Ovide, ses dieux et ses mortels

Y a-t-il une certaine ironie chez le distributeur de Métamophoses qui sort son film le mercredi de la rentrée des classes? De fait, il nous renvoie directement à nos jeunes années de collégien quand les versions d’Ovide faisaient l’ordinaire de nos cours de latin. Pourtant pas d’actualité autour du poète latin né à Rome en 43 avant J.-C. et mort en exil en Dacie, l’actuelle Roumanie, en 17 après J.-C. Si Christophe Honoré s’est emparé de l’oeuvre d’Ovide, c’est, dit-il, parce qu’il aime à construire sa dernière oeuvre contre les précédentes. Fi du romanesque, ici, exit les personnages au sens traditionnel du terme. On ne reconnaîtra donc pas, dans Métamorphoses, le cinéaste de Dans Paris (2006), Les chansons d’amour (2007) ou Les bien-aimés (2011) sinon peut-être dans une double quête de la beauté poétique et des mythes fondateurs de notre société…

Car, dans cette fresque à la fois bucolique et « péri-urbaine », on croise Jupiter, Mercure, Pan, Orphée, Diane, Vénus, Hermaphrodite, Tirésias, Narcisse ou Bacchus, autant de noms qui disent bien quelque chose à nos oreilles de civilisés occidentaux tant les mythes sont des histoires connues de tous.  En prenant à bras-le-corps une oeuvre énorme, Christophe Honoré avait en effet l’envie de fabriquer un nouveau récit, une nouvelle manière aussi de montrer les corps, le tout dans un film sensuel, séduisant et hédoniste. Loin des brisées rationnelles ou réalistes du cinéma français, Honoré s’aventure sur un terrain instable, inconnu. Métamorphoses s’avance sur une corde raide entre le ridicule et le grotesque. Et réussit, sans surenchère dans les effets spéciaux, le pari de créer de la beauté tout en se proposant de dire et de montrer que ces mythes sont les soubassements, même parfois inconscients, de la société actuelle…

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Amira Akili. DR

Les Métamorphoses d’Ovide, à la fois contes et encyclopédie, ce sont 11.995 vers réunis dans quinze livres! Christophe Honoré y a puisé une vingtaine d’histoires pour construire une ligne narrative et raconter, en un prologue et trois chapitres, la confrontation entre les dieux et les mortels. Voici d’abord, en bordure d’autoroute, un chasseur transformé en cervidé… Et puis l’aventure s’ouvre lorsqu’un camionneur, au bord d’un semi-remorque rouge, enlève une lycéenne à la porte de son établissement. Lui, c’est tout bonnement Jupiter, elle c’est Europe. Dans les herbes folles, Jupiter aimera Europe. « Je te kidnappe » lui dit-il. « Tu me sauves » lui répond-elle. Et Jupiter d’interroger: « Tu as compris qui j’étais? » L’innocence originelle d’Europe se fond alors dans une initiation sensuelle au cours de laquelle elle va, successivement, rencontrer Bacchus puis Orphée. Avec le premier, le plus redoutable et le plus doux des dieux, Europe expérimente la question de la croyance. « Il faut croire aux dieux » dit le fils de Jupiter. Sinon? Plus tard, Europe ira dans le sillage d’un Orphée prosélyte et prophète…

Avec Métamorphoses, le cinéaste confronte aussi ces récits mythiques à la France telle qu’il pourrait la filmer aujourd’hui. C’est donc entre les cités, les grandes surfaces, les autoroutes mais aussi du côté de la nature la plus sauvage et la plus belle que le film déroule son fil poétique. On trouve encore des traces de nature aux abords de la ville tandis que les forêts et les étendues d’eau deviennent le territoire naturel des contes. C’est ainsi en peuplier et en érable que se transforment Philémon et Baucis qui, au seuil de leur âge, voulaient absolument disparaître ensemble.  Quant à Europe (Amira Akili), même si elle choisit les dieux plutôt que sa cité, elle devient aussi, en tant que jeune beurette, une manière de trait d’union méditerranéen entre les mythes anciens et la société française d’aujourd’hui…

Parce que la connaissance des dieux passe aussi par la rencontre charnelle, Métamorphoses est un film où la nudité est joyeuse et bucolique. Si parfois, on peut penser à Bruno Dumont et à sa façon frontale de filmer la nudité (La vie de Jésus, L’humanité), c’est bien sûr Pasolini qui vient rapidement à l’esprit, notamment pour son regard sur le rapport entre les corps et la nature. Et puis en voyant les beaux dieux barbus et frisés de Métamorphoses, on songe aussi aux personnages toniques et délurés d’un Décaméron revisité par le même Pasolini… On remarquera aussi qu’Honoré a choisi, ici, de ne retenir que des comédiens nouveaux-venus dont les visages nous sont inconnus et qui apportent de la sorte une fraîcheur bienvenue…

Dans une belle nature (que Christophe Honoré a trouvé notamment du côté de Nîmes, de Montpellier et d’Avignon), Europe entreprend un voyage de merveilles en merveilles. Elle écrit: « Je veux vivre une histoire ». On peut emprunter ses pas et la vivre avec elle. En se réjouissant aussi de voir comment les cent yeux arrachés d’Argus deviennent les ocelles du paon…

METAMORPHOSES Comédie dramatique (France – 1h42) de Christophe Honoré avec Amira Akili, Sébastien Hirel, Mélodie Richard, Damien Chapelle, George Babluani, Mathis Lebrun, Samantha Avrillaud, Coralie Rouet. Sortie en salles le 3 septembre.

 

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