Juste une image…

 

Monsieur Aznavour
Il n’y a pas photo ! Si l’on fait la liste des biopics qui concernent des artistes anglo-saxons et les chanteurs et chanteuses bien de chez nous, force est de constater que le cinéma hollywoodien a fait la part belle à Elvis Presley (Elvis, 2022), Johnny Cash (Walk the Line, 2005), Ray Charles (Ray, 2004), Elton John (Rocketman, 2019), Freddy Mercury et Queen (Bohemian Rhapsody, 2018), les Doors avec le film éponyme de 1991, Tina Turner (Tina, 1993), Charlie Parker (Bird, 1988), Jerry Lee Lewis (Great Balls of Fire, 1989), Aretha Franklin (Respect, 2020), Amy Winehouse (Amy, 2015) et on en passe de plus prestigieux encore…
Et chez nous ? On a recensé une demi-douzaine de noms… A commencer par Edith Piaf (La môme, 2007), Serge Gainsbourg (Gainsbourg, vie héroïque, 2010), Claude François (Cloclo, 2012), Dalida avec le film éponyme de 2017 et, à sa manière, Barbara, mi-fiction, mi-biographie en 2017. Vedettes auxquelles on pourra ajouter l’excellent Django Reinhardt avec Django (2017).
A cette liste quand même menue, va s’ajouter, dès le 23 octobre, Monsieur Aznavour, le nouveau film co-réalisé par Grand Corps Malade et Medhi Idir qui retrace, dans les années cinquante, la difficile ascension de Charles Aznavourian (1924-2018) devenu Charles Aznavour.
A propos de ce biopic qui est aussi un hommage teinté d’admiration, Grand Corps Malade explique : « Dans le « Monsieur » de notre titre, que nous souhaitions sobre, on entend la grandeur de ce personnage. Car, oui, Charles Aznavour était un grand monsieur. Auteur, compositeur, interprète, à la carrière internationale et durable, il est peut-être le plus grand monstre sacré de la chanson française. Je l’admire beaucoup en tant qu’artiste et en tant qu’homme, que nous avons eu la chance de connaître, avec qui j’ai eu l’honneur de chanter, et avec qui nous avons passé beaucoup de temps. Son énergie nous a portés. Il était très drôle, aimait vanner, faire des jeux de mots. Il était très observateur, curieux de tout et très attentif aux jeunes talents, aux nouvelles tendances, aux nouvelles technologies ; il s’intéressait au rap, au slam… » Et Medhi Idir ajoute : « même à la mode ! À tout ! C’était aussi un homme pudique, respectueux, qui vouvoyait tout le monde, sauf les gens qu’il connaissait depuis longtemps. « Monsieur » réfère aussi à l’ancrage français de cet artiste, enfant de réfugiés, qui est devenu connu dans le monde entier ; ce titre s’imposait pour ce film, qui, nous l’espérons, voyagera à l’international. »
Evoquant le choix de Tahar Rahim, le Belfortain révélé par Le prophète en 2009 , pour incarner Aznavour, Mehdi Idir note : « David Bertrand, notre directeur de casting, nous a soufflé l’idée de Tahar Rahim, dont nous sommes proches, par ailleurs. Tahar nous a d’abord regardés comme des illuminés avant de nous rappeler – après avoir passé plusieurs jours à regarder des documentaires et interviews – pour nous dire qu’il pensait parvenir à trouver la voix adéquate et était partant. Restait la question de l’âge. Nous avons fait des tests de rajeunissement pour les premières scènes, qui fonctionnaient très bien. Tahar a tout de suite pris des cours de chant, de danse, de piano pour coller le plus possible au personnage. »
Autour du personnage central, on verra passer des silhouettes comme celle d’Edith Piaf, Gilbert Bécaud, Johnny Hallyday, Frank Sinatra…

© Photo Pathé – Tukimuri

La critique de film

La reporter rebelle, la folie d’Arthur et les états d’âme de Barbie  

"Lee Miller": Kate Winslet incarne la reporter de guerre. DR

« Lee Miller »: Kate Winslet incarne
la reporter de guerre. DR

PHOTOGRAPHIES.- C’est le temps béni des vacances sur la Côte d’Azur, les heures de farniente avant que les ombres de la Seconde Guerre mondiale s’avancent sur l’Europe. A Mougins, à la fin des années trente, Lee Miller, qui fut mannequin pour Vogue, passe du bon temps avec Pablo Picasso, Paul et Nusch Eluard ou encore Solange d’Ayen et son mari Jean de Noailles. C’est là que l’existence de Lee va croiser celle de l’écrivain surréaliste Roland Penrose. Elle épousera le Britannique dans l’Angleterre de 1947. Auparavant la vie de Lee Miller aura été bouleversée pour toujours par sa participation à la guerre en tant que reporter de guerre, témoignant, dans les rangs de la 83e division américaine, des combats de Normandie avant de poursuivre vers l’Allemagne en étant, l’une des premières, avec David E. Scherman, correspondant du magazine Life, à découvrir l’horreurs des camps de concentration de Buchenwald et Dachau… Il faudra à Lee Miller batailler dur pour que ses photos soient publiées. Elles le seront dans un numéro du Vogue américain dans l’immédiat après-guerre…
C’est en tombant, dans une librairie de New York, sur un livre consacré à Lee Miller qu’Ellen Kuras prend connaissance de l’extraordinaire destin de l’artiste américaine (1907-1977). Cette directrice de la photo réputée (elle a travaillé avec Spike Lee, Jim Jarmush, Michel Gondry ou Sam Mendès) trouve un air de ressemblance entre Lee et Kate Winslet qu’elle avait connu sur les tournages d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) puis des Jardins du roi (2014). Elle décide d’envoyer un exemplaire à la comédienne. Quelques années plus tard quand Kate Winslet songe à incarner Lee Miller, elle va demander à Ellen Kuras de la mettre en scène.

"Lee Miller": Lee dans la fameuse baignoire d'Hitler. DR

« Lee Miller »: Lee dans la fameuse baignoire d’Hitler. DR

Lee Miller (USA – 1h52. Dans les salles le 9 octobre) est ainsi une bonne occasion de découvrir cette partie de la vie de Lee que furent les années de guerre. Une époque où celle qui fut la muse et la compagne de Man Ray dira : « Je préfère faire des photos que d’être dessus ». Et puis ce personnage de femme déterminée, quand même peu connue du grand public, permet à la cinéaste de brosser le portrait d’une femme habitée par un esprit de liberté et de révolte contre l’ordre social établi, tant dans sa vie amoureuse, sa carrière ou de précurseurs idéaux féministes.
Agréable biopic bien mis en scène même si la facture est assez conventionnelle, Lee (en v.o.) offre à Kate Winslet un nouveau personnage de femme forte et indépendante même si ses fêlures sont abondantes et douloureuses. Entourée de bons comédiens (dont les Françaises Noémie Merlant et Marion Cotillard), l’inoubliable interprète de Rose DeWitt dans Titanic (1997) se glisse avec aisance dans la peau d’une rebelle qui ira jusqu’à essuyer ses bottes boueuses sur le tapis de bain blanc de l’appartement privé d’Hitler. On connaît cette histoire qui fera entrer Lee Miller dans la légende de la photographie. Le 30 avril 1945, Lee et « Davie » Scherman qui viennent du camp de Dachau, sont à Munich. Au 16 de la Prinzregentenplatz, ils montent à l’appartement privé d’Hitler. Le même jour, le Führer vient de se suicider dans son bunker de Berlin. Avisant la salle de bain, Lee décide de se baigner. Elle se dévêt entièrement, entre dans la baignoire, place une photo d’Hitler sur le bord. Scherman shoote la photo qui sera publiée dans Vogue en 1945. Comme un défi à l’horreur du nazisme et du totalitarisme. La séquence fameuse est dans le film.

"Joker...": Joaquin Phoenix est Arthur Fleck ou le Joker. DR

« Joker… »: Joaquin Phoenix est Arthur Fleck
ou le Joker. DR

IDENTITES.- Deux ans après ses crimes sous les traits de Joker, Arthur Fleck est, en 1983, interné au sinistre hôpital psychiatrique Arkham de Gotham City dans l’attente prochaine de son procès. Toujours déchiré entre ses deux identités, Arthur est la cible des gardiens qui le chambrent sans arrêt : « T’as pas une blague pour nous, ce matin ? » Mais le détenu de la cellule 258 s’enferme dans un mutisme souvent inquiétant tant son regard transperce ses interlocteurs. La première fois qu’il lâche quelques mots : « Je peux avoir une cigarette ? »
Tandis que Maryanne Stewart, son avocate, prévoit de plaider un trouble dissociatif de l’identité pour faire valoir que le personnage de Joker est responsable des crimes commis deux ans plus tôt, Arthur tombe en arrêt devant l’atelier de musicothérapie. Il remarque d’emblée Lee Quinzel qui ne le lâche pas des yeux. Comme le détenu se tient bien, un gardien l’autorise à fréquenter l’atelier. Pour Arthur, c’est l’occasion de se rapprocher de Lee qui, complètement fascinée par lui, affirme qu’elle a vu pas moins de dix fois le téléfilm consacré à Arthur/Joker.
Alors que son procès va s’ouvrir, Fleck va rejoindre Lee dans une folie commune au travers de la musique alors qu’à l’extérieur du tribunal, les nombreux partisans de Joker affichent leur soutien pour qu’il soit libéré.
Cinq ans après la sortie de Joker (qui ne devait pas avoir de suite), voici donc Joker : Folie à deux (USA – 2h19. Dans les salles le 2 octobre) qui s’ouvre en dessin animé, façon Merrie Melodies (co-signé du Français Sylvain Chomet, connu pour Les triplettes de Belleville) dans lequel le Joker se bagarre avec une ombre qui veut son indépendance…

"Joker...": Lee (Lady Gaga) et le Joker. DR

« Joker… »: Lee (Lady Gaga) et le Joker. DR

Todd Phillips revient derrière la caméra pour une approche cette fois, très musical de son récit. Bien sûr, le film s’inscrit dans deux sous-genres bien déterminés : le film de prison et le film de procès mais en y intégrant de multiples références aux grandes heures de la comédie musicale, avec, par exemple, Fred Astaire chantant That’s Entertainment. On entend aussi Get Happy, Fly Me to the Moon, That’s Life, voire même une variation sur le Ne me quitte pas de Brel.
Si le thriller perd, petit à petit, de son rythme et peine alors à captiver, il reste qu’on demeure impressionné par la brillante performance d’un Joaquin Phoenix, toujours aussi habité. Le visage émacié, l’oeil brûlant, le mot rare puis entraîné dans un torrent verbal, son Arthur Fleck est à la fois pathétique et effrayant. A ses côtés, Lady Gaga (qu’on avait vu, pour la dernière fois au cinéma, dans House of Gucci en 2021) est crédible dans le personnage trouble et tordu de Lee Quinzel. Sur les ailes de la transe…

"Ma vie...": Barbie (Agnès Jaoui) plane... DR

« Ma vie… »: Barbie (Agnès Jaoui) plane… DR

SOLITUDE.- Dire que Barberie Bichette est complètement à l’ouest, est un doux euphémisme. Celle qu’on appelle à son grand dam, Barbie, a peut-être été belle, peut-être été aimée, peut-être été une bonne mère pour ses enfants, une collègue fiable, une grande amoureuse, oui peut-être… Mais aujourd’hui, c’est noir, c’est violent, c’est absurde et ça la terrifie : elle a 55 ans (autant dire 60 et bientôt plus !). C’était fatal mais comment faire avec soi-même, avec la mort, avec la vie en somme…
Alors Barbie parcourt l’existence comme une sorte de zombie. Oh, pas un méchant zombie mais un zombie quand même. Qui traverse sans s’arrêter la salle de réunion de son boulot dans la com’ ou qui croise, dans un jardin public à l’heure du déjeuner, Philippe Katerine.
Avec Ma vie ma gueule (France – 1h39. Dans les salles le 18 septembre), Sophie Fillières invite le spectateur à observer un monde dont l’inintelligible parfois nous dépasse, nous écrase, nous effraie et parfois nous rehausse, nous hisse, là où on ne s’y attend pas. Voici, entre sourire et détresse, une manière de conte fortement poétique dans ce sens où il déstabilise et émeut tout à la fois.

"Ma vie...": Philippe Katherine et Agnès Joui. DR

« Ma vie… »: Philippe Katherine et Agnès Joui. DR

Emportée par la maladie le 31 juillet 2023 alors qu’elle venait d’achever le tournage de son film, la cinéaste de 58 ans, expliquait à propos de son dernier film : « Je voudrais essayer de traiter de plein fouet, pif, paf, youkou !, comment se débrouiller et faire avec l’énigme de soi. Car nous en sommes toutes et tous une. Comment nous admettre comme personnage, ce qui nous inscrira enfin dans une histoire qui serait la nôtre propre ? »
Bien sûr, il faut, ici, se laisser prendre, se laisser promener par le bout du nez sous peine de décrocher assez vite. Mais, comme la cinéaste, on peut faire confiance à cette épatante comédienne qu’est Agnès Jaoui. Habituée des rôles « normaux » bien ancrés dans le réel, elle s’offre, ici, de la fragilité, de l’instable, du déséquilibre. Avec elle, Barbie se débat comme elle peut sur le fil à peine encore assez tendu, en équilibriste trompe-la- mort, trompe-la-détresse, trompe-le-craquage…

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