Pour une longue dame brune

Jeanne Balibar s'est glissée dans la peau de Barbara. DR

Jeanne Balibar s’est glissée dans la peau de Barbara. DR

J’ai habillé la dame brune dans mes pensées
D’un morceau de voile de brume et de rosée.
J’ai fait son lit contre ma peau pour qu’elle soit bien,
Bien à l’abri et bien au chaud contre mes mains.

Habillée de voile de brume et de rosée
Je suis la longue dame brune de ta pensée.
Chante encore au clair de la lune, je viens vers toi.
A travers les monts et les dunes, j’entends ta voix.

Les mots de Barbara nous trottent dans la tête avant même qu’on s’installe dans le fauteuil de cinéma. Pour voir quoi? En tout cas pas le classique biopic sur la trajectoire d’un chanteur à succès (Claude François dans Cloclo) ou de chanteuses populaires (Edith Piaf dans La môme ou Dalida dans le récent film éponyme). Non, Mathieu Amalric a choisi la mise en abyme pour se pencher sur le parcours d’une des figures les plus fascinantes de la chanson française. Cela dit, le biopic classique n’est pas forcément mauvais. Et Walk the Line (2005) qui évoque la carrière de Johnny Cash est un modèle du genre.

C’est d’abord la voix que l’on entend. Une voix qui évoque Paris en novembre, plus tout à fait l’automne, pas encore l’hiver. Et puis une voiture roule dans Paris. Barbara demande qu’on l’arrête. Elle a envie de marcher sur un pont de la capitale. On retrouve Barbara au piano, vêtue de noir, portant de grosses lunettes noires. Elle chante ou plutôt expérimente « Dites-le-moi du bout des lèvres. Je l’entendrai du bout du coeur… » A côté d’elle, un gros magnétophone tourne. Entre les notes et les mots, la chanson affleure tandis que Barbara susurre… Et Amalric nous fait alors toucher du doigt ce mystère permanent qu’est la création.

Yves Zand (Mathieu Amalric) dirige Brigitte dans la rôle de Barbara. DR

Yves Zand (Mathieu Amalric) dirige Brigitte dans la rôle de Barbara. DR

Pour Barbara, présenté en ouverture d’Un Certain regard au dernier Festival de Cannes, Mathieu Amalric s’est donné le personnage d’Yves Zand, un réalisateur quelque peu illuminé qui travaille sur un film consacré à Barbara. Amalric a choisi un dispositif de film dans le film qui lui permet de mettre en valeur le beau travail de Jeanne Balibar dans la peau de Brigitte, une comédienne qui se nourrit totalement de son étonnant et fantasque personnage. Dans le même temps, avec un véritable brio dans le montage, le cinéaste associe Jeanne Balibar/Brigitte et des images d’archives de la véritable Barbara.

Jeanne Balibar et la vraie Barbara sur l'écran. DR

Jeanne Balibar et la vraie Barbara sur l’écran. DR

Grâce à la collaboration de l’INA, l’Institut national de l’audiovisuel, Amalric a pu intégrer une quinzaine de minutes d’images d’archives dans Barbara et notamment plus de cinq minutes du documentaire réalisé en 1973 par Gérard Vergez et intitulé Barbara ou ma plus belle histoire d’amour. On y voit, lors d’une tournée, une Barbara gouailleuse (elle réclame une bouillabaisse à Châteauroux) et fofolle qui tricote en voiture mais se montre aussi attentionnée avec ses musiciens et les équipes techniques… Une chanteuse qui prévient quand même: « Je suis difficile à vivre quand je travaille… » et qui n’est pas souvent loin du pétage de plombs. Parmi les éléments d’archives, on trouve aussi un extrait de Franz (1971), le drame que Jacques Brel tourna avec Barbara ou encore une interview qu’Amalric intègre dans une belle scène où Brigitte reproduit les gestes de la chanteuse pour se les approprier…

On sait que la vie de Monique Serf (1930-1997) devenue Barbara dans les cabarets belges des années cinquante, ne fut pas un long fleuve tranquille. C’est sous la forme d’instants rapides, de chansons évidemment, qu’Amalric va traiter ces moments. Passent alors par là le producteur Charley Marouani mais aussi un jeune accessoiriste avec lequel la chanteuse (comme elle aimait le faire après ses spectacles) s’en va pour une nuit d’amour. Ou encore  Jacques Tournier rencontrant la dame en noir pour la préparation de son Barbara pour Chansons d’aujourd’hui, la collection des petits livres carrés chez Seghers… Amalric évoque aussi le passage au cabaret L’Ecluse et plus tard au Chatelet ou encore le drame incestueux que Barbara vécut avec son père, résumé dans la chanson Amours incestueuses… Il souligne aussi l’implication de Barbara dans la lutte contre le sida ou encore les concerts qu’elle donnait dans les prisons…

Jeanne Balibar. DR

Jeanne Balibar. DR

De toute cette matière, Amalric, déjà auteur de Tournée (2010) où il était le producteur Joachim Zand organisant les spectacles d’une troupe américaine de New Burlesque, tire un patchwork de sensations et d’émotions qu’il met en scène en contre-champs et en recadrages, en résonances plus qu’en reconstitutions. Si parfois le rythme du film baisse un peu, il reste cependant une belle et originale manière de traiter l’aventure de celle qui réfutait le statut de poète pour dire « Je suis seulement une femme qui chante ».

S’inscrivant dans cette approche de sensations, Jeanne Balibar, qui s’est manifestement totalement investie dans le personnage, réussit à donner, au-delà même d’une certaine ressemblance, chair à cette figure incontournable de la chanson qui avait composé, pour la scène, une silhouette tout en noir avec les grands cols, les robes longues, les boas mais aussi les yeux profondément soulignés de khol…

Enfin, on a, avec Barbara, le bonheur d’entendre de nombreuses chansons interprétées, souvent tour à tour, par la comédienne et Barbara. Il en va ainsi de Du bout des lèvres, de 25, rue de la Grange au Loup, de L’aigle noir, de Göttingen (chanté en allemand par Jeanne Balibar pendant une pause sur le tournage) ou encore de Chapeau bas. En sortant de la salle, on se surprend à fredonner Est-ce la main de Dieu, Est-ce la main de Diable, Qui a mis cette rose, Au jardin que voilà ? Pour quel ardent amour, Pour quelle noble dame, La rose de velours, Au jardin que voilà…

BARBARA Comédie dramatique (France – 1h37) de et avec Mathieu Amalric et Jeanne Balibar, Vincent Peirani, Aurore Clément, Grégoire Colin, Fanny Imber, Pierre Michon, Lionel Sorce, Lisa Ray-Jacobs. Dans les salles le 6 septembre.

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