Le fugitif et le vol de la mort

Ricardo Darin incarne le capitaine Tomas Koblic. DR

Ricardo Darin incarne le capitaine Tomas Koblic. DR

« Ne vous en voulez pas pour un moment de faiblesse qui pourrait arriver à tout le monde… » et, dans cet estaminet perdu au fond de l’Argentine, le grand type au crâne chauve ajoute: « Vous vous cachez comme un hors-la-loi! Vous êtes un soldat de l’armée, bon sang! Vous n’allez pas tout perdre à quelques mois de la retraite pour quelque chose d’aussi bête… » En face de l’ancien officier, aujourd’hui retraité mais mandaté par l’armée pour le ramener dans le « droit chemin », Tomas Koblic reste muet et, plus encore, confondu…

Avec Koblic, s’offre l’opportunité de plonger, à travers un solide thriller, dans le cinéma argentin contemporain. Certes, on connaît, un peu, le cinéma de la pampa à travers des films déjà anciens comme L’histoire officielle (1985) de Luis Puenzo ou plus récents comme Leonora (2008) de Pablo Trapero ou encore Le médecin de famille (2013), également de Luis Puenzo qui évoquait la présence et la traque du nazi Josef Mengelé en Argentine…

C’est dans l’Argentine de 1977 que se déroule l’histoire du capitaine de marine Tomas Koblic. Ancien pilote, le militaire a choisi de disparaître après avoir désobéi à un ordre de l’armée soumise à la dictature du général Videla. Entre 1976 et 1983, la junte militaire a commis de multiples crimes contre l’humanité. On estime que, dans cette période, 30.000 personnes ont « disparu », 15.000 ont été fusillées, 9000 prisonniers politiques ont été incarcérés alors qu’un million et demi d’Argentins ont choisi l’exil… L’une des méthodes d’exécution les plus aberrantes de la junte et de la police consistait à embarquer des prisonniers dans des avions pour les jeter vivants à la mer…

Les images d'un "vol de la mort" hantent Koblic. DR

Les images d’un « vol de la mort » hantent Koblic. DR

Les images atroces de ces « vols de la mort » hantent régulièrement les nuits de Tomas Koblic, parti se cacher dans le sud du pays. Son vieil ami Alberto Tejero l’a accueilli dans la petite ville de Colonia Elena où il s’occupe, avec deux petits avions, d’une entreprise d’épandage. Tomas, surnommé Polaco par son ami, a posé son sac et son fusil à pompe dans le bureau de l’aérodrome de campagne et Alberto l’a prévenu: « Tu devras faire profil bas… » De fait, Velarde, le commissaire local, va vite repérer ce nouvel arrivant et considérer qu’il est forcément suspect. D’autant qu’au bureau de poste où Koblic est allé passer un coup de fil, l’employé a remarqué une carte de militaire dans son portefeuille…

Sebastian Borensztein s’était fait remarquer en 2011 avec El Chino, une comédie grinçante sur la rencontre improbable entre un Chinois ne parlant pas un traître mot d’espagnol et un quincaillier maniaque doublé d’un célibataire grincheux incarné déjà par Ricardo Darin. Le star argentine a lu le scénario de Koblic et a immédiatement accepté de se glisser dans ce personnage perdu au milieu de nulle part, bientôt traqué et toujours sur ses gardes. Dans les grands espaces ruraux, Koblic réunit vite les ingrédients du western: l’homme seul dans l’immensité de la nature, le shérif sans scrupules qui impose abusivement sa loi ou encore la femme déshonorée qui espère qu’un inconnu viendra la sauver…

Nancy (Inma Cuesta) et Koblic (Ricardo Darin). DR

Nancy (Inma Cuesta) et Koblic (Ricardo Darin). DR

Cependant Koblic s’inscrit clairement dans le genre du thriller avec un affrontement entre deux hommes aux valeurs totalement contraires. Contraint au silence pour ne rien révéler de son passé, Koblic incarne une conscience morale vacillante mais puissante. Dans une petite ville mise en coupe réglée et qui représente une métaphore de ce qu’était l’Argentine des années 1976/1983, en l’occurrence un pays sans loi, Koblic va devoir faire face autant à un flic corrompu et dangereux qu’à ses cauchemars et au remords qui le taraude. Parce qu’il a pris les commandes, un soir de juin 1997, d’un avion dans le secteur militaire de l’aéroport de Buenos Aires, Tomas Koblic, coupable de son passé, pense qu’il a perdu toute honorabilité. Et il n’en croit pas ses oreilles lorsque l’ancien capitaine lui parle de « bêtise » à propos des opposants jetés dans le vide…

Sebastian Borensztein a construit, avec Koblic, un solide thriller qui déroule avec précision ses différentes péripéties, dessine rapidement ses personnages secondaires et même la « séquence romantique » de la rencontre entre Koblic et la jolie Nancy, employée de la station service, tient plutôt bien la rampe tant parce que Nancy est gravement maltraitée que parce qu’on sent bien que cette aventure sera sans lendemain. Et quand Koblic, vrai anti-héros, enfile son uniforme pour passer à l’action, le film prend alors une tournure plutôt sauvage…

Oscar Martinez dans le rôle de Valverde. DR

Oscar Martinez dans le rôle de Valverde. DR

Koblic repose aussi sur un bon duo/duel de deux monstres sacrés du 7e art argentin. Oscar Martinez s’offre un beau rôle de composition avec ce Valverde répugnant au propre comme au figuré. Oscar Martinez qui fut le romancier lauréat du prix Nobel dans l’excellent Citoyen d’honneur (2017), est, ici, quasiment méconnaissable avec de fausses dents, un faux ventre et une moumoute atroce. Quant à Ricardo Darin, il joue tout en réserve un Koblic, fugitif silencieux, angoissé et torturé. Darin qui fut le superbe interprète de Dans ses yeux (2009) ou des Nouveaux sauvages (2015), ajoute ici un nouveau personnage fort à sa filmographie… Koblic est un film à découvrir!

KOBLIC Drame (Argentine – 1h32) de Sebastian Borensztein avec Ricardo Darin, Oscar Martinez, Inma Cuesta, Marcos Cartoy Diaz, Marcello Dandrea, Norberto Daniel Munoz. Dans les salles le 5 juillet.

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