Amin, Thomas, Clara, Roland et les autres

La plage, le soleil, la mer et les vacances... DR

La plage, le soleil, la mer et les vacances… DR

HEDONISME.- Sète, au mois d’août 1994. Apprenti scénariste installé à Paris, Amin est de retour, le temps d’un été, dans sa ville natale, pour retrouver famille et amis d’enfance. Accompagné de son cousin Tony et de sa meilleure amie Ophélie, Amin passe son temps entre le restaurant de spécialités tunisiennes tenu par ses parents, les bars de quartier et la plage où viennent se faire bronzer de jolies filles en vacances. Fasciné par les nombreuses figures féminines qui l’entourent, Amin reste cependant en retrait et se contente de contempler ces sirènes estivales, contrairement à Tony qui se jette dans l’ivresse des corps. Mais quand vient le temps d’aimer, seul le destin – le mektoub – peut décider…

Depuis La vie d’Adèle et une Palme d’or cannoise qui avait fait quelque peu polémique, on n’avait plus entendu parler d’Abdellatif Kechiche même si le cinéaste parlait de différents projets. C’est donc avec intérêt que l’on retrouve Kechiche dans Mektoub my love: Canto Uno (France – 2h55. Dans les salles le 21 mars), adaptation de La blessure, la vraie, un roman de François Bégaudeau paru en 2011 aux éditions Verticales et premier volet d’un dyptique intitulé Mektoub is mektoub. Depuis longtemps, dit-il, le cinéaste rêvait de trouver un personnage et son interprète et de le suivre sur plusieurs films, construisant de la sorte, sans se prendre pour Balzac, une manière de Comédie humaine où il suivrait le personnage d’Amin dans une dizaine de films, jusqu’ l’âge de 45 ans… Il est vrai que Shaïn Boumedine (découvert lors d’un casting pour une figuration), l’interprète d’Amin, dégage une telle présence et possède quelque chose de profondément romantique qu’on imagine bien un auteur vouloir le suivre et le voir évoluer dans le temps…

Placé sous le signe de l’hédonisme, Mektoub my love est un film de lumière. Comme en attestent, sur les premières images, les deux citations de Saint Jean et du Coran qui évoque Dieu et justement la lumière. Chaudes lumières du jour baignant les plages sétoises ou lumières électriques des bars et des boîtes de nuit où Tony, Ophélie, Amin, Céline, Charlotte, Camélia boivent, dansent et draguent jusqu’au bout de la nuit. Mektoub my love s’ouvre sur une longue scène d’amour physique (qui n’est pas sans faire penser à celles de La vie d’Adèle) qu’Amin, dans la position d’un voyeur malheureux, observe derrière des persiennes… Cette position d’observateur, Amin va la conserver tout au long du film, qu’il regarde Tony baratiner Charlotte et Céline sur le sable, qu’il contemple la pulpeuse Ophélie dont il est secrètement amoureux depuis toujours ou encore qu’il attende, l’appareil photo au poing, la mise-bas d’une brebis. Une séquence superbe et tendre, filmée en plan fixe, portée par une aria classique, qui contraste totalement avec le reste d’un film tourné dans un mouvement permanent et un déferlement sonore qui ne l’est pas moins.

Ophélie (Ophélie Bau) et Amin (Shaïn Boumedine). DR

Ophélie (Ophélie Bau)
et Amin (Shaïn Boumedine). DR

S’il faut un peu de temps pour s’habituer à une caméra à l’épaule très mobile et à de grands plans-séquences où circulent de multiples personnages, Mektoub my love finit, malgré sa durée (mais tous les films de Kechiche jouent sur la durée) par envoûter. Parce qu’il est question de soleil, de liberté, de désir, de plaisir, de grâce, d’oubli… Si Kechiche a situé son action en 1994, c’est probablement parce que l’époque distillait une certaine douceur de vivre aujourd’hui disparue, sans doute aussi parce que la notion de liberté a changé depuis. Mais les personnages de Kechiche ne sont pas dans la mélancolie mais bien dans un carpe diem qui autorise toutes les tentations… Enfin, comme il avait révélé Adèle Exarchopoulos au grand public avec La vie d’Adèle, le cinéaste filme, avec une claire volupté, des comédiennes très sensuelles comme Ophélie Bau (Ophélie), Lou Luttiau (Céline), Alexia Charchard (Charlotte) qui font perdre pied aux garçons et aux hommes. Il ramène aussi en pleine lumière la capiteuse Hafsia Herzi, révélation de La graine et le mulet (2007), dont les déhanchements sont encore dans les mémoires… « Si la beauté était un crime, dit un personnage à l’une des filles de la plage, tu aurais déjà pris perpèt ». Eh oui… Quant à la séquence finale, elle pourrait avoir été écrite par Eric Rohmer!

Anthony Bajon incarne Thomas.

Anthony Bajon incarne Thomas.

LIEN.- Lorsque Thomas, 22 ans, débarque dans une communauté isolée dans la montagne, il est une boule de souffrance et de violence. Il est venu là pour sortir de sa dépendance à l’héroïne. Autour de lui, il découvre d’anciens drogués qui ont choisi de se soigner par la prière et le travail. Pour le jeune homme, dont la pommette s’orne d’une grosse cicatrice, les premiers temps seront très difficiles. Bientôt, il explose, est prêt à en découdre et choisira la fuite. Mais les membres de la communauté le ramèneront à eux. Au cours de sa fuite, Thomas rencontre Sybille, une étudiante en archéologie, dont le charme ne cesse de lui trotter dans la tête. Mais, de retour dans le groupe, Thomas s’investit pleinement dans le travail et la prière. Un accident au cours d’une sortie en montagne va l’amener à se demander s’il n’est pas destiné à entrer dans les ordres…

« Personne ne te juge ici… » C’est ainsi que Marco, le responsable de la communauté, s’adresse paisiblement à Thomas dont le regard trahit une totale détresse. Avec La prière (France – 1h47. Dans les salles le 21 mars), Cédric Kahn invite le spectateur à se glisser, non point comme un voyeur mais bien plus comme un frère de passage, dans un lieu isolé consacré à la prière, avec ses propres règles et son propre temps, hors des contingences du monde. Le cinéaste fait le choix de centrer complètement son récit sur la trajectoire d’un seul garçon dont on ne sait rien et qui devient, au fil du récit, le symbole de tous les autres, une figure emblématique qui concentre tous les doutes, les questionnements, les espoirs… Le réalisateur de Bar des rails (1991), L’ennui (1998), Roberto Zucco (2001), L’avion (2005) ou Une vie meilleure (2012) fait, ici, le choix d’une mise en scène extrêmement dépouillée, dans une économie d’effets, qui permet d’intérioriser les sentiments des personnages.

Thomas au sein de la communauté. Photos Carole Bethuel

Thomas au sein de la communauté.
Photos Carole Bethuel

Dans le même temps, Cédric Kahn joue, à travers ses paysages, saisis à différentes saisons (le film a été tourné dans le Trièves, en Isère), sur une double perception, à la fois de grand isolement et aussi d’éternité. Dans cet environnement, les frères de la communauté peuvent se consacrer totalement (ils n’ont droit à aucune distraction, ni journaux, ni télé, ni musique, ni tabac) aux deux piliers de leur thérapie que sont les cantiques et les témoignages. Se définissant comme agnostique, le réalisateur résout, ici, la question de la foi par le doute, se gardant d’imposer quoi que ce soit au spectateur et laissant celui-ci se forger sa propre conviction. Mais là où le cinéaste touche le plus, c’est dans la façon dont il montre la reconstruction du lien. Comme Thomas, les individus arrivent dans une grande détresse affective et apprennent, au-delà de la prière, des règles, du partage, la vie en communauté et la fraternité. Pour incarner Thomas, Kahn a trouvé le nouveau-venu Anthony Bajon dont l’intensité physique et psychologique sont impressionnantes. Pour le mélange de violence et d’enfance, il fait souvent penser à Pierre Blaise, l’interprète de Lacombe Lucien (1974) de Louis Malle…

Ana (Marjorie Estiano) et Clara (Isabel Zuaa).

Ana (Marjorie Estiano) et Clara (Isabel Zuaa).

BETE.- Fille d’une riche famille de fermiers, Ana est en rupture de ban avec sa famille depuis que ceux-ci ont appris qu’elle est enceinte et que le père est inconnu. Pour fuir les siens, Ana s’est installée à Sao Paulo dans un quartier de nouveaux riches composé de tours d’entreprises et de gratte ciel résidentiels. Alors que sa grossesse avance, la fragile Ana cherche à recruter une nounou. C’est ainsi que Clara vient sonner à sa porte. Si Clara se présente comme infirmière, elle reste cependant mystérieuse sur ses précédents employeurs, évoquant seulement une grand-mère qui lui a appris la spiritualité. Embauchée parce qu’elle a su soulager rapidement des douleurs de son employeuse, Clara s’installe dans le bel appartement et prend soin d’Ana. Entre les deux femmes, se développent des relations qui dépassent le contrat de travail. Rapidement, Clara constate aussi qu’Ana, au moment de la pleine lune, souffre de crises de somnambulisme. Tout bascule lorsque la mère, dans une nuit tragique, va donner naissance à un étrange bébé…

Même si la première partie du film ressemble à une chronique sociale sur les liens entre travail et classes sociales au Brésil, Les bonnes manières (Brésil – 2h15. Dans les salles le 21 mars) va rapidement devenir une variation contemporaine sur le loup-garou. Au même titre que le vampire ou la momie, le loup-garou est un mythe très présent dans le cinéma fantastique. On ne compte plus le nombre de films consacrés à ce monstre mi-homme, mi-loup et Le loup-garou de Londres (1981) de John Landis en est l’un des plus réussis. Les réalisateurs brésiliens Juliana Rojas et Marco Dutra créent, ici un monde fantastique en s’inscrivant dans une narration qui rappelle les contes de fées et aussi en imaginant les décors d’un Sao Paulo fantasmé. Inspirés par Le cercle de craie caucasien, la pièce de Brecht, les auteurs s’interrogent sur la manière d’éduquer un enfant. A travers Ana (Marjorie Estiano), ils questionnent la maternité biologique, la gestation et l’incidence parfois agressive que cela peut avoir sur le corps d’une femme. Si Clara « adopte » le petit Joel, c’est parce qu’elle est tombée amoureuse d’Ana mais aussi parce qu’elle voit au-delà du monstre. En tentant d’élever Joel (Miguel Lobo), de lui inculquer les bonnes manières, Clara apprend aussi à accepter la vraie nature du gamin…

La bête et la mère... Photos Rui Pocas

La bête et la mère… Photos Rui Pocas

A travers un nourrisson loup-garou puis, plus tard, avec un mignon mais pâlichon gamin de sept ans (qui, à cet âge, comprend sa différence), Les bonnes manières n’hésite pas à montrer la bête et ses violentes attaques. Et cela renforce l’ambiguïté entre l’être humain et le monstre. Lorsque c’est Clara qui pose son regard sur un gamin qu’elle aime avec angoisse mais sans réserve, le personnage apparaît aimable et presque beau… Si le scénario n’est pas foncièrement original et si le film présente quelques longueurs, on entre cependant avec curiosité dans ce conte de fées d’épouvante qui traite de thèmes contemporains comme le désir sexuel, la définition d’une famille ou la métamorphose du corps. C’est dû pour beaucoup aussi à la belle interprétation d’Isabel Zuaa qui fait de Clara une aimante mère de substitution d’un jeune loup-garou…

Roland (Thierry Lhermitte) et JB (Rayane Bensetti).

Roland (Thierry Lhermitte)
et JB (Rayane Bensetti).

DUO.- Dans sa brasserie située à deux pas du Parc des Princes à Paris, Roland Verdi est un type énergique et enjoué qui mène sa barque avec aisance. Un an plus tard, Roland n’est plus tout à fait le même. Désormais, il vit à Lyon chez sa fille. Il marche à petits pas quand il va acheter L’Equipe au bureau de tabac du coin. Et la phrase qui revient le plus souvent chez lui, c’est, hélas, « Je crois que j’ai oublié quelque chose ». Dans la petite maison de la famille Soualem, il squatte la chambre de JB. Forcément, celui-ci a les boules. Mais la chose la plus importante de sa vie, c’est de partir, avec son équipe du Lyon BC, à Paris pour disputer la finale du Championnat de France des U17. Il suffit que ses parents le conduisent à la gare et le tour est joué. Mais les événements en décideront autrement…

Un grand adolescent chargé de surveiller un grand-père qui perd doucement la boule alors qu’il n’a qu’une envie, c’est d’aller jouer au basket, on imagine d’emblée les péripéties possibles et probables d’autant que Roland, à défaut de faire ce qu’on lui dit, peut se montrer plutôt mal embouché. Pour son premier long-métrage, Robin Sykes a voulu, dit-il, se démarquer des habituelles comédies romantiques et des non moins habituelles comédies potaches qui abondent (pullulent?) dans le cinéma français. Il a donc « osé » introduire dans son scénario, un personnage qui, il faut dire simplement, souffre de la maladie d’Alzeimer. Pas très drôle, en somme! Mais justement l’un des mérites de La finale (France – 1h25. Dans les salles le 21 mars), c’est d’éviter toute forme d’apitoiement pour choisir le ton allègre du buddy movie.

JB (Rayane Bensetti) dans sa finale. Photos Emmanuelle JacobsonRoques

JB (Rayane Bensetti) dans sa finale.
Photos Emmanuelle JacobsonRoques

Un aimable film de copains dont les héros seraient un adolescent et son vieux papy zinzin qui se connaissent mal, qui appartiennent à des générations qui n’ont, à priori, rien à se dire et qui se retrouvent contraints et forcés d’avancer main dans la main… Robin Sykes va donc multiplier les aventures de ce duo mal assorti. Et, petit à petit, JB qui considère Roland comme un vrai boulet, va poser sur lui un regard différent. Et forcément -on ne trahit aucun secret- une vraie tendresse les attend à l’arrivée et Roland pourra dire en parlant de JB: « Il ne m’a pas laissé sur le banc, lui ».

Pour son duo, le cinéaste peut compter sur Thierry Lhermitte et Rayane Bensetti. Le premier, en briscard au long cours du grand écran, assure avec aisance. Avec parfois une lueur malicieuse dans l’oeil, son Roland, fan de foot, est drôle et touchant. Vu dans différentes séries télé et vainqueur de la cinquième édition de l’émission Danse avec les stars, Rayane Bensetti compose un JB qui, au début, comme le dit le comédien, est un petit con auquel on finit par s’attacher… Enfin, Robin Sykes réussit une très jolie dernière séquence sur laquelle il convient d’en dire le moins possible. Sinon qu’un certain Thierry Roland a pu déclarer, à cette occasion: « Après avoir vu ça, on peut mourir tranquille… »

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