Gorge profonde, Paula, le père, le fils et l’écrivaine

Mark Felt (Liam Neeson), agent du FBI et homme d'honneur. DR

Mark Felt (Liam Neeson), agent du FBI
et homme d’honneur. DR

WATERGATE.- A part les meilleurs spécialistes de l’affaire du Watergate, peu de gens, certainement, savent qui est Mark Felt. C’est désormais chose réparée puisque Hollywood raconte l’aventure de cet ancien avocat entré au FBI en 1942 et qui gravit tous les échelons du Federal Bureau of Investigation pour être, dans les années 60, directeur adjoint de l’agence, dans l’ombre du célèbre J. Edgar Hoover… Avec The Secret Man (USA – 1h43. Dans les salles le 1er novembre), Peter Landesman, connu pour avoir signé Parkland (2013) qui évoquait, sous l’angle de l’hôpital de Dallas, l’assassinat de JFK, s’intéresse plus précisément à Mark Felt et à l’histoire du Watergate, le fameux immeuble de Washington où des « plombiers » cambriolèrent, en 1972, les locaux du Parti démocrate…

Mark Felt (Liam Neeson) et son épouse (Diane Lane). DR

Mark Felt (Liam Neeson)
et son épouse (Diane Lane). DR

Homme secret, Mark Felt est un modèle d’intégrité, de courage, de fiabilité, de fidélité, de compétence et de loyauté qui soudain se retrouve face à un immense scandale de corruption politique qui touche la tête de l’Etat. Alors que la Maison Blanche tente à toutes forces d’empêcher l’enquête du FBI, Felt va craquer… L’homme de l’ombre va se muer en lanceur d’alerte. On apprendra seulement en 2005 que la fameuse Gorge profonde qui informait Woodward et Bernstein, les journalistes du Washington Post, qui allaient faire tomber Nixon, n’était autre que Felt… Alors que son film est pratiquement dépourvu de scènes d’action, Peter Landesman réussit pourtant à rendre son histoire tout à fait captivante. Il est vrai aussi que Liam Neeson incarne remarquablement cet homme, froid en apparence, mais qui souffre, avec sa femme (Diane Lane), de savoir leur fille militant au sein de la gauche radicale américaine… The Secret Man, c’est le versant FBI du célèbre Les hommes du président et une belle réflexion sur les affres d’un bon petit soldat de l’administration fédérale confronté à un vrai dilemme et qui a choisi de sacrifier son statut au nom d’un cause plus noble…

Un instant de repos pour Paula (Laetitia Dosch). DR

Un instant de repos pour Paula (Laetitia Dosch). DR

SOLITUDE.- Paula est au taquet! Aux premières images de Jeune femme (France – 1h37. Dans les salles le 1er novembre), elle frappe comme une folle sur une porte et hurle: « Ouvre-moi! ». Un peu plus tard, c’est contre une blouse blanche qui essaye de comprendre ce que arrive à la jeune femme, que celle-ci s’emporte… Après une longue absence, Paula est de retour à Paris. Un chat blanc sous le bras, se heurtant à des portes closes et avec rien dans les poches, la trentenaire tente de renouer, au fil de rencontres, les fils d’une histoire tout en essayant de trouver les moyens de se sentir bien dans l’existence…

Paula et la ville... DR

Paula et la ville… DR

Jeune femme, c’est un double portrait, celui de Paula et celui de Paris, la ville-lumière, cadre de l’errance d’une jeune femme tour à tour débordante d’énergie, au point d’être une grenade dégoupillée et ensuite complètement paumée. Ceux qui la croisent ne savent pas trop comment s’y prendre avec elle. Il faut dire aussi que Paula n’hésite pas à entrer dans des histoires plutôt loufoques. Dans le métro, la pétillante Yuki (Léonie Simaga, excellente) croit reconnaître en Paula une ancienne camarade d’école. Paula sait qu’il n’en est rien mais joue quand même le jeu, histoire d’avoir de la compagnie, de trouver un lit pour la nuit, d’être aussi dans la société des autres. Pour Léonor Serraille, l’objectif était de faire le portrait d’une femme singulière, confrontée à la solitude dans une grande ville, le temps d’un hiver… Et, avec ce portrait constamment en mouvement, la jeune cinéaste a mis dans le mille. Présenté à Cannes 2017 dans la section officielle Un Certain regard, Jeune femme a obtenu la très prisée Caméra d’or qui récompense sur la Croisette un premier film… Le film doit enfin beaucoup à la rousse Laetitia Dosch qui incarne avec brio et grâce cette Paula fantaisiste, hystérique et parfois très barrée… Un vent de folle fraîcheur souffle sur l’écran avec cette Paula qui affirme: « Je ressens une nostalgie de trucs que je n’ai pas encore vécus… »

Un père (Menashé Lustig) et son fils (Ruben Niborski). Photo Federica Valabrega

Un père (Menashé Lustig) et son fils (Ruben Niborski). Photo Federica Valabrega

TRADITIONS.- Dans Borough Park, le quartier juif ultra-othodoxe de Brooklyn à New York, Menashé travaille dans une épicerie et essaye, tant bien que mal, de joindre les deux bouts. Ce qui pousse Menashé à se battre contre une vie difficile, c’est Ruben, son jeune fils, dont il voudrait avoir la garde. Hélas, comme Menashé a perdu sa femme, la tradition hassidique lui interdit d’élever, seul, son fils. Ruben est placé dans la famille d’un oncle et Menashé essaye de voler, aux pesanteurs de la loi religieuse, de courts moments à partager avec son gamin… A force de se battre, le modeste employé va obtenir du rabbin une semaine à passer avec Ruben. Ce sera pour lui l’ultime occasion de prouver qu’il peut être un bon père dans le respect des règles de sa communauté…

Cérémonie sur la tombe de l'épouse de Menashé. Photo Yoni Brook

Cérémonie sur la tombe de l’épouse de Menashé. Photo Yoni Brook

Avec Brooklyn Yiddish (USA – 1h22. Dans les salles le 25 octobre), Joshua Z Weinstein, documentariste, publicitaire et directeur de la photo, signe son premier long-métrage de fiction et réussit une oeuvre très attachante sur la simple histoire d’un père et d’un fils qui veulent pouvoir vivre ensemble… En s’inspirant largement de la propre histoire de Menashé Lustig, interprète de l’épicier et épicier lui-même à New Square (New York), le cinéaste brosse le portrait d’un homme rond mais dont le regard traduit une vraie peine et une profonde vulnérabilité. Menashé sait qu’il aura à faire à forte partie en se frottant à la tradition hassidique mais il ne peut accepter l’idée de se faire arracher son fils… La force de Brooklyn Yiddish, qui fait parfois songer à A Serious Man (2009) des frères Coen dans sa description volontiers humoristique de l’école hébraïque, c’est que Weinstein ne pose jamais un regard accusateur sur la tradition mais qu’il en fait ressentir le poids qui pèse sur Menashé… Un film beau, émouvant et rare.

Delphine (Emmanuelle Seigner), une romancière à bout. DR

Delphine (Emmanuelle Seigner),
une romancière à bout. DR

ECRITURE.-  Après la parution et l’important succès de son dernier roman, Delphine Dayrieux ne parvient plus à écrire. Troublée par les félicitations comme par les questions de ses admirateurs qu’elle rencontre lors de séances de signature, la romancière se fragilise encore plus quand lui parviennent des lettres anonymes l’accusant d’avoir fait beaucoup de mal à sa famille dans son précédent roman… Lorsqu’une jeune femme nommée Elle surgit dans son existence, Delphine, séduite et rassurée par cette fan intelligente, se raccroche à cette présence d’abord rassurante puis de plus en plus invasive. Bientôt Elle va littéralement prendre la romancière fragilisée en otage…

Elle (Eva Green), une présence inquiétante. DR

Elle (Eva Green), une présence inquiétante. DR

A-t-on encore le « droit » de parler de Roman Polanski? Après avoir été rayé des cadres pour la dernière cérémonie des César, voilà le cinéaste de 84 ans pris à partie par un mouvement féministe à l’heure où la Cinémathèque française doit consacrer une rétrospective à son oeuvre. En attendant le dernier film du réalisateur palmé et oscarisé (pour Le pianiste en 2002)  est sur les écrans. Avec D’après une histoire vraie (France – 1h50. Dans les salles le 1er novembre) qui fut présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes, Polanski adapte, en compagnie d’Olivier Assayas, le roman éponyme de Delphine de Vigan, prix Renaudot et prix Goncourt des lycéens en 2015. Parce qu’il est lui-même un créateur, le cinéaste s’intéresse, ici, d’abord à un personnage en panne d’inspiration. Devant l’écran blanc de son mac sur lequel elle est incapable d’aligner une ligne de texte, Delphine est prise de panique. Et Polanski, qui filme une nouvelle fois (après Lunes de fiel en 1992 ou La Vénus à la fourrure en 2013) son épouse Emmanuelle Seigner, réussit à nous faire croire à cette écrivaine lâchée par son imagination comme par son désir de créer. Mais là où le bât blesse, c’est lorsque le personnage d’Elle entre véritablement en scène. Très vite, Elle devient une manipulatrice maléfique et on n’y croit plus du tout. La malheureuse Eva Green s’essaye à des regards… hitchockiens censés être inquiétants et on se demande alors comment tout cela va finir. En fait, on a alors surtout envie que ça finisse…

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