Maureen et les fantômes

Maureen (Kristen Stewart) part à la rencontre des fantômes.

Maureen (Kristen Stewart)
à la rencontre des fantômes.

Sur une petite route, une grosse voiture s’avance doucement vers une lourde grille. Le portail franchi, le véhicule dépose une jeune femme devant une grande maison de maître située dans un parc. Maureen Cartwright pénètre dans la bâtisse. Les vastes pièces sont vides et sombres. Maureen arpente les lieux, monte à l’étage, ouvre ici un volet, là, une porte-fenêtre donnant sur une terrasse. Plus tard, recroquevillée dans un vieux canapé, Maureen regarde dans le vide. Mais on la sent néanmoins aux aguets. Elle écoute les bruits, les craquements de l’immeuble. On comprend qu’elle a senti une présence. « Lewis? C’est toi? »

Après un projet au Canada qui s’est arrêté à la veille du tournage, Olivier Assayas est revenu à Paris avec un film qui ne sera jamais tourné et il a fait quelque chose qu’il n’avait pas fait depuis longtemps: écrire une histoire à partir de rien, d’une page blanche… Et c’est ainsi que le cinéaste d’Irma Vep et de Demonlover a imaginé l’histoire d’une jeune femme qui vit dans le monde contemporain, qui a un travail d’un matérialisme aliénant et qui cherche le salut dans le rejet de ce matérialisme, c’est-à-dire dans les idées…

Maureen sillonne Paris pour acheter de la mode.

Maureen sillonne Paris pour acheter de la mode.

Personal Shopper raconte donc l’histoire de Maureen Cartwright, jeune Américaine arrivée naguère à Paris, qui s’occupe de la garde-robe d’une personnalité médiatique mais dont l’existence est, en réalité, entièrement consacrée à trouver un moyen de communiquer avec Lewis, son frère jumeau décédé. Mais, évidemment, Maureen cherche aussi à retrouver le contact avec elle-même.

Sur des thèmes peu courants -les fantômes, le spiritisme- dans le cinéma français, Olivier Assayas a bâti un film fantastique qui réussit à captiver le spectateur. Couronné du prix de la mise en scène au Festival de Cannes, Personal Shopper évolue, avec aisance, entre le visible et l’invisible, entre les vivants et les morts. Filmées avec une élégante virtuosité, les séquences dans la grande bâtisse au début du film (Maureen est aussi mandatée par de potentiels acquéreurs pour savoir si la maison est bienveillante ou pas) montrent aussi la capacité d’Assayas à filmer l’invisible et relèvent d’un fantastique qui s’éloigne des classiques films d’horreur ou de fantômes pour se nourrir des poètes symbolistes ou de l’ésotérisme de la fin du 19e siècle. D’ailleurs, Assayas (qui cite les soeurs Fox, médiums américaines que Rebecca Zlotowski évoque dans le tout récent Planétarium) n’essaye jamais de faire peur avec ses fantômes mais préfère questionner le cinéma sur ses possibilités de filmer l’invisible.

Nora von Waldstatten incarne Kyra, une célébrité médiatique.

Nora von Waldstatten incarne Kyra,
une célébrité médiatique.

A travers le personnage de Maureen, acheteuse de mode pour une célébrité nommée Kyra presque toujours invisible et qui, lorsqu’elle est présente, est généralement odieuse, le cinéaste aborde l’univers de la mode et du luxe. Entre Chanel et Cartier en passant par Louboutin, Maureen fonce sur son scooter, ramenant des robes, des sacs, des ceintures, des chaussures, des bijoux. Et Assayas cible la « blingblinguisation du monde » et la terrible vacuité de l’économie du luxe tout en admettant que la beauté puisse être attirante. Si Maureen affirme: « Je déteste ce boulot », elle apparaît aussi fascinée par le monde dans lequel elle évolue tout en éprouvant de la honte devant cette attirance…

Au-delà de la mode et du luxe, Assayas aborde aussi, dans son film, la littérature et la peinture. La littérature avec Victor Hugo et son goût, peu connu, pour le spiritisme et les tables tournantes dont il fut un adepte assidu lors de son exil à Jersey. La peinture avec  la Suédoise Hilma af Klint (1862-1944), pionnière de l’art abstrait quelques années avant Kandinsky, Mondrian ou Malevitch, qui était convaincue que ses oeuvres lui étaient dictées par l’au-delà. Si ces deux aspects semblent un peu plaqués dans le récit, on décroche surtout lorsque Personal Shopper développe, à travers de longs échanges de sms énigmatiques entre Maureen et un inconnu, un côté thriller assez convenu.

Maureen se glisse dans les tenues de sa patronne. Photos Carole Bethuel

Maureen se glisse dans les tenues de sa patronne. Photos Carole Bethuel

Mais le film reste captivant lorsqu’il se concentre sur le portrait d’une Maureen solitaire, isolée et triste. Olivier Assayas s’attache à scruter la vie intérieure d’une jeune femme moderne qui croit aux forces occultes et qui est persuadée, avec ses dons de médium, de pouvoir entrer en communication avec l’au-delà. La fréquentation des fantômes lui permettra peu à peu de se débarrasser du poids du passé, de surmonter son deuil  et de devenir enfin elle-même.

Déjà présente dans Sils Maria (2014) où elle incarnait Valentine, l’assistante personnelle d’une star internationale (Juliette Binoche), Kristen Stewart a donc retrouvé très rapidement Olivier Assayas. Le cinéaste lui a écrit, ici, un très beau personnage, omniprésent à l’image, dont on partage les émotions et les doutes et dans lequel la diaphane comédienne américaine s’est glissée avec un plaisir manifeste. « C’est très difficile, dit Maureen, d’accéder au monde des esprits » mais Kristen Stewart parvient, dans ce film souvent méditatif, à nous faire croire aux fantômes…

PERSONAL SHOPPER Drame (France – 1h45) d’Olivier Assayas avec Kristen Stewart, Lars Eidinger, Sigrid Bouaziz, Anders Danielsen Lie, Ty Olwin, Hammou Graïa, Nora Von Waldstätten, Benjamin Bioulay, Audrey Bonnet. Dans les salles le 14 décembre.

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