Des neiges d’Iran au sable de l’Arizona 
MERE.- A Hambourg, un homme achète trois valises. C’est un voyage important qui l’attend avec son jeune fils Alborz et Dena, sa grande adolescente. Si le gamin est enthousiaste de partir, c’est qu’il s’agit de retrouver une mère qu’il n’a plus vu depuis six ans. Dena qui refuse de partir, est en colère contre cette mère qui semble ne guère se préoccuper d’eux.
A Téhéran, dans un quartier discret, loin des regards et des médias, Maryam sort d’une voiture banalisée. Mais c’est clairement un policier qui la confie à son frère en lui disant qu’il le tient pour responsable. La mère de Dena et Alborz, en sortant, retire son châle et libère son ample chevelure brune et bouclée. Tout en lançant un regard de défi à la suppléante policière vêtue de noir des pieds aux yeux… Militante des droits humains et figure de l’opposition en Iran, Maryam est détenue depuis longtemps dans la sinistre prison d’Evin. Le régime islamique lui a octroyé une permission de sortir de sept jours. Grâce à différents passeurs, elle va pouvoir rejoindre, à travers des montagnes inhospitalières, sa famille venue s’installer dans une maison quelque part en Turquie, non loin de la frontière iranienne.
7 jours (Allemagne – 1h56. Dans les salles le 6 août), c’est donc le temps de liberté imparti à Maryam. Un espace qui sera aussi celui d’un véritable déchirement pour cette femme qui ne conçoit pas son existence hors du combat qu’elle mène au sein de son pays. Mais qui, cependant, se sent tout à fait légitime face à son mari qui la soutient tout en souffrant de son absence mais surtout en mère face à ses deux enfants.
L’idée du film est née d’une conversation entre le réalisateur Ali Samadi Ahadi et son confrère Mohammad Rasoulof, connu notamment pour avoir signé Les graines du figuier sauvage (2024). Celui-ci lui a envoyé un scénario, inspiré de Narges Mohammadi, figure emblématique de la lutte pour les droits humains en Iran et prix Nobel de la paix 2023. « On retrouve dans le film, dit le cinéaste, certains éléments tirés de sa vie : son mari, ses enfants qui vivent à l’étranger, les multiples séjours en prison, sa santé fragile…. » Cependant c’est la fiction qui l’emporte puisque le film explore une question morale : que se passerait-il si une femme comme Maryam avait la possibilité de quitter l’Iran pour retrouver ses enfants ? Accepterait-elle ce choix ? Ou déciderait-elle de poursuivre la lutte, au prix de tout le reste ?
En occultant complètement -sinon à travers un passeur qui lui glisse : « L’Iran est fière de vous »- la dimension politique et militante du parcours de Maryam (Narges Mohammadi a été libérée à plusieurs reprises pour raisons médicales mais a toujours fait le choix de rester en Iran), Ahadi mêle un thriller intérieur sur l’exil et une chronique familiale intimiste, intense et constamment sous tension. Ainsi cette scène bouleversante où Maryam aperçoit ses enfants jouant dans la neige. Elle les regarde de loin, mais décide de ne pas s’approcher. Le simple fait d’aller vers eux, elle le sait, pourra bouleverser sa vie.
Fasciné, dit-il, par la force des femmes d’Iran et par le fait qu’elles sont discriminées à tous les niveaux de la société, le cinéaste, à travers le portrait de cette Myriam qui dit « La peur et la fuite ne sont pas des solutions », leur rend un bel et émouvant hommage. Pour incarner Maryam, Ali Samadi Ahadi a trouvé, en Vishka Asayesh, une interprète exceptionnelle.
Vishka Asayesh est une immense actrice en Iran. Elle est connue depuis l’âge de 18 ans et a joué dans les plus grandes productions. Tout a changé en 2021, après la mort de Mahsa Jina Amini. Elle prend alors une décision radicale en refusant de continueréà porter le hijab à l’écran. Elle a été bannie du jour au lendemain. 7 jours est son premier film sans voile. Et c’est poignant.
VAMPIRE.- Au 15e siècle, dans une région reculée des Balkans, Vlad, prince de Valachie, est un seigneur redouté pour ses qualités de combattant. Une fois de plus, pour défendre son territoire, il est amené à combattre un ennemi qu’il met en déroute. Hélas, Vlad ne peut rien contre la perte d’Elisabeta, la femme de sa vie, tuée sous ses yeux par des soldats. Il implore un ecclésiastique de demander à Dieu de ramener celle qu’il aime à la vie. Mais le prêtre répond que c’est impossible et Vlad le transperce avec sa crosse… Il est alors frappé d’une malédiction. Le voilà condamné à errer à travers les siècles. Il devient le prince Dracul, un vampire qui n’a qu’un seul but dans l’existence : retrouver son amour perdu. Dans son château de Roumanie, le comte reçoit Jonathan Harker, un clerc de notaire, qui vient lui proposer une demeure à Paris. Jonathan porte autour du cou un collier avec une médaille qui contient la photo de Mina, sa fiancée. En voyant l’image, Vlad est bouleversé. Et si cette Mina n’était autre que la femme de sa vie !
400 ans plus tard, dans Paris où vient de s’élever la tour Eiffel, le prince Vlad va croiser la douce et fragile Mina qui ressemble, effectivement, à sa chère Elisabeta…
Le bon vieux vampire cher à Bram Stocker en aura eu des adaptations cinématographiques. En conservant son nom de Dracula ou… pas, comme ce fut le cas pour le célébrissime Nosferatu (1922) de Murnau qui ne voulait pas (ou ne pouvait pas) payer les droits d’auteur à la famille Stocker.
Après Tod Browning, Terence Fisher, Francis Ford Coppola ou encore Robert Eggers qui signa, l’an dernier, un nouveau Nosferatu, c’est donc Luc Besson qui s’y colle !
L’idée de son Dracula (France/Grande Bretagne – 2h09. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 30 juillet) est née, semble-t-il d’une discussion avec le comédien américain Caleb Landry Jones, qui tint en 2023 le rôle principal du DogMan de Besson. Le cinéaste et l’acteur évoquaient les potentiels rôles qui pouvaient convenir à Landry Jones. Et voilà comment le nom de Dracula apparut et comment Luc Besson se mit à écrire un scénario d’après Bram Stocker.
Avec un budget de 45 millions d’euros, Dracula est le film français le plus cher de 2025 même si on est loin des 197 millions d’euros du blockbuster de Luc Besson Valerian et la Cité des mille planètes (2017). Mais, de fait, l’argent, incontestablement, est sur l’écran ! Le réalisateur du Grand bleu n’a pas lésiné sur les costumes, les perruques, les maquillages, les décors, les effets visuels et il peut même proposer une b.o. écrite, dans une première collaboration entre les deux artistes, par Danny Elfman, le compositeur fétiche de Tim Burton… Besson n’hésite pas non plus à en mettre plein la vue avec cette aventure aussi gothique que kitsch. Mais Besson a toujours été un baroque et son objectif, c’est de faire du spectacle. Donc, sur un fond de drame romantique amoureux, le cinéaste distille (un peu trop longuement à notre goût) sa propre vision vampirique fortement saturée. Avec son faux air de Willem Dafoe, Caleb Landry Jones est un Dracula qui vaut bien ses prédécesseurs face à Christoph Waltz en prêtre exorciste sûr de son fait et convaincu que la gousse d’ail ne fonctionne pas contre les suceurs de sang. Tape-à-l’oeil mais pourquoi pas.
VOLANT.- Inutile de se raconter des histoires, la carrière de Sonny Hayes est derrière lui. Dans les années 90, oui, il était un prodige de la F1. Mais un terrible accident de course a rebattu les cartes. Alors, si le sourire craquant est toujours là, Sonny se promène dans son vieux camping-car en affectant de ne pas s’en faire. Accro aux jeux d’argent, marié plusieurs fois, il tente de satisfaire son ancienne passion (et ses besoins d’argent) dans des courses de moindre envergure. Alors qu’il pilote à Daytona, Sonny voit débarquer son vieil ami Ruben Cervantès. Propriétaire d’écurie aux abois, Ruben réussit à convaincre Sonny de revenir dans le circuit, en sauvant la team (fictive) Apex GP et en prouvant au monde automobile qu’il est toujours le meilleur.
Ruben (Javier Bardem) entend faire de Sonny le n°2 de l’écurie au côté de Joshua Pearce, un surdoué à dégrossir mais prêt à devenir une star du volant. Sûr de lui, le gamin n’a cependant aucune envie de se faire marcher sur les pieds par ce has-been, persuadé qu’il n’a strictement rien à apprendre d’un vrai loser. Quant à Sonny, il réalise immédiatement qu’en F1, son coéquipier est aussi son plus grand rival, que le danger est partout et qu’il risque de tout perdre.
Co-produit notamment par Lewis Hamilton, le septuple champion du monde de Formule 1, F1 (USA – 2h35. Dans les salles le 25 juin) tombe à pic sur le marché hollywoodien. Le film réalisé par l’expérimenté Joseph Kosinski (Top Gun : Maverick en 2022 et plus de six millions de spectateurs en France) arrive en effet au moment où les Etats-Unis s’intéresse de près désormais à la F1 après le succès de Drive to Survive, la série documentaire Netflix dans un pays où c’était la NASCAR qui passionnait surtout les fans de gros bolides. Et la production a mis les petits plats dans les grands en offrant au sexagénaire Brad Pitt de se glisser dans la combinaison blanche de Sonny Hayes !
Disons-le clairement, malgré une durée de 155 minutes, F1 tient parfaitement la distance et le spectateur n’a pas le temps de souffler en suivant tout à la fois les relations difficiles entre Hayes et Pearce (Damson Idris), la romance qui s’amorce entre Sonny et Kate McKenna, la directrice technique d’Apex et évidemment les courses qui se succèdent à Silverstone, au Hungaroring, à Monza, Zandvoort, Suzuka, Spa-Francorchamps, Las Vegas ou Abu Dhabi. S’appuyant sur une bande son de Hans Zimmer, le film a été tourné pendant des week-ends de Grands Prix, les scènes étant mises en boîte entre les séances officielles. Pour renforcer encore le réalisme du film, des caméras miniatures ont été installées sur les voitures, permettant des prises de vue dynamiques et offrant une épatante expérience visuelle.
Alors que Kate (qui a élaboré une nouvelle pièce aérodynamique qui va booster les voitures) et les responsables de l’écurie tambourinent qu’une course de F1 est une affaire d’équipe, Sonny Hayes, lui, la joue solo. En piste, il connaît tous les trucs, y compris les plus limites, pour s’imposer. Et, on vous donne en mille, il va mener Apex à la victoire… Alors, tel les cow-boys de légende, il peut s’éloigner dans le soleil, laissant les siens désormais unis et confiants…
VIOLENCE.- Un couple s’enlace, amoureusement. Pourtant, dans le regard de la jeune femme, il y a comme une lassitude, une tristesse… Le tram arrive. Laura, la trentaine, s’en va. Sur son téléphone, des messages qui la font sourire. Cette jeune femme travaille comme sculptrice dans un atelier où viennent des enfants. Lou, la fille de Laura, voudrait bien aller à Pompeï en voyage scolaire et glisse que sa copine a « une mère sympa qui a de l’argent ». Laura craque. Putain de loyer et de voyage scolaire de merde avant de s’excuser : « Je fais ce que je peux ». Laura galère, élève seule sa petite fille et tente de se reconstruire après une relation tumultueuse avec Joachim. Elle mène une vie en apparence tranquille. En allant sur des sites de rencontres, elle confie qu’elle n’a fait l’amour qu’une seule fois en trois ans et admet que « le contact physique lui manque parfois ». Amusée, car il est l’exacte inverse des hommes avec lesquels elle a vécu jusque là, elle accepte la proposition de son collègue Lazare : « Je te fais le plat que tu veux ». Lorsque Laura croise Joachim, qui veut voir sa fille, très vite les choses se passent mal. Elles vont encore empirer lorsque Shirine, la nouvelle compagne de Joachim, est victime d’un accident qui fait aussi ressurgir le passé de Laura. Les deux femmes, en proie à la violence du même homme, vont peu à peu se soutenir…
Aux jours qui viennent (France – 1h40. Dans les salles le 23 juillet) est le premier long-métrage de Nathalie Najem, connue comme scénariste d’Edouard Delluc, Cédric Kahn, Anthony Cordier, Laurent Achard ou Laurence Ferreira-Barbosa. Elle donne, ici, une forte chronique sur l’expérience de l’emprise et de la violence. Dans le film, le drame n’est pas vécu par une seule femme mais par deux, ce qui ouvre la voie à l’après, après la violence, après la séparation.
En se confrontant à la difficulté des relations entre ex-conjoints, la cinéaste voulait aussi sortir des clichés qui entourent ces sujets, d’autant que l’actualité fait surgir régulièrement des histoires autour de ce thème.
Si Aux jours… dresse le portrait intéressant et nuancé de deux femmes qui, en se soutenant, font que la honte s’amenuise et que la solidarité puis la sororité prennent le dessus, en face d’elles, se dresse Joachim, un homme toxique qui exerce sur son entourage une emprise psychologique.
« C’est une violence de contrôle, dit la cinéaste. Il n’arrête pas de faire la leçon. À sa mère, à sa fille, à sa compagne, à son ex. Il leur dit tout le temps ce qu’il faut faire. À défaut de contrôler sa propre vie. »
Zita Hanrot, applaudie dans Fatima (2015) de Philippe Faucon, est une Laura qui passe par des phases sombres et solaires. Mais elle est debout, elle construit, elle avance alors que Joachim ne fait que s’accrocher à sa nouvelle femme. On découvre Alexia Chardard (apparue dans Mektoub, my Love : canto uno (2017) d’Abdellatif Kechiche) dans le rôle de Shirine, scientifique et jeune femme aussi amoureuse que troublée qui hésite longtemps à mettre la loi entre elle et Joachim. Ce dernier est incarné par Bastien Bouillon (vu récemment dans Partir un jour) qui apporte une douceur, une féminité même, un look de fils de bonne famille, à un type qui commet des actes vraiment détestables…
PLEIN.- Le soleil tape dur, la route est droite, poussiéreuse, vide, infiniment longue. Il ne manque que les gros buissons secs qui tourbillonnent dans le vent. Nous sommes quelque part dans un coin complètement perdu de l’Arizona. Au volant de sa petite voiture plus vraiment neuve, un représentant en couteaux de cuisine japonais constate qu’il n’est plus très loin de la panne d’essence. Là station-service tombe à pic. Las, Vernon, l’imposant pompiste noir, soupire : « Nous sommes à sec. On attend le camion de livraison d’un heure à l’autre… » Et, prévient-il, la prochain station est loin, très loin. « Si vous voulez, vous pouvez aller boire un café juste à côté… »
Déposée par son shérif de mari, Charlotte vient ouvrir son Diner. Après avoir attendu dans sa voiture, le représentant pousse la porte. Il est le premier client de Charlotte qui lui apporte du café. Ils auront le temps de discuter un peu, des couteaux japonais et de la petite fille du représentant qu’il va rejoindre à l’occasion de son anniversaire. Charlotte lui emballe un part de tarte à la rhubarbe pour la gamine… La clim’ du Diner ne fonctionne pas mais la radio annonce que deux malfrats ont braqué une banque d’une ville voisine. Et si c’était justement les deux types inquiétants qui viennent d’entrer dans l’établissement ?
Avec Last Stop : Yuma County (USA – 1h31. Dans les salles le 6 août), le réalisateur américain Francis Galluppi signe son premier long-métrage mais ce touche-à-tout qui écrit, réalise, produit, monte et compose la musique de tous ses films, a été remarqué avec un premier court-métrage Hugh Desert qui a remporté de nombreuses récompenses dont le Wes Craven Award au Festival International du Film de Catalina en 2019. Avec son court-métrage suivant, The Gemini Project, Galluppi a obtenu le prix du meilleur court-métrage, section Science-Fiction/Fantastique, au Festival International du Film de Burbank en 2020.
Last Stop… est une sorte de film néo-noir mâtiné des codes du western classique. Ici, une série de personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer, se retrouvent dans un Diner en attendant de pouvoir reprendre la route. Evidemment, les choses ne vont pas se passer normalement et le Diner (pour les connaisseurs de l’Arizona, le cinéaste s’est inspiré du Four Aces, une station- service/diner/motel de Lancaster) va carrément devenir un personnage central du récit. Très emblématique de l’univers américain, tant au cinéma que dans la peinture (on se souvient du Nighthawks, le fameux Diner peint par Edward Hopper en 1942), ce lieu va devenir le théâtre d’un brutal et inattendu déferlement de violence au fur et à mesure que les protagonistes poussent la porte. C’est ainsi que, sous le regard de Charlotte, la tenancière du Diner, le représentant de commerce anonyme et insignifiant va être rejoint par deux truands, l’un glacial, méticuleux et réfléchi, l’autre mal dégrossi, stupide et impulsif, par un couple de retraités texans, deux petits marlous dont une jolie rousse… Tous incarnés par des comédiens peu connus (à l’exception de Jim Cummings, le représentant) mais tous savoureux.
Histoire de plein qui s’achève sur un grand vide, Last Stop… se conclut en dehors du Diner mais, alors, le rythme du film chute un peu. C’est bien dans les lieux, entre le bar et les banquettes rouges, que cette histoire bien déjantée prend tout son sel. On songe aux frères Coen, à Tarantino, à Sam Peckinpah. Et c’est un compliment.
Le vent du chaos souffle dans Eddington 
Dans un paysage de désolation, tandis que la nuit est tombée et que le vent balaye de longues rues vides, un pauvre bougre en haillons traverse ces larges espaces en vociférant à l’envi des propos incompréhensibles mais qui pourraient bien être des menaces… Est-ce l’alcool, la drogue, la colère, le désespoir, la schizophrénie qui animent ce type ? En tout cas, dans Eddington, ses cris ne semblent pas surprendre plus que cela. Et si ce malheureux, outsider à la dérive, était emblématique de beaucoup de gens frustrés en Amérique ?
Quelque part, au coeur du Nouveau-Mexique, Eddington est un grand bled sans attrait particulier. On vit là sans doute parce qu’il faut bien vivre quelque part et d’ailleurs les habitants ne montrent guère le bout de leur nez. Pourtant cette localité va connaître une aventure de plus en plus chaotique lorsque le shériff local Joe Cross décide de s’opposer, dans la course à la mairie, au maire sortant Ted Garcia (Pedro Pascal). Le shériff semble manquer d’arguments politiques pour engager ce combat mais cela ne l’empêche en rien de relever le gant. D’ailleurs, il a déjà transformé son véhicule de police en… panneau électoral. Avec des arguments plutôt douteux.
Nous sommes en mai 2020, la pandémie de Covid-19 bat son plein et bientôt Eddington va se transformer en véritable poudrière. Le maire porte le masque, le shérif n’en a que faire. Une raison de plus d’aller à l’affrontement. D’autant qu’avec son charisme décontracté et son aisance désabusée, Garcia, à la fois entrepreneur et patron du bar de la ville, a tout pour agacer Cross par sa complaisance teintée d’hypocrisie.
Eddington est le quatrième long-métrage de l’Américain Ari Aster après deux films d’horreur psychologique (Hérédité en 2018 et Midsommar en 2019) qui ont frappé les amateurs du genre par un sens du choc visuel dérangeant mâtiné d’un humour plutôt tordu. Mais le cinéaste caressait depuis fort longtemps, probablement depuis ses études à l’American Film Institute, le désir de réaliser un western contemporain. Mais, avant de passer à l’acte avec Eddington, Aster tourna encore Beau is Afraid (2023), un récit surréaliste et bien barré qui lui permit de rencontrer Joaquin Phoenix qui se glisse, ici, dans l’uniforme du shériff Cross.
Si le western a longtemps obéi à des codes et des stéréotypes précis, le genre a aussi permis aux cinéastes d’aborder frontalement les traumatismes et les mythes fondateurs de l’Amérique que sont le pouvoir, le territoire, la justice et l’identité. À partir du conflit entre le shérif et le maire, le nouveau film d’Aster apparaît comme une relecture contemporaine du genre, miroir d’un combat plus large pour l’âme du pays. Le film troque les lassos et les hors-la- loi pour les armes symboliques de l’époque actuelle. D’ailleurs, Eddington s’achève sur un vaste plan aérien du data center qui fait la fierté des nouveaux édiles de la ville mais qui se présente pourtant comme une forteresse menaçante et fascinante. Pour le cinéaste, son film parle, au bout du compte, des périls que fait courir à la société le progrès technologique quand il est hors de contrôle.
Eddington entraîne le spectateur dans un maelstrom cauchemardesque sous la forme d’une comédie grinçante et audacieuse jusqu’à susciter le malaise. D’ailleurs Lodge, le pauvre hère du début, le parfait laissé-pour-compte, finira la face dans la sciure du saloon local…
Si le film impressionne, c’est parce qu’au-delà de sa violence grandissante, il décrit l’Amérique profonde avec des gens ordinaires, faillibles, qui croient sincèrement défendre le bien commun. Si Joe Cross est très « westernien » dans sa manière de prendre les armes et de faire le ménage sans ménagement, c’est sans doute le personnage de Louise, l’épouse (très) perturbée du shérif, qui procure le malaise le plus fort.
Encore traumatisée par une enfance douloureuse, cette femme terne (Emma Stone) s’est réfugiée dans la fabrication de poupées et dans les théories du complot en ligne. Manipulée par des groupes répandant des idées conspirationnistes qui ont prospéré au plus fort de la pandémie, elle a sombré dans un univers proche de l’idéologie Qanon. Et ses anciennes blessures conjuguées aux messages qu’elle lit sur le web l’ont fait basculer dans un abîme très sombre. D’autant que Dawn, sa mère, est gagnée aussi par toutes sortes de théories complotistes glanées en ligne. La présence de Dawn crispe encore plus les rapports déjà tendus entre la mère et la fille et aussi au sein du couple.
Tandis que Joe Cross (Joaquin Phoenix, habité comme à son habitude) se débat avec les injonctions fédérales, peine à faire décoller sa campagne électorale et bataille avec les jeunes tenants du mouvement Black Lives Matter, Louise et Dawn versent dans une vénération pour Vernon Jefferson Peak, un gourou qui affirme avoir été exploité sexuellement et propose à ses disciples une mise en scène mêlant réconfort et rédemption. Marquée par sa propre histoire, Louise, proie facile, est fascinée par cet enchanteur maléfique qui parle à cœur ouvert des blessures qu’il prétend avoir subies.
« À mes yeux, explique Ari Aster, l’ennemi commun dans le film, c’est la ‘distraction’. On vit dans un système en déliquescence, où les combats politiques nous hypnotisent pendant que la tech et le capital resserrent leur emprise. Le résultat, accéléré par le Covid, c’est que les gens sont impuissants dans ce système et qu’ils ont été privés de tout levier d’action réel sur le monde. Le contrôle de l’information et des données est devenu un privilège réservé à une élite, et le système fonctionne d’autant mieux si les soupçons et la colère des gens sont dirigés vers leurs voisins. La vieille croyance selon laquelle la démocratie est un contre-pouvoir face à une autorité débridée a disparu. La pandémie a coupé le dernier lien. Pourtant, un pouvoir – un pouvoir immense – s’exerce sur la société et on n’a pas encore trouvé le moyen d’y faire face. Mais il va falloir qu’on y arrive. »
En cherchant à affronter ce pouvoir, justement, les personnages d’Eddington basculent dans une forme de folie. Et le tableau donne singulièrement le frisson.
EDDINGTON Western contemporain (USA – 2h27) d’Ari Aster avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone, Austin Butler, Luke Grimes, Deirdre O’Connell, Micheal Ward, Clifton Collins Jr., William Belleau, Amélie Hoeferle, Cameron Mann, Matt Gomez Hidaka. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 16 juillet.
Les dinosaures, l’influenceuse et les vacances en famille 
GENETIQUE.- Il faut se rendre à l’évidence, les dinosaures n’intéressent plus grand-monde. D’ailleurs le florissant Jurassic Park a (tristement?) fermé ses portes. Pire, notre planète s’est révélée de plus en plus inhospitalière pour ces grosses bêtes. Les dinosaures -et parmi eux les bêtes les plus dangereuses- qui subsistent vivent désormais isolés dans des environnements réduits aux confins de l’Equateur dont les climats sont proches de ceux dans lesquels ils s’épanouissaient autrefois. Ces zones-là sont strictement interdites à tous les humains. Mais il se trouve qu’un grand groupe de recherches médicales et pharmaceutiques ambitionnent de créer un médicament-miracle qui permettrait de lutter contre les maladies coronariennes de la planète et même de carrément sauver l’humanité. Mais, pour cela, il faut prélever du sang sur trois spécimens différents parmi les créatures les plus monstrueuses de cette biosphère tropicale… Mandaté par son groupe, Martin Krebs constitue une équipe pour mener à bien cette mission ultra-confidentielle de prélèvements génétiques. On y trouve Zora Bennett, une ex des forces spéciales reconvertie dans les opérations secrètes et rentables, son bras droit Ducan Kincaid ou encore le docteur Henry Loomis, un spécialiste de paléontologie… Lorsque ces derniers arrivent sur site, en l’occurrence en pleine mer, ils tombent sur une famille de civils naufragés dont l’embarcation a été renversée par des dinosaures aquatiques en maraude. Tous vont être bloqués sur une île non répertoriée qui abritait autrefois un centre de recherche secret…
Il est déjà loin le temps -c’était en 1993- où Steven Spielberg ouvrait les portes de Jurassic Park. Le même Spielberg enchaîna, en 1997, avec Le monde perdu : Jurassic Park avant de passer la main à des collègues moins connus tout en demeurant producteur délégué. Réalisé par Gareth Edwards, Jurassic World : Renaissance (USA – 2h13. Dans les salles le 4 juillet) est ainsi le septième opus d’une saga à succès. Autant dire qu’on est en pays de connaissance. Les dinosaures ne nous surprennent plus vraiment même si le premier qui entre en piste dans l’océan semble faire un petit clin d’oeil à une autre star spielbergienne, le fameux requin des Dents de la mer. Bref, on suit tout cela du coin de l’oeil, en appréciant paisiblement les scènes d’action (avec Scarlett Johansson en baroudeuse malicieuse) et en devinant, de manière un peu cynique, quels personnages vont passer à la casserole. Pour Martin Krebs, aucun doute. Il va y rester. Comme il se doit pour le « méchant » du film. Dernier clin d’oeil, parmi les dinosaures mutants qui peuplent l’île perdue, on a remarqué une (grosse et sale) bestiole qui ressemble étrangement au monstre imaginé par le Zurichois H.R. Giger pour le premier Alien (1979). Vérification faite, Spielberg n’est pas dans le coup d’Alien. C’est donc un pur hommage à un grand film de terreur!
INTERNET.- Magalie Moreau est née le 12 mars 1989, le jour où Internet était mis à la disposition du grand public. Autant dire qu’elle était, d’une certaine manière, marquée par la prédestination. Mais c’est surtout une maladie rare qui a fait basculer la vie de cette étrange adolescente. En effet, Magalie est absolument insensible à la douleur. Alors, parce que son père regarde beaucoup de vidéos, la gamine se lance. Elle décide de se filmer en… action. « Salut c’est Magaloche et je teste pour vous… » Les « tests » porteront sur une batterie de voiture qui l’électrocute, sur un marteau qui écrase sa main, une machine à coudre qui lui pique les doigts ou encore une batte de baseball lancée à vive allure par une voiture de course qui lui cogne la tête… Le bras dans le plâtre et avec un appareil dentaire qu’elle ne peut retirer, Magalie, accompagnée de Patrick, son assistant personnel, rentre dans un superbe chalet de montagne qu’elle vient d’acheter. Elle se retire là parce qu’un tournage est parti en vrille. En effet la dernière expérience prévue était la chute contrôlée d’un piano, suspendu par une grue. Pour que cela soit plus impressionnant, Magalie demande avec insistance au grutier de monter le piano encore plus haut, alors que la sécurité ne peut plus être garantie. Le piano tombe sans contrôle, et la coiffeuse personnelle de Magalie est tuée. De graves embrouilles se profilent…
L’accident de piano (France – 1h28. Dans les salles le 2 juillet) est le quatorzième long-métrage de Quentin Dupieux, un réalisateur qui a notamment établi sa réputation en tournant des films quasiment à jet continu, avec des budgets modestes et en accueillant de plus en plus de vedettes reconnues dans ses productions. Si le cinéaste a, lui-même, souligné que ses budgets n’étaient plus aussi modestes qu’avant, il reste que ses films portent une signature très reconnaissable placée sous le signe du délire décalé. Or c’est, ici, ce qui manque un peu. Certes, Magalie, avec ses « expériences », s’inscrit dans cette veine mais Quentin Dupieux s’attache surtout à dresser le portrait d’une « star » (richissime) des réseaux sociaux pour décrire l’imbécilité et l’inanité de ces derniers. Et, de fait, on se lasse de cette pauvresse inculte et odieuse qui se sait une « merde humaine de compétition ».
La journaliste qui réussit à décrocher la première interview de Magalie (contrainte par un chantage à l’accident de piano) lui demande : « Vous n’avez plus besoin d’argent, pourquoi continuez-vous ? » La réponse de Magalie est magnifique et interroge : « 20 000 secondes d’image en 15 ans, ce n’est pas tellement… » On le croit volontiers.
Comme on l’a dit, les comédiens aiment à venir tourner avec Quentin Dupieux. Ici, le cinéaste retrouve Adèle Exarchopoulos, déjà présente dans Mandibules (2020) et Fumer fait tousser (2022), qui s’est fait une tête improbable pour sa Magalie. Elle est entourée de Sandrine Kiberlain (la journaliste), Jérôme Commandeur (Patrick) et Karim Leklou, très drôle en fan bas du front. Pas le meilleur Dupieux mais se laisse quand même regarder.
SARDAIGNE.- « Ça y est, ça enregistre ! » Claudine empoigne son iPhone et capte l’histoire d’un voyage en Sardaigne… Qui commence dans une gare parisienne puis dans les couchettes d’un train et va se poursuivre dans une voiture à bord de laquelle on trouve Sophie, Jean-Phi son ami ainsi que Claudine, la jeune adolescente et Raoul, un petit bonhomme de trois ans. Qui va donner bien du fil à retordre à tous ceux qui l’entourent…
Avec L’aventura (France – 1h47. Dans les salles le 2 juillet), Sophie Letourneur tourne son sixième long-métrage et donne le second voyage d’une trilogie italienne entamée avec Voyages en Italie (2023) et dans lequel la cinéaste incarnait déjà Sophie, avec Philippe Katerine dans le rôle du lunaire Jean-Phi.
Sous ses allures de comédie ensoleillée, cette Aventura (clin d’oeil à la célèbre chanson de Stone et Charden de 1971 qu’on entend au générique de fin) est une sorte de « famille au bord de la crise de nerfs » pendant un périple transalpin. Entre « Merde, il est en train de faire caca sous la table », « Maman, j’ai envie de faire pipi », « Attention, le verre, il va tomber ça c’est sûr », « J’en peux plus de la chaleur », « Pourquoi j’ai un trou dans tous mes slips » ou « Je pense que les amortisseurs sont morts », Sophie Letourneur construit un kaléidoscope de moments, d’éclats, reliés non pas par une narration classique, mais par des liens plus souterrains.
« J’aime enregistrer, dit la réalisatrice, car je trouve trop beau ce qu’il se passe dans la vie. C’est pour prendre une empreinte de cette beauté, et tenter de la reconstituer et de la transmettre, de l’exprimer. »
Au fil de ce voyage inattendu et parfois franchement agaçant, Sophie Letourneur se penche sur des personnages pris dans les affres de leurs névroses, offrant aussi un portrait de chacun des rôles qu’on peut avoir au sein d’une famille, dans la fratrie, la parentalité, et aussi la place qu’on se donne à soi-même. Tous les personnages sont en transition. Claudine quitte l’enfance, mais est-elle déjà une ado ? Raoul devient un petit garçon qui va faire des phrases et gagner en autonomie. Bientôt la fin des couches et l’entrée à l’école, ce qui va permettre à Sophie d’avoir un petit peu moins de charge mentale, de récupérer un peu plus son corps et son espace qui sont accaparés pendant tout le film. Le couple va aussi pouvoir sortir la tête de l’eau pour décider ou pas de se quitter. Quand ils feront le point, ils diront : « C’était bien. Y’a rien à dire ? »
Moh Bida, un héros discret à Kaboul 
A l’ambassade de France de Kaboul, c’est le branle-bas de combat. Dans tous les bureaux, on s’affaire à récupérer du matériel sensible, à mettre en lieu sûr des disques durs comme des clés USB mais aussi à passer à la broyeuse des tas de documents officiels… Pas question de laisser tout cela tomber entre les mains des talibans qui ont pris le contrôle de l’Afghanistan et sont désormais entrés au coeur de la capitale Kaboul.
Le 15 août 2021, les troupes américaines s’apprêtent à quitter un pays où ils sont présents depuis vingt ans, achevant ainsi la plus longue guerre menée par les Etats-Unis. Dans la ville, les talibans font régner la terreur, abattant sans sourciller ceux qui font mine de s’opposer à eux ou qui, comme ce restaurateur, tente de mettre à l’abri son stock de bouteilles d’alcool. Au milieu du chaos, des milliers d’Afghans affluent, dans la Green Zone, vers le dernier lieu encore protégé: l’ambassade de France.
Au mépris du danger, le commandant Mohamed Bida, responsable de la sécurité, lui, a quitté, à bord d’un véhicule banalisé, l’ambassade français pour récupérer, en ville, son « frère » Sediqi, haut responsable des services secrets afghans, désormais pourchassé par les fondamentalistes islamistes.
Si Moh a réussi à ramener Sediqi à l’ambassade, il sait que sa tâche va être très rude, en l’occurrence organiser le départ des ressortissants français mais aussi de centaines d’Afghans terrorisés prêts à tout pour fuir leur pays. Une première opération, imaginée avec une navette d’hélicoptères, échoue. Désormais le convoi de la dernière chance sera une kyrielle de seize bus en route pour l’aéroport d’où ils pourront s’arracher à l’enfer de Kaboul.
Martin Bourboulon a fait ses premières armes de réalisateur dans le long-métrage avec la comédie Papa ou maman (2015) mais il s’est ensuite fait remarquer avec de grosses productions pour Pathé avec successivement Eiffel (2021) sur l’histoire d’amour (fictionnelle ?) entre l’ingénieur Gustave Eiffel et la jeune Adrienne Bourgès, durant laquelle va émerger l’idée de créer la tour Eiffel et surtout, en 2023, le diptyque Les trois mousquetaires : D’Artagnan et Les trois mousquetaires : Milady qui a réuni, sur les écrans français, près de six millions de spectateurs.
Pour Treize jours, treize nuits, le cinéaste retrouve Ardavan Safaee, le big boss de Pathé et le producteur Dimitri Rassam qui lui mettent en main 13 jours, 13 nuits : dans l’enfer de Kaboul, le livre du Commandant Mohamed Bida paru en 2022 chez Denoël. « La description très méticuleuse, dit le metteur en scène, dans le livre de l’opération d’exfiltration m’a fascinée. Mais c’est l’histoire de ces hommes et femmes forcés de fuir un pays qu’ils aiment qui m’a réellement bouleversé. Après mes précédents films, j’avais aussi envie de me confronter à un sujet plus contemporain avec une approche différente. »
Sur les pas du commandant Bida, Bourboulon a construit un solide thriller qui n’a rien à envier aux productions hollywoodiennes du même type. Le cinéaste a pris comme modèle le style très efficace (et violent) de Sicario (2015) de Denis Villeneuve sur la guerre, à la frontière entre les USA et le Mexique, entre la CIA et les narcotrafiquants. Mais on pourrait aussi bien évoquer le rythme de Zero Dark Thirty (2012) de Kathryn Bigelow qui retrace la longue traque d’Oussama ben Laden par la CIA.
Ici aussi, on s’inspire de faits réels puisque le film raconte l’aventure de Mohamed Bida, nommé attaché de sécurité intérieure de l’ambassade de France, après l’attentat (non revendiqué) du 31 mai 2017 dans le quartier des ambassades de Kaboul qui fit 150 morts et 463 blessés. Le commandant Bida est chargé de veiller sur le personnel de l’ambassade. En août 2021, il est l’un des principaux responsables de la sécurité de l’ambassade et, pendant « treize jours, treize nuits », il va assurer avec un petit groupe de policiers du RAID et en coordination avec l’ambassadeur David Martinon replié à l’aéroport, l’exfiltration de plusieurs centaines de personnes réfugiées à l’ambassade. « Bien au-delà de sa mission », il organise l’accueil et l’hébergement des employés afghans en possession d’un visa comme celui des ressortissants Français encore sur place.
Fils de harki, Bida connaît mieux que personne le sort qui serait réservé aux traducteurs et aux agents de sécurité, payant cher l’aide apportée aux Occidentaux, s’ils ne pouvaient quitter Kaboul. En trois jours, le nombre de retranchés dans l’ambassade de France grossit de 80 à 400 personnes… Moh et la petite dizaine de policiers vont s’occuper, seuls, de la logistique, de la nourriture, de l’hébergement et même de trouver des couches pour les bébés…
Martin Bourboulon s’attache à rendre palpable la tension permanente qui règne à Kaboul et plus précisément dans l’unique service diplomatique encore présent dans la Green Zone. Bida sait qu’il est embarqué dans une course contre la montre. Contraint de naviguer entre les ordres de ses patrons, les atermoiements du gouvernement à Paris mais aussi les réticences de ses collègues policiers, Bida va tout mettre en œuvre pour réussir ce qui a tout d’un coup de poker. Pris au piège, il décide de négocier avec les talibans pour organiser une dangereuse sortie de l’ambassade. Pour des négociations directes avec des responsables talibans forcément hostiles, il est bien obligé d’employer, comme traductrice, Eva, une jeune humanitaire franco-afghane. La scène de discussion où un petit chef taliban entraîne Moh et Eva à l’abri d’une guérite est troublante de violence prête à exploser… De même, les scènes de foule en panique sont impressionnantes tant on sent la peur d’un peuple qui veut fuir la terreur mais qui n’a pas envie de quitter son pays…
Comme on est au cinéma, Treize jours, treize nuits a besoin d’un héros. Il le trouve évidemment avec Moh Bida, un type humain en diable mais pleinement conscient de sa mission. Car le commandant Bida a tout bonnement un… job à accomplir. Et il ne peut se permettre de craquer même s’il retient sa main qui tremble ou ses larmes quand il apprend la mort de Nicole, la jeune GI américaine, tuée, le 26 août, dans un attentat perpétré par Daech à Abbey Gate, à proximité de l’aéroport de Kaboul. Face au chaos, Bida se montre courageux, déterminé et meneur d’hommes. Bourboulon a trouvé avec Roschdy Zem un interprète remarquable pour incarner un héros humain et humble. Autour de lui, gravitent une poignée de personnages forts, notamment deux femmes en l’occurrence Eva, la traductrice jouée par Lyna Khoudri et une journaliste (inspirée par Clarissa Ward, reporter pour CNN) à laquelle la Danoise Sidse Babett Knudsen, la mythique première ministre de la série Borgen, apporte toute l’intensité de son regard et de son jeu.
Dans l’avion qui ramène tout le monde en lieu sûr, Mohamed Bida se recroqueville sur lui-même, submergé par l’émotion. Quelques jours plus tard, il partait à la retraite après quarante années de service.
TREIZE JOURS, TREIZE NUITS Drame (France – 1h52) de Martin Bourboulon avec Roschdy Zem, Lyna Khoudri, Sidse Babett Knudsen, Christophe Montenez, Nicolas Bridet, Shoaib Saïd, Sina Parvaneh, Athena Strates, Jean-Claude Muaka, Yan Tual, Luigi Kroner, Fatima Adoum. Dans les salles le 27 juin.
Les vies de Chuck, le mal-être de Katia et l’envol de Rose 
EXISTENCE.- Dans la classe de Marty Anderson, un élève planche sur un texte de Walt Whitman. Quand soudain, la vie s’arrête. Exit l’étude du plus grand poète de la littérature américaine. Une partie de la Californie vient de disparaître dans le Pacifique. Pire que cela, les téléphones portables ne fonctionnent plus. Internet a aussi rendu l’âme. La télévision ne diffuse plus rien… sauf une étrange « pub » qui, avec le visage souriant d’un parfait comptable, salue les 39 merveilleuses années de Charles Krantz. Thanks Chuck ! Dans les rues de la ville, tout n’est qu’encombrements, embouteillages, désolation. Au point que les habitants abandonnent les voitures, partent à pied sans trop savoir où ils vont… Ici et là, on remarque le Thanks Chuck… Philosophes, Marty et son voisin sont bien obligés de constater que quelque chose se termine. La fin du monde, tout bonnement ? Dans le ciel, les étoiles et les planètes s’éteignent toutes.
Le comptable, on le retrouve, déambulant dans une ville où il est venu pour une réunion. Pas loin de là, une jeune musicienne de rue a installé sa batterie. Elle commence à jouer lorsqu’Arthur Krantz s’approche. Doucement, le comptable, gentiment étriqué, se met à bouger. Bientôt il se lance dans une chorégraphie aussi élégante qu’enlevée. Janice Halliday vient de quitter la librairie où elle a passé une journée de travail de sept heures. De plus, son petit copain l’a laissé tomber. Pas vraiment une journée de rêve ! Par la grâce de la musique et à cause de l’invitation de Chuck, elle va entrer dans la danse. Tous les deux offrent un superbe spectacle aux passants…
Ayant perdu ses parents dans un accident de la circulation, le petit Chuck est élevé par ses grands parents. Enfant, il passe une enfance heureuse. Sarah, sa grand-mère, est fan autant de cuisine que de rock. C’est elle qui lui donnera l’amour de la danse. Quant à Albie, son grand-père, c’est un homme des chiffres qui a malheureusement un penchant pour l’alcool. C’est pourtant avec lui que Chuck apprendra que la pratique des nombres est un art. Et puis, Albie garde les clés d’une pièce fermée de leur grande maison victorienne. Là haut, sous les toits, se cache un mystère qui ne cesse d’intriguer le gamin…
Après avoir déjà adapté plusieurs œuvres de Stephen King (Jessie en 2017 et Doctor Sleep en 2019), le réalisateur américain Mike Flanagan adapte, avec Life of Chuck (USA – 1h50. Dans les salles le 11 juin) une nouvelle presque joyeuse de l’un des auteurs les plus célèbres de la planète.
En trois chapitres qui remontent le temps, Flanagan raconte la vie extraordinaire d’un homme ordinaire. Le cinéaste se souvient avoir lu ce roman court pendant le confinement, en plein chaos, alors que tout semblait s’effondrer. « Pourtant, dit-il, ce texte parlait de beauté, de souvenirs, de la façon dont nos vies prennent sens quand on les regarde dans leur ensemble. Ça m’a profondément touché. Ce message me paraît encore plus important aujourd’hui. Le chaos est toujours là, mais cette histoire nous rappelle qu’il ne faut pas s’attarder sur les fins. Il faut célébrer ce qu’il y a entre le début et la fin — les liens, les moments, la création. Plus que jamais, des histoires comme celle-ci sont essentielles. Ma mission avec ce film était de présenter la réalité des enjeux de la vie de Chuck, mais de le faire sans désespoir ni cynisme. Et de souligner toutes les belles choses que King avait à dire sur la vie et l’art. Je n’ai jamais travaillé sur un projet aussi joyeux, un film qui ne contient pas une once de cynisme. »
Dans ce conte très lumineux et baigné d’onirisme, on entend revenir, comme un mantra, les mots de Whitman : « Je suis vaste. Je contiens des multitudes ». Comme l’existence de chacun, affirme le cinéaste. Avec une belle distribution (Tom Hiddleston, Chiwetel Ejiofor, Karen Gillan, Jacob Tremblay et Mark -Star Wars- Hamill), voici une aventure humaine teintée de tristesse mais qui séduit profondément.
AUTISME.- Katia flippe ! Dans l’open space de la petite société de communication où elle travaille comme documentaliste, la jeune femme ne sent pas à l’aise. Et comme la boîte annonce des licenciements économiques, Katia est encore un peu plus stressée. Elle répète : « Je suis virée ? » Pourtant elle fait bien son boulot et tout le monde loue son professionnalisme. Son amie Marie, avec qui elle pratique la boxe, lui dit bien de ne pas trop s’en faire, mais justement rien n’y fait. Fred, son amoureux avec qui elle vient de renouer après un moment de flottement, lui avoue qu’il est malheureux sans elle mais ajoute « Tu n’es pas la fille la plus simple non plus ! »
Quatrième long-métrage de cinéma de Lola Doillon (la fille de Jacques Doillon), Différente (France – 1h40. Dans les salles le 11 juin) est un film tout à fait malin qui fonctionne comme une comédie dramatique et même romantique lorsque se dessine la reprise du sentiment amoureux qui unit Katia et Fred. Mais, dans le même temps et sans que le propos ne devienne documentaire (à ce propos, la série Voyage en Autistan est tout à fait remarquable), Différente va s’imposer comme un magnifique portrait d’une jeune femme qui mène une vie ordinaire. Sa relation amoureuse avec Fred n’est certes pas un long fleuve tranquille d’autant qu’il imagine partir vivre avec elle au Conquet. Son travail, pourtant précis et sérieux, la met dans des états profonds de stress. Et elle se demande, sans comprendre, pourquoi elle est toujours si mal dans son être.
C’est lorsque, par hasard, son rédacteur en chef lui demande de préparer un reportage sur l’autisme que Katia va avoir, d’une certaine manière, la révélation de sa différence. Pour les besoins de son enquête, Katia assiste à un colloque et doit interviewer Romane Vainedeau, experte du sujet (interprétée par Julie Dachez, elle-même experte et conférencière sur l’autisme). Rapidement, elle entend parler d’Asperger, de trouble du spectre autiste sans déficience intellectuelle, du fait que les femmes autistes réussissent mieux à se camoufler socialement. Au gré de ses recherches, Katia va s’interroger sur son identité. Devant faire face au doute de Fred (Thibaut Evrard) et au déni de sa mère (Mireille Perrier), Katia va consulter une spécialiste et obtenir un diagnostic. « Vous n’êtes pas inférieure. Vous êtes différente » lui dit cette experte.
Si la cinéaste place au centre de son propos le cheminement amoureux de Fred et Katia pour observer le décalage des ressentis et des réactions (« Comment tu montres à quelqu’un que tu l’aimes ? » s’interroge le couple), pour confronter leurs états de doute, d’appréhension, de soulagement à leurs sentiments amoureux, Différente, qui se déroule dans les décors de Nantes, offre aussi une représentation de l’autisme éloigné des stéréotypes habituels. Lola Doillon, en s’entourant de spécialistes, évoque la difficulté du diagnostic, le manque de professionnels formés, le retard de la France, l’influence de la psychanalyse, la difficulté d’accès à l’emploi ou à obtenir les aménagements nécessaires. Mais tout cela passe tout en finesse car on ne perd jamais de vue Katia et son parcours de vie. La réalisatrice colle quasiment toujours à ce personnage fragile auquel sa mère se plait à rappeler l’enfant « sauvage » timide et craintive qu’elle était mais qui devenait très loquace quand elle devisait avec son amie imaginaire. Et finalement, une surprise viendra bouleverser le couple… Si Différente est une œuvre forte et intense, c’est dû aussi à l’interprétation incandescente de la comédienne et musicienne Jehnny Beth. On ne l’oublie plus !
EMANCIPATION.- Par un été chaud et étouffant, Rose et sa fille Sofia se rendent à Almeria, station balnéaire du sud de l’Espagne. Rose, qui se trouve clouée dans un fauteuil roulant, vient consulter l’étrange docteur Gómez qui pourrait soulager les souffrances de Rose dont les jambes se dérobent sous elle quand elle tente de se lever et de marcher. Jusque-là entravée par une mère possessive, Sofia se sent pousser des ailes surtout lorsqu’elle croise, sur la plage, l’énigmatique Ingrid. Cette baroudeuse libre et cool qui ne fonctionne que selon ses règles, fascine Sofia qui va peu à peu céder à son charme magnétique. Tandis que Sofia s’émancipe, Rose ne supporte pas de voir sa fille lui échapper. Bientôt de vieilles rancœurs qui pèsent depuis longtemps sur la relation entre les deux Britanniques vont éclater au grand jour…
Premier long-métrage de la scénariste anglaise Rebecca Lenkiewicz, Hot Milk (Grande-Bretagne – 1h32. Dans les salles le 28 mai) est une adaptation du roman éponyme de l’Anglaise Deborah Levy qui fut, à la parution du livre en 2016, comparée à Virginia Woolf.
Après avoir notamment travaillé comme scénariste sur deux portraits de femmes (Ida de Pawel Pawlikowski en 2013 et Déobéissance de Sebatian Lelio en 2017) puis sur She Said (2022) de Maria Schrader sur la naissance du phénomène #MeToo, Rebecca Lenkiewicz s’attache, ici, à un nouveau projet autour de trois femmes prises, chacune à sa manière, dans un solide dilemme. Sur une terre étrangère où elles sont venus dans l’espoir d’une potentielle « guérison », la mère et la fille vont être amenées à s’éloigner l’une de l’autre. Malgré les efforts de Gomez, Rose va devoir s’accepter tandis que Sofia va enfin s’arracher à une pesante dépendance en apprenant à s’imposer, poussée par Ingrid en révélateur amoureux. Evoquant la relation entre Sofia et Ingrid, Vicky Krieps, l’interprète de cette dernière observe : « Il y a des gens qu’on rencontre et qui vous accompagnent dans la vie, et d’autres qu’on rencontre et qui vous aident à grandir, à évoluer, à progresser. C’est douloureux pour Sofia, mais c’est ce qui va lui permettre de se projeter dans un nouvel avenir. »
A son directeur de la photo Christopher Blauvelt, la cinéaste a indiqué deux références pour créer l’univers visuel du film, d’une part Tous les autres s’appellent Ali (1974) de Fassbinder et certains aspects de 37°2 le matin (1986) de Beineix. Si l’action se passe en Espagne, le film a cependant été essentiellement tourné à… Marathon, station balnéaire populaire à une heure de route au nord d’Athènes et aussi dans la capitale grecque.
Si son récit est parfois hésitant et amène le spectateur a décroché, le film vaut par sa dimension féministe et par sa belle interprétation avec Fiona Shaw (Rose), une grande dame de la scène et du cinéma britannique, la Franco-anglaise Emma Mackey (vue dans Eiffel de Martin Bourboulon en 2022) qui incarne une Sofia étouffée puis bouleversée et enfin la Luxembourgeoise Vicky Krieps, découverte dans Phantom Thread (2017) de Paul Thomas Anderson, qui passe comme une lumineuse et torride étoile filante.
Docteur Freud et Mister Lewis 
A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, Sigmund Freud s’est réfugié à Londres, en compagnie de sa fille Anna. Sous l’effet de l’âge et de la maladie, la figure emblématique de la psychanalyse s’est changée en un vieillard aigri et capricieux. Tournant en rond dans son grand appartement du 20 Maresfield Gardens, dans les beaux quartiers d’Hampstead au nord-ouest du Grand Londres, Freud souffre d’un cancer de la bouche qu’il tente de « soigner » en mélangeant whisky et morphine. Il mène aussi la vie dure à Anna en refusant de recevoir Dorothy Burlingham, la compagne de sa fille. Mais la curiosité de Freud est piquée au vif lorsqu’un certain C.S Lewis, professeur de littérature anglaise à Oxford, romancier et chrétien revendiqué, le mentionne dans l’une de ses publications. C’est ce C.S. Lewis qui sonne à la porte de Freud. Anna est partie donner un cours à ses étudiants. Rapidement les deux hommes vont s’affronter à fleuret moucheté autour de la question de Dieu…
Freud – La dernière confession est l’adaptation de Freud’s last session, la pièce de théâtre de Mark St. Germain, elle-même inspirée d’un ouvrage intitulé The Question of God rédigé par Armand Nicholi, docteur en psychiatrie et professeur à Harvard. Pour le cinéaste américain Matthew Brown, Nicholi « a envisagé Freud comme un prisme à travers lequel explorer la question de l’athéisme, puis a présenté C.S. Lewis comme un contrepoint, représentant le christianisme. L’idée que ces deux géants intellectuels décident de se rencontrer pour débattre de questions aussi fondamentales m’a particulièrement séduit. Bien sûr, il s’agit d’une œuvre de fiction, d’un rêve. Mais l’idée que deux personnes choisissent de s’engager dans une discussion sur une question aussi controversée que l’existence de Dieu, et qu’elles le fassent avec la volonté sincère d’échanger, m’a semblé à la fois fascinante et opportune. » Et de regretter qu’aujourd’hui, les gens ne puissent avoir des conversations aussi essentielles, favorisant tolérance et respect mutuel.
C’est donc un quasi huis-clos auquel invite ce Freud’s Last Session (en v.o.) avec la rencontre de deux intellectuels qui commencent par se tourner autour, tentant de se cerner l’autre, d’observer ses failles comme ses certitudes. Installé dans son bureau (reconstitué en studio) face à son fameux divan, Freud est un homme au bout du rouleau qui écoute la radio pour se tenir au courant de l’état du monde et entend Hitler prôner l’annihilation de la race juive en Europe mais aussi le premier ministre Chamberlain annoncer l’entrée en guerre de l’Angleterre.
Nostalgique de Vienne et amateur d’azalées, Freud (1856-1939) note que les souvenirs d’enfance ne nous quittent jamais et observe : « Einstein disait que le signe de la démence, c’est de faire et de refaire la même chose et d’attendre des résultats différents ». Face à lui, C.S. Lewis, souriant et attentif, le regarde évoluer dans son univers, aller et venir, revenant l’« affronter » dans sa certitude que Dieu existe.
A l’occasion d’une alerte aérienne, les deux hommes se retrouvent dans un abri dans le sous-sol d’une église. Tandis que Freud reconnaît la statue de Sainte Dymphne, la patronne des fous et des égarés, Lewis, secoué par le vacarme des sirènes, est pris d’une crise liée à un stress post-traumatique. Dans les tranchées de 14-18, il a assisté à la mort de son meilleur ami, déchiqueté sous ses yeux. Deux amis qui s’étaient fait la promesse, en cas de malheur, de s’occuper de leurs proches. Au sortir de la guerre, Lewis veilla sur Janie, la mère de son ami, au point de devenir son amant.
Dans sa mise en scène, Matthew Brown se garde d’un récit linéaire, choisissant d’explorer le subconscient de ses personnages en utilisant des flashbacks (les exactions des nazis à Vienne) et des éléments de fantaisie (les « évasions » de Lewis en forêt) pour rester, ainsi, dans une fidélité aux écrits de Freud et Lewis, le premier étant l’auteur de L’Interprétation des rêves, le second ayant, au côté de Tolkien notamment, construit des univers fantastiques comme le fameux Monde de Narnia.
Tandis qu’Anna, dans son université, enseigne la psychanalyse appliquée aux enfants et tente d’apaiser Dorothy qui la supplie de mettre leur relation au grand jour devant Sigmund Freud, celui-ci, toujours malmené par sa souffrance, disserte sur les blagues juives (avec l’humour comme mécanisme de défense), sur la Sehnsucht, sur la Bible, grand recueil de mythes et de légendes souvent brandi comme une arme. « Mais Jésus a existé » contre Lewis. « Mes patients qui se prennent pour Dieu, aussi » rétorque Freud. Tandis que le pionnier de la psychanalyse allume un cigare (« C’est ma régression au stade oral »), il en va de l’homme imparfait par nature, de la sexualité source de toutes les joies et de savoir si Dieu est bon. « Le plaisir est son murmure, la souffrance est son mégaphone ».
Au fur et à mesure de l’échange, le film dessine un Freud, fervent incroyant fasciné par les croyances, constatant « Nous sommes tous lâches devant la mort ». Un Freud profondément traumatisé par la mort de sa fille aînée Sophie mais capable aussi de remettre constamment en question ses propres idées. Avec humour, il lance in fine à son interlocuteur : « Très bien, examinons la question autrement » et assènera une ultime : « L’un de nous deux est un idiot. Mais qui, on le ne saura jamais… »
Sur grand écran, Freud a, au moins, été représenté à deux reprises dans le cinéma américain avec Freud, passions secrètes (1962) de John Huston et A Dangerous Method (2011) de David Cronenberg. Dans le premier, le Viennois était incarné par Montgomery Clift et, dans le second, par Viggo Mortensen. Ils sont donc rejoints par le monstre sacré Anthony -Hannibal- Hopkins qui se glisse, avec une parfaite aisance, dans la peau d’un praticien fatigué et hanté, révélant un homme empreint d’une grande humanité et regardant sa propre mortalité en face. Quant à Matthew Goode, connu pour avoir été l’interprète de Lord Snowdon dans la série The Crown, il est un Lewis paisible en apparence et tourmenté en profondeur.
Dans la réalité historique, il n’y a pas de traces de la rencontre entre Freud et Lewis. Mais des recherches ont montré que Freud avait bien reçu, à Londres, un professeur d’Oxford dont l’identité n’a jamais été connue. Et si ça avait été C.S. Lewis ? L’idée, en tout cas, est belle…
FREUD – LA DERNIERE CONFESSION Drame (Grande-Bretagne – 1h50) de Matthew Brown avec Anthony Hopkins, Matthew Goode, Liv Lisa Fries, Jodi Balfour, Orla Brady, Stephen C. Moore. Dans les salles le 4 juin.
Les voyageurs du temps et l’industriel en galère 
Outre Partir un jour et Jeunes mères dont on trouvera les critiques ici, trois autres films de la sélection officielle du Festival de Cannes sont déjà sur les écrans. On reviendra prochainement sur les aventures d’Ethan Hunt dans l’xième (et ultime) épisode de Mission impossible. Les films de Wes Anderson et de Cedric Klapisch y étaient également. Un retour pour le cinéaste américain dont le film Moonrise Kingdom avait fait l’ouverture en 2012. Une première, hors compétition, pour le metteur en scène français !
EPOQUES.- Au musée de l’Orangerie à Paris, une jeune visiteuse fait un selfie devant les Nymphéas de Monet. D’autres visiteurs suivront. Seb, lui, fait un shooting de mode devant le Monet avec la jolie Leslie. L’un des créatifs n’est pas satisfait des couleurs. On peut changer numériquement les couleurs de la robe, dit l’un. « Ah non, on a un contrat ! Si on changeait plutôt les couleurs du tableau ! »
A la fin du 19e siècle, Adèle Meunier quitte, le coeur lourd, sa Normandie natale. Elle laisse là Gaspard, son amoureux transi. Mais Adèle, 20 ans, veut absolument se rendre à Paris pour retrouver une mère qui l’a abandonnée toute petite. En chemin, elle rencontre Anatole et Lucien, deux jeunes gens qui veulent conquérir la capitale…
De nos jours, un notaire a réuni une trentaine de personnes issues d’une même famille pour les informer qu’ils vont recevoir en héritage une maison abandonnée depuis des années. Quatre d’entre eux, Seb, Abdel, Céline et Guy sont chargés d’en faire l’état des lieux. Ces lointains cousins vont alors découvrir des trésors cachés dans cette vieille maison et se retrouver sur les traces d’une mystérieuse Adèle…
Avec La venue de l’avenir (France – 2h06. Dans les salles le 22 mai), Cédric Klapisch marque son retour sur le grand écran depuis En corps (2022) et il décrit ce nouveau film « comme un défi technique et humain, où chaque plan d’époque demandait des heures de préparation. » Car Adèle se retrouve dans le Paris de 1895, au moment où la ville est en pleine révolution industrielle et culturelle. L’auteur du Péril jeune (1994) et de l’Auberge espagnole (2002) suit, dans le même temps et dans le même mouvement, les pérégrinations des quatre cousins lancés, de nos jours, dans un voyage introspectif au coeur de leur généalogie. Avec aisance, Klapisch nous promène d’une époque à l’autre. Adèle va découvrir qu’Odette, sa mère, est à l’oeuvre dans une maison close tandis que ses descendants bataillent contre l’idée qu’on puisse détruire la vieille demeure et installer, à sa place, un centre commercial. Et ce va-et-vient est bien une manière de questionner notre rapport au progrès, en montrant ce qu’on a gagné (eau chaude, électricité, internet), mais aussi ce qu’on a perdu (poésie des paysages, lenteur, authenticité). D’ailleurs, le personnage de Guy disait dans un dialogue finalement coupé au montage : « Le progrès a eu sa chance, et quand on voit l’état du monde aujourd’hui, on peut dire que ça n’a pas marché ».
Avec le temps de 1895, le film a quelque chose de (forcément) nostalgique mais aussi d’enivrant avec la découverte de la photographie ou la naissance de l’impressionnisme qui viendra bouleverser l’existence d’Adèle, d’abord, de ses héritiers ensuite.

« La venue… »: Guy (Vincent Macaigne),
Abdel (Zinedine Soualem), Cécile (Julia Piaton)
et Seb (Abraham Wapler). DR
Avec son chef opérateur Alexis Kavyrchine, un Klapsich inspiré s’est appliqué à donner une texture particulière à l’image. Pour 1895, ils ont ainsi cherché à imiter les autochromes, premières photos couleur, avec du grain, des contrastes doux et une lumière naturelle. Ils ont aussi repris des cadrages directement inspirés de tableaux de Monet ou Degas. Le film débute même par un plan conçu comme une reconstitution d’un tableau de Monet peint à la gare Saint-Lazare et, du côté du Havre, un superbe plan « reproduit » Impression soleil levant, la toile de Monet considérée comme le premier tableau impressionniste avec ses innovantes touches de couleur…
La venue de l’avenir est une promenade entre deux époques mais aussi un film sur la transmission, entre art et généalogie. Si la transmission est centrale dans les films de Klapisch, elle s’élargit, ici, à l’héritage artistique. « Que nous laissent la peinture et la photographie en termes de mémoire, de regard, et de sens ? » interroge le cinéaste.
Grâce à un beau casting, on s’attache tout autant à Adèle Meunier, jeune provinciale naïve, prenant de la superbe (sa mère lui a dit : « Mieux vaut regretter les choses qu’on a faites plutôt que les choses qu’on n’a pas faites ») rencontrant Monet, Victor Hugo, Félix Nadar et Sarah Bernhardt qu’à ses descendants devenus créateur de contenus digitaux, ingénieur en transports, prof de français en collège ou apiculteur et militant contre les ogm et le grand capital. Même s’il leur faut recourir à des… plantes chamaniques pour entrer en transe et en contact avec les anciens, ils ne seraient, de toutes manières, pas sortis indemnes de cette rencontre avec leurs racines…
On part donc volontiers en balade avec ces voyageurs d’hier et d’aujourd’hui incarnés par Suzanne Lindon (Adèle), Abraham Wapler (Seb), Paul Kircher (Anatole), Vassili Schneider (Lucien) ou encore Claire Pommet (Fleur) sans oublier Vincent Macaigne (Guy), Julia Piaton (Céline), Sara Giraudeau (Odette) et des comédiens fétiches de Klapisch : Zinedine Soualem (Abdel) et Cécile de France qui campe Calixte de la Ferrière, une conservatrice de musée si BCBG qu’on ne reconnaît pas sa voix !

« The Phoenician… »: Zsa-Zsa Korda (Benecio del Toro), Liesl (Mia Threapleton)
et Bjorn (Michael Cera). DR
GAP.- En 1950, Anatole « Zsa-zsa » Korda, industriel énigmatique comptant parmi les hommes les plus riches d’Europe, survit à une nouvelle tentative d’assassinat. Ce n’est que la sixième fois qu’il échappe à un accident d’avion. Ses activités commerciales aux multiples ramifications, complexes à l’extrême et d’une redoutable brutalité, ont fait de lui la cible non seulement de ses concurrents, mais aussi de gouvernements de toutes tendances idéologiques à travers le monde – et, par conséquent, des tueurs à gages qu’ils emploient. Korda est aujourd’hui engagé dans la phase ultime d’un projet aussi ambitieux que déterminant pour sa carrière : le Projet Korda d’infrastructure maritime et terrestre de Phénicie, vaste opération d’exploitation d’une région depuis longtemps laissée à l’abandon, mais au potentiel immense. Le risque financier personnel est désormais vertigineux. Les menaces contre sa vie, constantes. C’est à ce moment précis que Korda décide de nommer et de former celle qui va lui succéder : Liesl, sa fille de vingt ans, devenue une nonne, qu’il a perdue de vue depuis plusieurs années.
Accompagné de Bjorn, son précepteur (qui joue un double jeu) et de Liesl, Zsa-zsa entreprend une traversée de la Grande Phénicie Indépendante moderne, enchaînant les rencontres avec ses divers partenaires (avec notamment une partie de basket-ball) dans le but de combler le « gap » – un gouffre financier croissant que Zsa-zsa évalue ainsi : «Tout ce qu’on a – et un peu plus encore. » En chemin, Liesl s’attache à exhumer les zones d’ombre entourant le meurtre non élucidé, dix ans plus tôt, de la première épouse de Zsa-zsa et qui pourrait être sa mère.
Pour un cinéphile, un film de Wes Anderson s’apparente toujours à un événement parce que l’auteur de La vie aquatique (2004), A bord du Darjeeling Limited (2007) ou The French Dispatch (2021) a le don de fabriquer des images insolites, de créer des situations rocambolesques, le tout dans un univers très personnel et fortement reconnaissable. The Phoenician Scheme (USA – 1h41. Dans les salles le 28 mai) n’y fait pas exception. D’emblée, on se divertit des trouvailles visuelles comme de l’utilisation, appliquée et amusée, de tout le vocabulaire cinématographique (ah, la plongée sur la salle de bain!) ou encore d’un casting qui fait songer à ceux qu’organisait autre fois le tricard Woody Allen.
Mais il faut bien dire qu’on ne comprend pas grand-chose aux péripéties et affres financières du malheureux Zsa-Zsa qui finira par tenir une modeste gargote ! Reste, on l’a dit, que ce puzzle loufoque, par ailleurs bourré de références picturales, est porté par Benecio del Toro (Korda), Mia Threapleton, la fille de Kate Winslet, dans le rôle de Liesl ou encore Michael Cera (Bjorn) et voit passer Tom Hanks, Bryan Cranston, Riz Ahmed, Mathieu Amalric, Jeffrey Wright, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch (en grand malade) ou Bill Murray, Willem Dafoe, Charlotte Gainsbourg…
A ce jour, le plus film le plus épatant de l’Américain de 56 ans reste toujours The Grand Budapest Hotel (2014). Le cru 2025 est moins gouleyant.
De Jessica à Julie, tant et tant de galères 
Une jeune fille attend à un arrêt de bus. Tandis qu’elle se déplace, on remarque son ventre rond. A une femme, elle demande : « Madame vous attendez une fille qui s’appelle Jessica ? » En quelques images, les frères Dardenne installent une atmosphère. On est tout de suite du côté de cette Jessica qui va éclater à propos de sa mère qui l’a jetée. « Elle t’a placée » corrige une éducatrice. Allongée sur son lit, Jessica s’angoisse. Elle ne sent plus son bébé. Une blouse blanche l’ausculte. « Son coeur bat normalement ! » lui dit-elle en lui tendant son stéthoscope. Soulagée, Jessica lui saute au cou. « Ma mère, elle, ne veut pas de moi ». Elle l’embrasse, l’étreint. « Tu me mords, Jessica ! »
On ne peut s’empêcher en regardant vivre Jessica de songer à Emilie Dequenne, trop tôt disparue. Sans qu’il y ait de ressemblance physique, Jessica est bien la sœur en galère de Rosetta, la jeune ouvrière rebelle, en guerre pour retrouver son travail dans le film éponyme qui valut, en 1999, à l’unanimité du jury, la première Palme d’or des frères belges (la seconde vint en 2005 pour L’enfant) et le prix d’interprétation féminine à la jeune débutante de 18 ans.
Tenants, au même titre que leur confrère britannique Ken Loach, d’un cinéma social européen, on retrouve d’emblée, ici, un style qui s’est nourri autant du néoréalisme italien que des œuvres de Maurice Pialat. Ainsi, dans les pas de Jessica et des autres pensionnaires, on se glisse dans cette communauté qu’est la maison maternelle qui accueille des jeunes mères. « On mange quoi ? » demande l’une. Des pâtes aux courgettes, propose l’autre. L’entraide règne. Mais dehors, le monde ne cesse d’être cruel.
Perla s’en va promener son bébé. Elle retrouve son copain Robin dont on comprend qu’il vient de sortir de prison. Perla lui apporte de quoi se rouler un joint. « Je me sens bien comme un vrai couple ! » glisse Perla. Mais Robin ne lui fait même pas une petite caresse sur le main ou sur la joue. Il s’en va voir ses copains. « Un bébé, ça ne va pas tout arranger ! » La gamine tremble. Elle refuse de donner le biberon à son bébé. « J’ai peur. Je me sens comme du sable ! »
En décembre 2023, pour l’écriture d’un scénario, les Dardenne visitent ce que l’on nomme une maison maternelle. Ils échangent avec les jeunes mères célibataires, pour la plupart mineures, les éducatrices, la psychologue. Ils sont d’abord attirés par la vie commune dans ce lieu, les repas, les bains donnés aux bébés, les discussions à propos de thèmes liés à la maternité, à la violence, aux addictions…
Les cinéastes songent à l’histoire d’une jeune femme dont un versant de la vie était d’être la mère d’un bébé avec lequel elle cherchait à trouver le contact, le lien. Après avoir passés quelques heures dans ce lieu près de Liège, ils décident d’y revenir et d’y rester plus longtemps pour, disent-ils, « approcher les vies personnelles des jeunes mères car s’il y a bien des moments de vie commune, il y a aussi et surtout des vies solitaires de jeunes femmes aux prises avec leurs angoisses et espoirs, parfois illusions… »
Avec ce matériau, les deux réalisateurs belges vont écrire, pour leur treizième long-métrage, une aventure avec quatre personnages principaux et un cinquième (Naïma) dont l’histoire est brève. Ils rassemblent, ici, quatre trajectoires en les entremêlant avec une impressionnante fluidité et en s’attachant à porter attention à l’individualité de chaque personnage. Cela, tout en mettant clairement en lumière ce qui les relie. La maternité précoce liée à la détermination sociale de la pauvreté et des carences affectives.
A travers tout le film, porté par d’excellentes comédiennes débutantes ou quasiment, on évoque ainsi la famille d’où elles viennent, où elles retourneront ou ne retourneront pas, le père souvent absent ou inexistant, l’avenir avec l’enfant ou sans l’enfant confié à une famille d’accueil ou encore leur avenir scolaire et professionnel, leur capacité de vie autonome.
Filmées au plus près avec un regard empathique, Perla se souvient d’une mère alcoolique qui avait noyé son canari dans l’eau des toilettes. Ariane, elle, retrouve sa mère. Cette dernière l’assure qu’elle ne boit plus, qu’elle a viré son compagnon toxique. Lamentable, elle demande : « Tu dois me pardonner et on recommence à zéro ». Sa fille, dans un souffle, « Je ne vais pas revenir! Je ne veux plus connaître la misère, c’est tout. » Elle montre à Ariane la pièce repeinte dans son petit appartement délabré et explose : « Pourquoi t’es froide avec moi? Qu’est-ce que cette connasse de psy t’as mis dans la tête ! »
Ariane est décidée à placer sa petite Lili dans une famille d’accueil. A sa mère : « Maman, c’est toi qui voulait un bébé, pas moi ! » et se prend une gifle. Lorsqu’enfin, Ariane rencontrera la famille d’accueil, elle leur posera une question. « Vous faites de la musique ? Je voudrais que vous lui appreniez la musique… » La musique (ou le tennis) comme une manière d’échapper à la pauvreté.
Comme une histoire sans fin qui est celle de jeunes existences fracassées, Jeunes mères (en compétitions à Cannes) s’avance, implacable, dans une sorte de routine ou de répétition placée sous le signe de la détresse. Voilà Julie qui a peur de replonger dans la drogue et qui éclate en sanglots parce qu’elle a oublié de récupérer sa petite Mia à la crèche. Mais une éducatrice l’encourage : « Vous avez réussi à sortir de la rue ». Et l’on retrouve Jessica complètement obsédée par l’idée de revoir la mère qui l’a abandonnée. Mais celle-ci ne veut rien entendre. Jessica insiste pourtant. « Tu veux de l’argent ? T’as pas le droit de revenir dans ma vie. » lâche la mère.
Perla se fait larguer par son petit ami. « C’est mieux qu’on ne se voit plus ! » Dans un parking, Julie a repiqué à la drogue. « T’as craqué, ça arrive » lui dit Dylan. Jessica questionne sa mère : « Avant de me placer, tu m’as pris dans tes bras? »
Avec Dylan et Mia, Julie rendra visite à l’institutrice qui lui a appris les vers de L’adieu d’Apollinaire. « J’ai cueilli ce brin de bruyère – L’automne est morte souviens-t’en – Nous ne nous verrons plus sur terre – Odeur du temps brin de bruyère – Et souviens-toi que je t’attends »
Et puis cette dame se met au piano pour jouer quelque chose de gai. Dans ce film sans musique, s’élèvent les accents enjoués de la Marche turque de Mozart. Julie et Dylan sourient. Mia gazouille. Comme une lueur d’espérance dans un monde sans joie ?
JEUNES MERES Drame (Belgique – 1h45) de Jean-Pierre et Luc Dardenne avec Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaina Halloy Fokan, Lucie Laruelle, Samia Hilmi, Jef Jacobs, Gunter Duret, Christelle Cornil, India Hair, Joely Mbundu, Claire Bodson, Eva Zingaro, Adrienne D’Anna, Mathilde Legrand, Hélène Cattelain, Selma Alaoui. Dans les salles le 23 mai.
Le retour de la cheffe, le quatuor et les politiques égarés 
CHANSONS.- Dans sa cuisine, Cécile vient de prendre un coup sur la tête ! Le test de grossesse est positif. La nouvelle a tout d’une galère pour cette jeune femme de la quarantaine. Avec Sofiane, son collaborateur et compagnon, elle est dans la dernière ligne droite avant l’ouverture de son restaurant gastronomique. Car la récente gagnante du concours Top Chef est bien décidée à gravir avec sa cuisine toutes les étapes vers les trois étoiles. Et cela même si elle n’a pas encore trouvé son plat-signature.
De sa province natale, un message l’informe que Gérard, son père a été hospitalisé après un troisième infarctus. A Sofiane, auquel elle cache son état, elle confie qu’elle n’a aucune envie de retourner sur les lieux de son enfance. Mais, évidemment, elle finira par retrouver L’Escale, ce grand restaurant fréquenté par les routiers. Gérard a déjà quitté l’hôpital pour retrouver ses fourneaux et sa macédoine de légumes qui fait grincer les dents de Cécile. Mais elle va mettre la main à la pâte pour dépanner Gérard et Fanfan, sa mère plutôt fantasque. Le retour de Cécile est un événement car tout le monde a suivi les émissions de Top Chef qui ont vu l’enfant du pays l’emporter. Parmi tout ce petit monde chaleureux, la cheffe tombe aussi sur Raphaël, le garagiste du coin, avec lequel elle a souvent fait la fête et qui était son amour de jeunesse. Cécile veut retourner très vite dans la capitale. Pourtant son séjour « à la maison » s’éternise quand même.
Film d’ouverture, hors compétition, du Festival de Cannes, Partir un jour (France – 1h38. Dans les salles le 13 mai) est un beau film qui distille une mélancolie douce et légère. Amélie Bonnin, la réalisatrice, explique que son film raconte « le lien aux choses, aux lieux dont on ne peut pas se défaire ». En même temps, l’active et ambitieuse Cécile est une sorte de transfuge de classe qui revient dans un lieu de passage tenu par des gens, ses parents, qui ne bougent pas. Et les retrouvailles ont quelque chose de tendrement poétique qui emporte l’adhésion. Avec le même titre, Amélie Bonnin avait déjà tourné un court-métrage, couronné par un César en 2023, dans lequel c’était le personnage de Raphaël qui revenait sur les lieux de son enfance et retrouvait Cécile (déjà incarnée par Juliette Armanet). Pour le long, la cinéaste a inversé les rôles et fait de Cécile le personnage-pivot de cette chronique familiale qui se développe notamment autour d’une relation père/fille volontiers houleuse..
Partant du constat que la musique est partout dans nos vies, tout le temps, Amélie Bonnin a donné à son film les atours d’une comédie musicale où les protagonistes, soudain, se mettent à chanter, voire à danser. La musique, dit la réalisatrice, « constitue un socle commun, voire un lien entre les gens d’une génération. Même quand ils sont très différents, ils partagent au moins une chanson. C’est aussi pour cela que j’ai voulu faire un film avec des chansons du répertoire, parce qu’elles font appel à un patrimoine commun. » Du coup, Partir un jour contient une fameuse play-list avec Alors on danse (Stromae), Mourir sur scène (Dalida), Le Loir & Cher (Michel Delpech), Pour que tu m’aimes encore (Céline Dion), Sensualité (Axelle Red), Je l’aime à mourir (Francis Cabrel), Paroles, paroles (Dalida & Alain Delon), Je suis de celles (Bénabar), Ces soirées-là (Yannick), Cécile ma fille (Claude Nougaro), Femme Like U (K.Maro) et, in fine, une version soyeuse du Partir un jour de 2Be3, par Juliette Armanet. De quoi aussi, il faut bien le dire, « épaissir » un récit parfois léger.
Comme enfin les comédiens (Juliette Armanet en tête mais aussi Bastien Bouillon, François Rollin et Dominique Blanc) donnent leur pleine mesure, Partir un jour constitue tout simplement un agréable divertissement.
STRADIVARIUS.- Un luthier se penche longuement sur un violon. Il l’ausculte, introduit une fine caméra dans l’une des ouïes. Lorsqu’il se relève, il lance : « C’est l’instrument que vous cherchez ! » Astrid Thompson manque de défaillir. C’est bien le Stradivarius San Domenico qu’elle cherche depuis longtemps. Désormais il importe à la président de la fondation Thompson de réaliser le rêve de son défunt père : réunir quatre Stradivarius pour un concert unique attendu par les mélomanes du monde entier.
Las, la grande entreprise, à laquelle est adossée la fondation, n’a plus les reins aussi solides qu’aux temps déjà anciens de son grand patron. A la tête de la boîte, le frère d’Astrid se fait tirer l’oreille. Prête à dépenser plus de dix millions de livres dans une vente aux enchères pour obtenir l’un des instruments, Astrid s’accroche. Mais elle n’en a pas fini avec cette aventure musicale. Car Lise, George, Peter et Apolline, les quatre virtuoses recrutés pour l’évènement, sont incapables de jouer ensemble. Les crises d’égo se succèdent au rythme des répétitions. Sans solution, Astrid se résout à aller chercher le seul qui, à ses yeux, peut encore sauver la situation : Charlie Beaumont, le compositeur de la partition. Mais le compositeur est devenu un ermite qui ne s’intéresse qu’aux chants des oiseaux. Parce que la passion de la musique et la curiosité par rapport à une œuvre écrite trente ans plus tôt, est plus forte que le reste, il viendra quand même…
Evoquant la genèse de son film, Grégory Magne se souvient d’une rencontre vingt ans plus tôt : « Une amie violoncelliste m’avait proposé d’écouter le morceau qu’elle allait présenter pour entrer à l’Opéra de Paris. C’était une partie de violoncelle d’une œuvre pour orchestre, donc quelque chose d’un peu abstrait, un peu nu. On était seuls dans cette grande salle blanche et là, au-delà de la musique, j’entendais le bruit de ses doigts sur la touche, des crins de l’archet sur les cordes, mais aussi l’exigence, la justesse, la précision, les heures de travail. Le moment m’avait tellement impressionné… Je me suis dit : voilà, dans une salle de cinéma, avec une vraie qualité de son, je peux peut-être permettre à chacun de ressentir cela. » Pari tenu.
S’ouvrant sur un plan à… l’intérieur d’un violon, Les musiciens (France – 1h42. Dans les salles le 7 mai) propose un récit auquel on s’attache très rapidement. Il y a bien sûr un petit côté recrutement d’une équipe (voir ainsi Les douze salopards) mais ce qui intéresse surtout le cinéaste, c’est de décrire, autour du travail de quatre musiciens réunis dans un quatuor à cordes, une quête du son, un son d’ensemble, une symbiose à trouver, celui d’un seul instrument fait de quatre voix, un exercice d’équilibristes fait de modestie et d’affirmation de soi.
Alors, tandis que le décompte final est en route, qu’Astrid s’arrache peu à peu les cheveux devant les exigences comme les chichitteries de ses (talentueuses) recrues et que Charlie Beaumont murmure : « Je n’aime pas du tout ce que j’ai écris… » Grégory Magne, auteur en 2020 des Parfums, cette fois sur le sens de l’odorat, relève un sacré défi. Rendre compréhensible et explicite le fait que de tels musiciens puissent ne pas forcément jouer « parfaitement » lorsqu’il s’agit de jouer ensemble. Grace à Valérie Donzelli en organisatrice émérite (elle sauve quand une situation quasi-désepérée), à un compositeur inspiré (Grégoire Hetzel) et quatre brillants musiciens/acteurs (Mathieu Spinosi, Emma Ravier, Daniel Garlitsky et Marie Vialle), Les musiciens montre, même aux profanes, l’avancée faite d’ajustements, de concessions, de renoncements, vers l’harmonie. Et quel plaisir de passer un moment avec Frédéric Pierrot, le psy de la série En thérapie, ici, en compositeur sensible.
G7.- Réunis dans un château en Allemagne pour leur sommet annuel, les dirigeants des pays du G7 -en l’occurrence les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni- ont posé pour la photo officielle. A pied, en devisant, ils rejoignent une ravissante gloriette en bordure de forêt. A l’heure du dîner, il s’agit de réfléchir à la traditionnelle déclaration commune. Mais l’ambiance n’est pas au beau fixe. Maxime Laplace, le premier ministre canadien, n’arrive pas à oublier l’aventure qu’il a eu avec la première ministre britannique et surtout tout le monde autour de la table sait qu’il est pris dans un vilain scandale politico-financier. Inquiet, le groupe constate que le personnel autour d’eux a disparu. Maxime s’en va s’isoler dans la forêt. Bientôt suivi par Hilda Ortmann, la chancelière allemande. Pour apaiser son confrère, elle lui propose un… massage qui s’achève en jeu de la bête à deux dos. Bientôt, un inquiétant grondement sort de la forêt…
Si l’on excepte la présence notable du personnage du président américain dans le cinéma hollywoodien, l’homme politique n’est pas récurrent sur le grand écran. Rumours, nuit blanche au sommet (Canada/Allemagne – 1h43. Dans les salles le 7 mai) a donc d’emblée l’attrait d’une satire géopolitique qui, de plus, ne craint pas de s’aventurer sur le terrain du fantastique. Car, en s’enfonçant tous dans une sombre forêt, les sept politiciens vont à la rencontre de périls et de mystères les plus variés et aussi les plus loufoques.
« Contraints par la catastrophe imminente qui nous est désormais que trop familière, séduits par les méandres eschatologiques inscrits, telle une provocation, dans nos cieux gorgés de soufre, avec rien d’autre que l’absence d’espoir pour nous consoler et nos âmes glacées en quête d’une chaleur que seule la nostalgie peut apporter, nous les réalisateurs de Rumours, nuit blanche au sommet avons placé nos attentes désespérées, grains de chapelet claquant comme des dents dans nos doigts décharnés, dans les vieilles pratiques surannées de la diplomatie – savoir le G7 ! » C’est signé Guy Maddin, Galen Johnson et Evan Johnson. Un trio à l’imagination fertile ! Qui signent, ici, un film dont on est en droit de se demander s’il s’agit bien d’une… comédie. Car l’on voit des gens de pouvoir perdre complètement pied alors qu’on pourrait peut-être attendre d’eux une capacité à se grandir dans la crise. Il est vrai que leur nuit en forêt va devenir de plus en plus vertigineuse avec la rencontre de corps momifiés datant de l’Age de fer, d’un cerveau géant ou de zombies… Malheureusement, Rumours ne parvient pas à nous captiver complètement. Bien sûr, les comédiens, Cate Blanchett, Charles Dance, Denis Ménochet en tête, sont bons mais on demeure à l’extérieur de cette farce qui charrie, in fine, trop de grain à moudre…
Mariana, la fille qui avait un coeur grand comme ça 
Dans la nuit noire, une lampe éclaire une femme et un enfant avançant dans un sombre boyau. « Viel Glück » dit la lampe avant de s’éloigner et de laisser les deux avancer dans les eaux croupies d’un égout. En cette année 1943, au coeur de l’Ukraine, Yulia sait qu’il ne fait pas bon être juif. Alors, même si son coeur se brise, elle a décidé de confier son fils Hugo à Mariana, son amie d’enfance.
Celle-ci exerce le plus vieux métier du monde dans une maison close à la sortie de la ville. Sous le regard inquiet d’Hugo, Yulia tombe dans les bras de Mariana. « Je sais que vous êtes dans la merde mais là ! » Tout Mariana est dans cette vanne. Elle n’a pas la langue dans sa poche mais elle a un coeur grand comme ça. Tandis que sa mère disparaît dans la nuit, Hugo se retrouve dans un réduit donnant dans la chambre de Mariana. Elle lui confie un code -elle siffle entre ses doigts- pour communiquer si besoin est. Désormais toute l’existence du gamin est liée aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine ou entrevoit à travers des ouvertures dans la cloison.
Marre de la Shoah ! En ces temps décomplexés, voilà bien des propos que l’on peut entendre. Et définitivement ne jamais admettre. Parce qu’on ne saurait faire fi de la mémoire du long et terrible cortège d’ombres défigurées, des affreuses files de Nuit et Brouillard, saluées par Malraux dans son fameux discours pour l’entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
Emmanuel Finkiel note que, dès qu’on aborde l’Holocauste, « on étiquette « film sur la Shoah », sans même essayer de voir si la proposition est différente, singulière. On risque effectivement de se faire enfermer dans une boîte. Mais faire un film est une nécessité, quelque chose de plus fort que tout et submerge ce type de considérations. Ça répond à des questions personnelles, peut-être à quelque chose à régler dans sa propre vie. En travaillant sur La Chambre de Mariana il m’est apparu progressivement que je n’avais pas fini d’explorer mon roman familial alors que je pensais en avoir fini avec La douleur. » De fait, après Voyages (1999) et La douleur (2017), le cinéaste donne ici le troisième volet d’une œuvre mémoire entreprise il y a bien longtemps déjà.
Au départ du film, il y a un roman plus ou moins autobiographique d’Aharon Appelfeld, romancier et poète israélien (1932-2018) qui le publia en 2006 avant une traduction française en 2008 aux éditions de l’Olivier.
Séparé très jeune de ses parents en raison de la guerre, Appelfeld a vécu pendant quatre ans, seul, dans la forêt, rencontrant tout le bas peuple ukrainien. Il dira, après la guerre: « J’ai rencontré plus de spiritualité et de sainteté dans ce petit peuple ukrainien que je n’en avais connu dans ma famille de Juifs assimilés ». Sa famille, bourgeoise, parlait allemand et avait un rapport lointain à la religion et se sentait au-dessus des baragouineurs de yiddish. Au cours de sa longue période de survie en forêt, Appelfeld a rencontré des prostituées dont il s’est inspiré pour écrire La chambre de Mariana.
Lorsqu’on proposa à Finkiel d’adapter ce livre, cela réveilla des choses très personnelles liées à son histoire familiale, réveillant, de façon très codée son imaginaire familial. « Chaque personnage, dit le metteur en scène, évoque symboliquement des membres de ma propre famille. Mariana, la prostituée non juive, est une sorte de représentation symbolique de la nourrice qui m’a élevé. Derrière la petite Anna, la chère cousine d’Hugo, se cache la figure du petit frère de mon père, arrêté à la rafle du Vel d’Hiv en 1942 et envoyé mourir à Auschwitz… C’est en travaillant à l’adaptation que, petit à petit, la figure centrale du roman, le jeune Hugo, s’est apparenté à celle de mon propre père, adolescent resté orphelin au lendemain de la guerre et marqué à jamais. »
Cependant, Finkiel s’inscrit dans une pure et belle fiction avec cette fantasque Mariana, prostituée haute en couleurs pour laquelle la présence d’Hugo est à la fois un poids, une irréfutable obligation morale, un jeune ami et enfin une présence inattendue, celle de l’enfant qu’elle n’a jamais eu. Finkiel ne fait pas de Mariana une sainte laïque. C’est un personnage contradictoire et complexe, à la fois ensoleillée et dépressive, alcoolique dans le déni et terriblement en vie. C’est une énergie pure dont Hugo va s’inspirer pour survivre, lui qui voit, très souvent, passer devant ses yeux, dans l’obscurité de sa soupente, les images mentales des ombres tragiques de son pharmacien de père, d’Anna, sa cousine amoureuse de lui et évidemment de cette mère tant aimée.
Filmé dans un format carré 1/37 qui enferme les personnages, La chambre de Mariana est un huis-clos dans lequel se multiplient les champs barrés, les amorces, les cadres dans le cadre. Privé de ce sens qu’est la vue, Hugo, dans son placard, n’a, pour comprendre ce qui se trame autour de lui, que des fissures, des interstices et ce qu’il entend, y compris les bruits de copulation inhérents au fonctionnement d’un bordel qui va devenir le cadre d’un petit monde en forme de communauté. Dedans, c’est l’imaginaire, y compris celui du désir charnel naissant, qui fonctionne à plein, dehors c’est le réel dans toute sa cruauté. Ainsi, lors de sa seule « évasion » de sa chambre, Hugo sera confronté à un charnier nazi dans la forêt.
A cause de la guerre en Ukraine, Emmanuel Finkiel a tourné son film en Hongrie mais à l’exception de Mélanie Thierry (qu’il retrouve après lui avoir confié le rôle de Marguerite Duras dans La douleur), les comédiens sont, si l’on peut dire, du cru. A commencer par Artem Kyryk qui campe brillamment un Hugo subtil, attentif et doucement bousculé par un sentiment amoureux. Evidemment le film repose sur les épaules de Mélanie Thierry. On sait qu’elle a appris l’ukrainien pour les besoins du film. Avec une grâce bouleversante, elle fait de Mariana un personnage splendide et généreux jusqu’au don de soi.
Non, la fille de joie n’est pas triste au coin de la rue là-bas… D’ailleurs, elle siffle et Hugo se demande, avec un fin sourire, si Mariana ne va pas réapparaître.
LA CHAMBRE DE MARIANA Drame (France – 2h11) d’Emmanuel Finkiel avec Mélanie Thierry , Artem Kyryk, Julia Goldberg, Yona Rozenkier, Minou Monfared, Anastasia Fein, Olena Khokhlatkina, Olga Radchuk, Valerii Bartkovska. Dans les salles le 23 avril.