Dalton Trumbo, un artiste debout

Dalton Trumbo (Bryan Cranston), un scénariste prolifique. DR

Dalton Trumbo (Bryan Cranston),
un scénariste prolifique. DR

« Etes-vous encore ou avez-vous été membre du Parti communiste? » La question a été posée, en 1947, à un certain nombre de professionnels du cinéma américain par la Commission des activités anti-américaines. L’Amérique vivait alors les heures noires du maccarthysme. La peur de la menace communiste atteignait des sommets sans précédent et il s’agissait de traquer les déviants infiltrés dans les studios d’Hollywood pour y semer d’intolérables idées rouges…

Cette traque politique donna naissance à la tristement fameuse liste des Dix d’Hollywood, en l’occurrence les dix membres de l’industrie du cinéma qui refusèrent de témoigner devant la commission de Washington en invoquant le premier amendement de la constitution, c’est-à-dire le droit à la liberté d’expression et de réunion. Parmi ces Hollywood Ten, il y a essentiellement des scénaristes dont Albert Maltz, Ring Lardner Jr ou Samuel Ornitz. Mais le plus célèbre d’entre eux était assurément Dalton Trumbo. Auteur du roman Johnny Got His Gun dès 1938 (qu’il mit en scène en 1971), réputé pour sa vitesse d’écriture -il était capable, dans la même journée, de donner trois ou quatre versions différentes d’une scène- Dalton Trumbo était, à la fin des années quarante, l’un des scénaristes les plus payés d’Hollywood…

En plongeant dans cette période sinistre pour les libertés individuelles, on pouvait faire un film historico-pesant soucieux de bonne reconstitution et de discours du genre: Attention, rien n’est fini et aujourd’hui, il y a toujours des personnes qui sont persécutées à cause de leurs convictions. Ce qui, au demeurant, est vrai mais ne fait pas forcément un bon film. Or Dalton Trumbo est un excellent film!

Helen Mirren incarne une Hedda Hopper très anti-communiste. DR

Helen Mirren incarne une Hedda Hopper
très anti-communiste. DR

Connu pour sa série Mon beau-père et moi (avec Ben Stiller et Robert de Niro), on n’attendait pas Jay Roach aussi inspiré. Mais sans doute que le beau personnage de Dalton Trumbo a tiré tout le monde vers le haut. Car ce biopic (découvert en avant-première lors des 20e Rencontres du cinéma de Gérardmer) repose sur l’évocation d’une période tourmentée à travers une trajectoire personnelle, celle d’un romancier, scénariste et réalisateur hors du commun. Dalton Trumbo (1905-1976) était en effet un artiste d’une grande complexité. Prolifique et irascible, doué et agaçant, charismatique et agressif, loyal et soupe-au-lait, communiste et capitaliste, ce patriote qui aimait son pays fut, injustement, accusé d’être un traître à la patrie.

Comment Dalton Trumbo, placé sur la Liste noire des infréquentables, va-t-il réussir à contourner une interdiction de travailler qui le frappera pendant treize années et lui vaudra d’être emprisonné pendant onze mois dans un pénitencier? C’est tout l’intérêt et  le charme de ce film enlevé, bien écrit et… divertissant. Mais oui! Car Dalton Trumbo, en sacrifiant sa carrière au nom d’une cause qu’il pensait juste et en menant le long combat pour sa réhabilitation, n’a jamais cessé… d’écrire. Mieux encore, à deux reprises, il remportera l’Oscar de la meilleure histoire originale! La première fois, en 1954, pour Vacances romaines de William Wyler sous le prête-nom de Ian Lellan Mc Hunter et la seconde, en 1957, pour Les clameurs se sont tues d’Irving Rapper, cette fois sous le nom d’emprunt de Robert Rich…

Frank King (John Goodman), tonitruant producteur de séries B. DR

Frank King (John Goodman),
tonitruant producteur de séries B. DR

Autant de récompenses qui valaient pied-de-nez à ceux qui voulaient purger Hollywood des rouges. Parmi ceux-ci, Jay Roach brosse le portrait au vitriol de la reine du potin Hedda Hopper, chroniqueuse mondaine redoutée jusque dans les hautes sphères des studios. Anti-communiste primaire mais peut-être sincère, cette femme aux chapeaux extravagants (Helen Mirren est magnifique en grande méchante) vouait une haine tenace à Trumbo. Un peu moins violent, le film donne aussi à voir John Wayne (le comédien David James Elliott est crédible) en défenseur, un rien primaire, des valeurs morales américaines. Son échange avec Trumbo qui lui demande dans quelle arme, il a servi pendant la guerre, est savoureux..

Comme est délicieux, le passage où Trumbo, pour survivre, accepte de travailler pour les frères King, producteurs de solides navets de série B. En bons marchands de soupe, ils exploitent un scénariste irrésistible qui pisse de la (bonne) copie nuit et jour. Frank King (John Goodman, brillant comme à son habitude) avoue qu’il est là pour « faire du fric » mais l’homme a néanmoins le courage de s’opposer au système et de mettre en déroute ceux qui viendraient lui reprocher sa « mauvaise conduite ».

Le film se fait plus grave et même parfois pathétique quand il montre les camarades de Trumbo, dont le personnage fictif d’Arlen Hird, réduits au chômage et tricards partout ou lorsqu’il met en scène l’univers familial de l’artiste. Car Trumbo qui travaillait souvent dans sa baignoire et se soutenait avec un cocktail détonant de tabac, d’alcool et d’amphétamines, pouvait être parfaitement insupportable et odieux avec sa femme Cléo (Diane Lane) et ses enfants… Le film est dur aussi lorsqu’il expose le cas d’Edward G. Robinson, acteur de films noirs mais intellectuel cultivé, ami proche de Trumbo qu’il trahira devant la commission pour pouvoir continuer à travailler…

Diane Lane et Bryan Cranston, le couple Trumbo. DR

Diane Lane et Bryan Cranston,
le couple Trumbo. DR

Naguère, les frères Coen avaient traité, avec Ave Caesar!, des coulisses de l’usine à rêves. Mais là où les auteurs de Barton Fink se contentaient de saynètes, au demeurant souvent joyeuses, Dalton Trumbo, toujours sur Hollywood, a des accents de tragédie. Grâce, évidemment, au jeu intense de Bryan Cranston, connu des amateurs de série TV pour Breaking Bad, qui compose, ici, un Trumbo au look quelque peu british, brillant et ambitieux, déterminé et drôle qui dira: « Ecrire de la merde, c’est aussi mon gagne-pain » mais objectera aussi à un cinéaste: « Si chaque scène était géniale, votre film serait profondément monotone ».

Deux autres personnages ayant existé, viennent encore enrichir une galerie remarquable… Kirk Douglas qui militera pour que Dalton Trumbo soit reconnu comme le scénariste du Spactacus de Stanley Kubrick et Otto Preminger, raide cinéaste prussien, qui en fera de même pour son Exodus.  Dans Spartacus justement, Dalton Trumbo faisait dire à son héros, porte-parole des sans-grades: « Tant qu’à mourir, autant mourir debout, en livrant bataille et en restant unis ». Un propos qui va comme un gant à ce Dalton Trumbo qui croyait qu’on a toujours le choix de se comporter de manière intègre.

DALTON TRUMBO Biopic (USA – 2h04) de Jay Roach avec Bryan Cranston, Diane Lane, Helen Mirren, Adewale Akinnuoye-Agbaje, Michael Stuhlbarg, David James Elliott, Dean O’Gorman, Elle Fanning, Louis C.K., John Goodman, Christian Berkel. Dans les salles le 27 avril.

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