible! ». Pendant toute la journée, son « Terrible » a tourné en boucle sur le circuit interne de télévision du palais… Mais voilà, comme c’était un vieux routier de Cannes, l’ami Hugues Dayez de la Radio Télévision belge, je me suis arrêté. En fait, je ne sais plus que j’ai dit mais je ne pense pas avoir employé le mot « terrible ». Je me souviens juste qu’Hugues a posé in fine la seule (?) question qui intéresse tous les Belges: « C’est la Palme d’or? »

Ce matin, il y avait de nouveau le mur de caméras et de micros. C’est désormais une habitude pour tous les films de la compétition. Là, j’ai redit non merci. Pas envie de me retrouver à m’expliquer devant une caméra de la télévision russe. Parce que les Russes, dans « The Search » de Michel Hazanavicius, ils ne sont pas vraiment à leur avantage. Le réalisateur du très fêté « The Artist » change complètement son fusil, c’est le cas de le dire, d’épaule. Après les claquettes des belles et nostalgiques heures du muet, voici les claquements des AK-47 lors de la seconde guerre de Tchétchénie, en 1999.

En faisant le pari de mêler le romanesque et le réalisme, Hazanavicius revendique clairement le grand mélo pour raconter les destins croisés de quatre personnages happés par la tourmente guerrière. Voici donc Hadji, 9 ans, qui a vu ses deux parents abattus et qui fuit dans le flot des réfugiés, Raïssa, sa grande soeur, qui le cherche partout parmi les civils en exode, Carole (Bérénice Béjo) une chargée de mission de l’Union européenne qui récupère Hadji et enfin Kolia, un jeune Russe de 19 ans, petit fumeur de shit, arrêté à Perm et qui, enrôlé dans l’armée, va basculer dans l’horreur.

Le travail sur l’image, grise et terne comme celle que l’on vit aux infos, est remarquable, celui sur les décors (le tournage a eu lieu en Géorgie) aussi. Ensuite, il fait accepter ce choix du mélo, notamment dans la relation entre Carole et Hadji, le gamin longtemps mutique et au regard aussi triste qu’accusateur. On a cru voir dans le noir de la salle quelques-uns essuyer furtivement une larme. Hazanavicius rapportait qu’une amie rwandaise rescapée du génocide, lui avait écrit: « Encore plus que des documentaires, il faudrait de vrais films avec des histoires pour que les gens sachent ce qui se passe et soient touchés ». Avec « The Search » (dans les salles le 26 novembre prochain), Hazanavicius l’a fait.

Raconter des histoires n’est plus, depuis longtemps, le but de Jean-Luc Godard. Ils sont loin les récits qu’étaient « A bout de souffle » ou « Le mépris ». Aujourd’hui, JLG est plus peintre/philosophe que cinéaste. La texture du film devient sa palette, le son une matière qu’il déstructure avec génie, mêlant Beethoven, Sibelius, le bruit du vent ou de la guerre, les aboiements d’un chien ou les cris d’un bébé. Présenté en compétition mais sans le maître dans la salle, « Adieu au langage » (ou encore « Ah Dieux Oh langage »)  est un collage virevoltant et fascinant où se mêlent la télévision, les portables, l’amour, le sexe, la mort, Jacques Ellul, l’homme qui a (presque) tout compris, Hitler, le livre, Soljenitsine, la crise, Machiavel, le Tour de France, la nature et la métaphore, le cinéma en noir et blanc, Nicolas de Staël, Monet (« Ne pas peindre ce qu’on voit puisqu’on ne voit rien mais peindre ce qu’on ne voit pas »). Il y a aussi Roxy le chien, une inquiétude douloureuse et la certitude que « tous ceux qui manquent d’imagination se réfugient dans la réalité ». On disait hier que Godard est plus intéressant à écouter qu’à regarder. On révise ce jugement à l’aune d' »Adieu au langage ». Avec, en prime, la plus malicieuse, la plus drolatique utilisation de la 3D qui soit. Depuis sa Suisse romande, Godard devait jubiler à l’idée d’une salle immense peuplée de chouettes à grosses lunettes rouges. « Godard for ever », comme l’a crié un fan dans le noir cannois?

A la rubrique people, Pierre David, un cinéphile mulhousien, a réussi à se glisser dans la fête donnée en début de semaine à l’occasion de « Welcome to New York ». Où les invités ont reçu… un peignoir de bain. Avec lequel ils pouvaient poser, sur un divan, pour une photo-souvenir. Au-delà de l’élégance du cadeau et du bon goût de la chose, on pense que les peignoirs devraient faire le bonheur des collectionneurs. Alors qu’il quittait la soirée, notre ami a déjà eu une offre à 50 euros. Qui dit mieux?

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