La philo des grandes plaines

Méditations westernosophiques

Mais où la philosophie va-t-elle donc se nicher! Au creux, qui l’eut cru, des mesas de Monument Valley, dans les plis des cache-poussière des aventuriers d’Il était une fois dans l’Ouest ou dans la rue droite du Train sifflera trois fois… Ainsi donc le western ne serait ni plus, ni moins qu’une branche de la philosophie! Spinoza et Kant qui n’ont jamais vu L’homme qui tua Liberty Valance, doivent se retourner dans leur tombe… Mais si leur venait l’excellente idée de lire Méditations westernosophiques, ils seraient assurément, eux aussi, sous le charme des vastes plaines de la Frontier.

Car Marc Rosmini est autant passeur que flâneur. Agrégé de philosophie, il est tombé, enfant, dans la marmite de ces films de cow-boys et d’Indiens dont on nous dit aujourd’hui qu’ils n’ont plus l’heur de plaire à ceux qui fréquentent les salles obscures. En westernosophant et en démontrant que le western est bien vivant, Rosmini pratique le coq-à-l’âne, le détour, le tête-à-queue, toutes les figures de l’égarement pour in fine amener le lecteur à se laisser surprendre par la façon dont chaque film résiste à l’analyse.

Justement parce qu’il y a des forces vives dans le western, l’auteur a choisi, comme têtes de chapitre, des films postérieurs à 1980. Il ouvre le feu avec La dernière piste (2011) de Kelly Reichardt où une petite troupe d’émigrés s’égare dans des espaces inhospitaliers dont Meek, un aventurier incompétent ne les sortira pas. L’occasion de… s’égarer dans une oeuvre comme on se perd dans le désert et de plonger dans l’incertitude en jouant, notamment, sur la frontière floue qui sépare les choses et les signes. Dans le chapitre consacré à Impitoyable (1992) de Clint Eastwood, Rosmini questionne le vrai et le faux, la véracité de l’image cinématographique et la capacité qu’a le western de construire et de déconstruire des illusions et des mythes. Avec les pages autour de Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino, le westernosophe réunit deux belles figures, celle de Platon et de Sergio Leone. Outre une barbe, ils partagent la particularité d’avoir directement ou indirectement, changé le cours d’un champ de la culture, la philo pour l’un, le western pour l’autre. Avec le cinéaste de Pour une poignée de dollars, on mesure que le sujet du western classique, c’est la conquête de l’Ouest et que, pour le western léonien (avec son formalisme à tendance maniériste), c’est le western lui-même. Rosmini écrit encore: « Anomique et purement immanent, l’univers de Léone se caractérise par l’absence de transcendance et par un brouillage permanent des limites entre le bien et le mal… »

Danse avec les loups (1990) de Kevin Costner, Trois enterrements (2005) de Tommy Lee Jones, Dead Man (1990) de Jim Jarmush sont encore passés au crible du questionnement philosophique en se se souvenant que l’ascétique et austère Ludwig Wittgenstein considérait que la fréquentation des westerns lui faisait « l’effet d’une bonne douche ».

Si on ne peut jamais être sûr d’avoir compris un film, dit Rosmini, il invite de manière très stimulante à aborder, par l’analyse conceptuelle, de mémorables séquences de l’histoire du western et du cinéma en général. Et on se réjouit encore d’avoir retrouvé l’aimable Marilyn Monroe et son souffle chantant dans la spirale mouvante et ambivalente conçue par Preminger dans la Rivière sans retour

MEDITATIONS WESTERNOSOPHIQUES. Marc Rosmini. Médiapop Editions.223 p., 15 €.

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