Laila, Salma et Nour, des femmes en résistance

Tel Aviv ou la fête...

Tel Aviv ou la fête…

« Ma fille, il faut aimer son mari, être gentil avec lui et faire de bons petits plats… » C’est en substance ce qu’une mère dit à sa fille au début du film. Mais, pour les personnages de Je danserai si je veux, il n’en va pas de même. Et c’est même plutôt le contraire qui régit leurs vies difficiles.

Laila et Salma, deux jeunes femmes palestiniennes, partagent un appartement à Tel Aviv, loin du carcan de leurs villes d’origine et à l’abri, surtout, des regards réprobateurs. Un jour, Nour sonne à la porte des deux copines. Elle trimballe une lourde valise qu’elle ne lâche pas et explique qu’elle est étudiante en informatique, qu’elle ne peut plus, à cause du bruit, travailler là où elle se trouvait auparavant. Alors que Laila arbore une imposante crinière frisée de lionne et que Salma est couverte de tatouages, la ronde Nour est voilée et engoncée dans des tenues sans grâce…  Nour va alors s’installer dans l’appartement et découvrir, quand même un peu effarée, le mode de vie de ses colocataires et expérimenter le choc des cultures, des traditions et de la modernité.

Avec Bar Bahr (en v.o.), Maysaloun Hamoud signe un premier long-métrage dont la première qualité est la belle énergie qu’il dégage et aussi dont il rend compte. Si l’on sait que Tel Aviv est l’une des villes les plus festives au monde, cela se voit dans ce film où les personnages fréquentent régulièrement des soirées où l’on écoute de la musique à fond, où coule l’alcool, où tournent les joints et où se partagent des lignes de cocaïne tandis que la liberté des moeurs n’est clairement pas un vain mot…

Laila, libre, rebelle, sensuelle...

Laila, libre, rebelle, sensuelle…

Née à Budapest, grandie dans un village du nord d’Israël et diplômée de cinéma, la réalisatrice vit et travaille aujourd’hui à Jaffa. Elle est membre depuis 2009 du groupe Palestinéma, un regroupement de jeunes cinéastes dont le but est de faire connaître la culture arabe dans une société israélienne où elle n’est qu’une minorité parmi d’autres. Palestinéma programme notamment des projections de films issus du monde arabe au cinéma Saraya de Jaffa.

« Le projet du film, explique la cinéaste, est né de l’impasse dans laquelle je me trouvais à l’époque de mes études de cinéma à l’université de Tel-Aviv. La nouvelle résistance palestinienne était en train de se mettre en place et les soulèvements populaires du Printemps arabe étaient très prometteurs. Ces grands changements étaient aussi annonciateurs d’une révolution culturelle. Il était évident que le moment était venu de faire entendre une nouvelle voix. On s’est dit que l’ancien ordre était en train de s’effondrer et qu’on pouvait désormais se reconstruire et bâtir des sociétés plus saines et plus heureuses que celles qu’on avait connues à l’époque des États-nations. On était dans cet état d’esprit. Je savais que je voulais tourner un film pour le peuple qui s’attaque également au système. »

Nour promise à un cousin qu'elle n'aime pas.

Nour promise à un cousin qu’elle n’aime pas.

L’état d’esprit radical du Printemps arabe a imprégné le psychisme de millions de jeunes hommes et de jeunes femmes qui ont exprimé leur ras-de-bal et condamné tout à la fois l’oppression, le système patriarcal, la misogynie, la marginalisation, l’homophonie pour exiger un nouveau modèle dépourvu des codes culturels les plus conservateurs imposés au nom de la « tradition ». Chacune à sa manière, Laila, Salma et Nour incarnent cet état d’esprit et cette volonté de faire sauter les carcans…

Film naturaliste et audacieux, au moins pour le monde arabe, dans sa manière de parler de sexualité et des problématiques liées à l’homosexualité, Je danserai si je veux fait aussi exploser la représentation féminine dans le cinéma palestinien et arabe. Ici, les femmes ne sont plus résumées à des personnages de mères, de soeurs, de filles de quelqu’un ou encore de victimes. Les femmes mises en scène par Maysaloun Hamoud sont belles, vivantes et pleines d’énergie sans forcément être définies comme féministes.

Salma (Sana Jammalieh), Nour (Shaden Kanboura) et Laila (Mouna Hawa). Photos Yaniv Berman

Salma (Sana Jammalieh), Nour (Shaden Kanboura) et Laila (Mouna Hawa).
Photos Yaniv Berman

On va donc faire, ici, un bout de chemin avec des femmes qui se libèrent du monde extérieur, des pressions familiales ou des diktats de la communauté. C’est bien sûr le cas de Laila, charmante, sensuelle, sexy, insoumise, déterminée, subversive et rebelle. Juriste et avocate, Laila (Mouna Hawa) ne se censure pas, refuse le moindre compromis et fait exactement ce qu’elle veut. Tant pis pour les hommes qui la courtisent mais se refusent à la présenter à leurs parents… Commis de cuisine puis barmaid et musicienne, Salma (Sana Jammalieh) va devoir affronter la violente réaction de ses parents lorsqu’ils découvrent l’existence de son amoureuse Dounia, interne à l’hôpital Ichilov de Tel Aviv. Et elle n’aura d’autre échappatoire que de couper les ponts. Enfin, Nour (Shaden Kanboura) est assurément le personnage le plus tragique dans ce combat de femmes révoltées. Promise à Wissam, un cousin machiste, intégriste et autoritaire qu’elle n’aime pas, la passive Nour connaîtra un drame qui lui permettra, douloureusement, d’accéder à une certaine indépendance…

Dédié à l’actrice et cinéaste Ronit Elkabetz, disparue prématurément en 2016, porté par un superbe trio de comédiennes et servi par une bande musicale produite par la scène underground palestinienne, Je danserai si je veux est un film très tonique qui réussit, malgré la gravité de son propos, à trouver des accents de vraie comédie de moeurs.

JE DANSERAI SI JE VEUX Comédie dramatique (Istraël – 1h42) de Maysaloun Hamoud avec Mouna Hawa, Sana Jammalieh, Shaden Kanboura, Mahmoud Shalabi, Henry Andrawes, Ahlam Canaan, Aiman Daw, Riyad Sliman, Firas Nassar. Dans les salles le 12 avril.

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