Le dancing de Jimmy et la maman de Steve

CANNES.- Raoul est toujours au rendez-vous! Seuls les vieux de la vieille savent qui est Raoul, en l’occurrence Raoul Mille (1941-2012), journaliste à Nice-Matin et écrivain, lauréat en 1987 du prix Interallié pour « Les amants du paradis ». Dans les années 80, Raoul était un fidèle du festival. En retard à la projection, il arriva, un soir, dans le noir. Un ami l’appela d’un sonore « Raoul! » Depuis, « Raoul », lancé par un confrère anonyme à l’instant où les lumières s’éteignent dans l’auditorium Debussy, est devenu une sorte de cri de ralliement des cinéphiles. Les initiés sourient, nostalgiques. Les profanes se renseignent…

Désormais, le festival tire à sa fin et il est justifié de se poser la question de la Palme d’or… On a vu, en tout cas, coup sur coup, deux jolis concurrents à la récompense suprême. D’abord ce matin, l’Anglais Ken Loach, déjà titulaire d’une Palme acquise en 2006 pour « Le vent se lève ». A 77 ans, Loach n’est pas le vétéran de la Croisette. Jean-Luc Godard, 83 ans, le bat d’une poignée d’années. Mais force est de constater que les papys tiennent la rampe. JLG et son « Adieu au langage » est un ravissement de cinéma. « Jimmy’s Hall » prouve que l’engagement politique de l’auteur de « Land of Freedom » est intact. Après un exil de dix ans aux USA, Jimmy Gralton revient, en 1932, dans son Irlande natale. Soucieux de vivre paisiblement dans la ferme de sa vieille mère, il accepte pourtant de rouvrir un vieux dancing, le Hall, où l’on peut discuter, chanter, danser, s’instruire. Mais l’église et les propriétaires terriens, vieux ennemis de Jimmy, sont décidés à lui faire rendre gorge.

« Si Jimmy vivait aujourd’hui, dit Loach, il dénoncerait le néolibéralisme et s’attaquerait aux multinationales qui contrôlent pratiquement tout. » Le propos de Loach est toujours militant mais il se patine, ici, de tendresse et surtout de complexité. Ainsi le père Sheridan, adversaire déterminé de Jimmy, n’est pas une caricature. Si, en chaire, ce prêtre fustige l' »engouement pour le plaisir » et déroule la liste nominative de ceux qui fréquentent le dancing,  il  reconnait le courage de Jimmy et mesure l’espoir qu’il soulève. Ce qui le rend d’autant plus dangereux…

Et quand on demande à Loach pourquoi il a eu envie de raconter l’aventure de Jimmy, il explique que cette histoire remet en cause l’idée que la Gauche est moribonde, déprimante et hostile à l’humour, au plaisir et à la fête. Si tu le dis, Ken…

Si les vieux ont du métier, les jeunes aussi… En tout cas, le prodige québecois Xavier Dolan. A 25 ans et avec déjà quatre longs-métrages à son actif, il a bluffé le festival avec « Mommy », cinquième long qui entre enfin dans la cour des grands de la compétition officielle. Dolan a déjà traité d’adolescence, de séquestration et de transsexualisme, d’ostracisme et d’homophobie. Tourné dans le format inhabituel de 1:1, un quadrilatère qui encadre les visages, « Mommy », avec une bande-son souvent tonitruante, est un long chant d’amour du cinéaste à sa mère et à LA mère en général. Un film sous tension, baigné de lumière et, paradoxalement, très sombre puisqu’il dresse le portrait d’un adolescent impulsif, imprévisible et violent cherchant l’équilibre entre sa mère et une voisine.

La pluie qu’aime tant Ken Loach (il s’en est réjoui à son arrivée au palais), n’a pas fait l’affaire de ceux qui voulaient se régaler sur le coup de 13h, d’un aïoli. C’est une tradition cannoise: tous les ans, au coeur du village historique du Suquet, le maire invite les festivaliers à un moment de convivialité provençale. Parce que la pluie d’orage trempait la Croisette, l’aïoli municipal est tombé à l’eau… Heureusement, on avait eu l’occasion de déguster une cuisine de soleil chez Christophe Patenotte. Mulhousien d’origine, il a travaillé dix années durant au Martinez aux côtés du chef Christian Willer, autre Haut-Rhinois bon teint. Christophe a quitté le palace du bout de la Croisette en même temps que Willer partait à la retraite. Depuis octobre 2007, il dirige les cuisines du Voilier, une belle brasserie-restaurant lovée sous le Carlton et ouvrant sur la mer, où il mitonne un excellent pageot sauvage qui lui vient directement du port de Sète…

A la pointe du « Voilier » où il assure avec son équipe, pendant le Festival, une moyenne de 500 couverts par jour, Christophe Patenotte, même s’il n’a guère le temps de voir des films, est un observateur privilégié de la Croisette. « Chez nous, le Festival du film, c’est souvent une salade César et une carafe d’eau. » Car si les festivaliers sont bien au rendez-vous, ils restent moins longtemps et ils dépensent plutôt modestement. Rien à voir avec certains congrès où le liquide est plus important que le solide. « C’est bon pour le business. » Tout comme le mois de juin où l’on voit arriver Allemands et Néerlandais dont le budget vacances est plus conséquent… Quant à l’été, les affaires tournent. « Août, c’est le défilé des Ferrari, des Lamborghini, des Bugatti Veyron. C’est le temps des gens du Qatar ou de Dubaï. Eux, c’est hamburger, spaghetti milanaise et filet de boeuf bien cuit… » En souriant, le désormais barbu Christophe raconte encore les fêtes de fin d’année et les belle Transalpines en vison: « C’est l’heure des commerçants italiens qui viennent dépenser les excédents de leurs affaires… »

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