Un désir si puissant…

Depuis que François Ozon fait du cinéma, il dérange… Encore tout récemment avec Jeune et jolie, présenté en compétition à Cannes 2013, il se faisait traiter de… « machiste » pour une histoire de presqu’adolescente cherchant dans la prostitution un sens à sa jeune existence. Et que dire de ses débuts dans le long-métrage! En 1998, il signait Sitcom,  charge hargneuse contre la famille et surtout contre une mère (elle devait bien un peu ressembler à la sienne) qui crispa les spectateurs… Si on fait, ici, référence à ces deux films, c’est que l’un comme l’autre reposent sur des thèmes récurrents chez Ozon: la question de la famille, la question du désir.

Donc, avec Une nouvelle amie, librement inspiré d’une courte nouvelle de la Britannique Ruth Rendell, Ozon dérange encore… Voilà en effet l’histoire de Claire, une jeune femme qui va être attirée par une autre femme mais qui est un homme. C’est sous le signe du deuil que s’ouvre Une nouvelle amie. Claire et Laura étaient amies depuis leur plus jeune âge. Un jour, Laura a épousé David tandis que Claire se mariait avec Gilles. Il y avait du bonheur dans l’air d’autant que Laura donnait naissance à une petite fille. Hélas, Laura allait mourir, laissant son mari et son amie dans un profond désarroi. Et puis un jour, Claire va voir comment David se tire d’affaire avec le bébé. En poussant la porte, Claire découvre une femme blonde donnant le biberon à l’enfant. Mais cette femme n’est autre que… David.

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Anaïs Demoustier et Romain Duris. DR

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Anaïs Demoustier et Raphaël Personnaz. DR

Alors que l’actualité est au mariage pour tous, au questionnement sur le transgenre, on pourrait se dire que le cinéaste s’offre à bon compte un film dans le vent. C’est faux. D’abord parce qu’Ozon inscrit Une nouvelle amie dans un univers qui tourne complètement le dos au réalisme. Comme il le fit pour Huit femmes ou Dans la maison, Ozon installe une atmosphère qui est celle du conte de fées. D’ailleurs lorsque Claire pousse la porte de la maison de David, glisse la tête et demande: « Il y a quelqu’un? », elle bascule dans un autre monde. Où soudain, elle va perdre ses certitudes et découvrir, au prix de la peur et des mensonges , des vertiges inattendus. Claire est une observatrice, d’abord quelque peu outrée, d’événements qui la surprennent et la perturbent. D’ailleurs, Ozon filme régulièrement ses grands yeux effrayés lorsqu’elle découvre un hors-champ (peut-être) dévastateur…

En choisissant d’assumer le mélodrame (Ozon fait volontiers référence aux oeuvres de Douglas Sirk), le cinéaste glisse aussi du deuil dramatique du début du film à une manière de légèreté, voire de plaisir lorsque David devenu Virginia et Claire se consolent mutuellement et se font du bien… En regardant David/Virginia essayer des robes ou choisir des cosmétiques, on est à la fois troublé et ému par une innocence joyeuse. Car c’est finalement Claire qui est le personnage le plus névrotique, le plus torturé de cette relation. Si elle traite d’abord David de « pervers », c’est bien elle qui commence à perdre pied entre le désir de David et son propre désir pour Virginia… D’ailleurs, la séquence, elle réaliste, de la boîte de nuit gay, est le coeur du film. Le couple « anormal » composé de Claire et de Virginia est, ici, accepté. Virginia pleure en écoutant un artiste transformiste chanter « Une femme avec toi » de Nicole Croisille tandis que Claire fait face, avec un sourire, à ses tentations saphiques.

Et puis Une nouvelle amie est aussi une belle variation sur le travestissement. Billy Wilder en fut l’un des maîtres et son Certains l’aiment chaud est un must du genre. D’autant plus que, comme dans le film d’Ozon, les personnages se travestissent non par désir personnel mais sous la contrainte extérieure… Bien sûr, David, désireux de faire croire à son bébé qu’il est entre les mains d’une « mère », finira par assumer son désir d’être une femme.

Une nouvelle amie (qui souffre d’un petit coup de mou dans sa dernière demi-heure) doit beaucoup à ses comédiens. Romain Duris est étonnant. Il réussit constamment le juste dosage entre une féminité surjouée, un retour à David et enfin une féminité vraie, voire épanouie. Quant à la rousse Anaïs Demoustier, elle est magnifiquement troublante parce que le personnage qui s’accomplit, ici, en femme, c’est bien elle!

Avec Une nouvelle amie, François Ozon parle de la différence et des préjugés, de l’étrangeté de l’autre, de son identité par-delà le masculin et le féminin. Et le spectateur, lui, se demande, en passant de la surprise à la tendresse, quand ces deux-là vont se rendre compte qu’ils sont attirés l’un par l’autre et quand ils vont arrêter de se mentir sur leurs sentiments. Car Une nouvelle amie est tout simplement un film d’amour.

UNE NOUVELLE AMIE Comédie dramatique (France – 1h47) de François Ozon avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz, Isild Le Beso, Aurore Clément, Jean-Claude Bolle Reddat. Dans les salles le 5 novembre.

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