Le retour de la cheffe, le quatuor et les politiques égarés

"Partir...": Raphael (Bastien Bouillon) retrouve Cécile (Juliette Armanet). DR

« Partir… »: Raphael (Bastien Bouillon
retrouve Cécile (Juliette Armanet). DR

CHANSONS.- Dans sa cuisine, Cécile vient de prendre un coup sur la tête ! Le test de grossesse est positif. La nouvelle a tout d’une galère pour cette jeune femme de la quarantaine. Avec Sofiane, son collaborateur et compagnon, elle est dans la dernière ligne droite avant l’ouverture de son restaurant gastronomique. Car la récente gagnante du concours Top Chef est bien décidée à gravir avec sa cuisine toutes les étapes vers les trois étoiles. Et cela même si elle n’a pas encore trouvé son plat-signature.
De sa province natale, un message l’informe que Gérard, son père a été hospitalisé après un troisième infarctus. A Sofiane, auquel elle cache son état, elle confie qu’elle n’a aucune envie de retourner sur les lieux de son enfance. Mais, évidemment, elle finira par retrouver L’Escale, ce grand restaurant fréquenté par les routiers. Gérard a déjà quitté l’hôpital pour retrouver ses fourneaux et sa macédoine de légumes qui fait grincer les dents de Cécile. Mais elle va mettre la main à la pâte pour dépanner Gérard et Fanfan, sa mère plutôt fantasque. Le retour de Cécile est un événement car tout le monde a suivi les émissions de Top Chef qui ont vu l’enfant du pays l’emporter. Parmi tout ce petit monde chaleureux, la cheffe tombe aussi sur Raphaël, le garagiste du coin, avec lequel elle a souvent fait la fête et qui était son amour de jeunesse. Cécile veut retourner très vite dans la capitale. Pourtant son séjour « à la maison » s’éternise quand même.
Film d’ouverture, hors compétition, du Festival de Cannes, Partir un jour (France – 1h38. Dans les salles le 13 mai) est un beau film qui distille une mélancolie douce et légère. Amélie Bonnin, la réalisatrice, explique que son film raconte « le lien aux choses, aux lieux dont on ne peut pas se défaire ». En même temps, l’active et ambitieuse Cécile est une sorte de transfuge de classe qui revient dans un lieu de passage tenu par des gens, ses parents, qui ne bougent pas. Et les retrouvailles ont quelque chose de tendrement poétique qui emporte l’adhésion. Avec le même titre, Amélie Bonnin avait déjà tourné un court-métrage, couronné par un César en 2023, dans lequel c’était le personnage de Raphaël qui revenait sur les lieux de son enfance et retrouvait Cécile (déjà incarnée par Juliette Armanet). Pour le long, la cinéaste a inversé les rôles et fait de Cécile le personnage-pivot de cette chronique familiale qui se développe notamment autour d’une relation père/fille volontiers houleuse..

"Partir...": Fanfan (Dominique Blanc) et Cécile. DR

« Partir… »: Fanfan (Dominique Blanc)
et Cécile. DR

Partant du constat que la musique est partout dans nos vies, tout le temps, Amélie Bonnin a donné à son film les atours d’une comédie musicale où les protagonistes, soudain, se mettent à chanter, voire à danser. La musique, dit la réalisatrice, « constitue un socle commun, voire un lien entre les gens d’une génération. Même quand ils sont très différents, ils partagent au moins une chanson. C’est aussi pour cela que j’ai voulu faire un film avec des chansons du répertoire, parce qu’elles font appel à un patrimoine commun. » Du coup, Partir un jour contient une fameuse play-list avec Alors on danse (Stromae), Mourir sur scène (Dalida), Le Loir & Cher (Michel Delpech), Pour que tu m’aimes encore (Céline Dion), Sensualité (Axelle Red), Je l’aime à mourir (Francis Cabrel), Paroles, paroles (Dalida & Alain Delon), Je suis de celles (Bénabar), Ces soirées-là (Yannick), Cécile ma fille (Claude Nougaro), Femme Like U (K.Maro) et, in fine, une version soyeuse du Partir un jour de 2Be3, par Juliette Armanet. De quoi aussi, il faut bien le dire, « épaissir » un récit parfois léger.
Comme enfin les comédiens (Juliette Armanet en tête mais aussi Bastien Bouillon, François Rollin et Dominique Blanc) donnent leur pleine mesure, Partir un jour constitue tout simplement un agréable divertissement.

"Les musiciens": le quatuor en répétition. DR

« Les musiciens »: le quatuor en répétition. DR

STRADIVARIUS.- Un luthier se penche longuement sur un violon. Il l’ausculte, introduit une fine caméra dans l’une des ouïes. Lorsqu’il se relève, il lance : « C’est l’instrument que vous cherchez ! » Astrid Thompson manque de défaillir. C’est bien le Stradivarius San Domenico qu’elle cherche depuis longtemps. Désormais il importe à la président de la fondation Thompson de réaliser le rêve de son défunt père : réunir quatre Stradivarius pour un concert unique attendu par les mélomanes du monde entier.
Las, la grande entreprise, à laquelle est adossée la fondation, n’a plus les reins aussi solides qu’aux temps déjà anciens de son grand patron. A la tête de la boîte, le frère d’Astrid se fait tirer l’oreille. Prête à dépenser plus de dix millions de livres dans une vente aux enchères pour obtenir l’un des instruments, Astrid s’accroche. Mais elle n’en a pas fini avec cette aventure musicale. Car Lise, George, Peter et Apolline, les quatre virtuoses recrutés pour l’évènement, sont incapables de jouer ensemble. Les crises d’égo se succèdent au rythme des répétitions. Sans solution, Astrid se résout à aller chercher le seul qui, à ses yeux, peut encore sauver la situation : Charlie Beaumont, le compositeur de la partition. Mais le compositeur est devenu un ermite qui ne s’intéresse qu’aux chants des oiseaux. Parce que la passion de la musique et la curiosité par rapport à une œuvre écrite trente ans plus tôt, est plus forte que le reste, il viendra quand même…
Evoquant la genèse de son film, Grégory Magne se souvient d’une rencontre vingt ans plus tôt : « Une amie violoncelliste m’avait proposé d’écouter le morceau qu’elle allait présenter pour entrer à l’Opéra de Paris. C’était une partie de violoncelle d’une œuvre pour orchestre, donc quelque chose d’un peu abstrait, un peu nu. On était seuls dans cette grande salle blanche et là, au-delà de la musique, j’entendais le bruit de ses doigts sur la touche, des crins de l’archet sur les cordes, mais aussi l’exigence, la justesse, la précision, les heures de travail. Le moment m’avait tellement impressionné… Je me suis dit : voilà, dans une salle de cinéma, avec une vraie qualité de son, je peux peut-être permettre à chacun de ressentir cela. » Pari tenu.

"Les musiciens": Astrid (Valérie Donzelli) et Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot). DR

« Les musiciens »: Astrid (Valérie Donzelli)
et Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot). DR

S’ouvrant sur un plan à… l’intérieur d’un violon, Les musiciens (France – 1h42. Dans les salles le 7 mai) propose un récit auquel on s’attache très rapidement. Il y a bien sûr un petit côté recrutement d’une équipe (voir ainsi Les douze salopards) mais ce qui intéresse surtout le cinéaste, c’est de décrire, autour du travail de quatre musiciens réunis dans un quatuor à cordes, une quête du son, un son d’ensemble, une symbiose à trouver, celui d’un seul instrument fait de quatre voix, un exercice d’équilibristes fait de modestie et d’affirmation de soi.
Alors, tandis que le décompte final est en route, qu’Astrid s’arrache peu à peu les cheveux devant les exigences comme les chichitteries de ses (talentueuses) recrues et que Charlie Beaumont murmure : « Je n’aime pas du tout ce que j’ai écris… » Grégory Magne, auteur en 2020 des Parfums, cette fois sur le sens de l’odorat, relève un sacré défi. Rendre compréhensible et explicite le fait que de tels musiciens puissent ne pas forcément jouer « parfaitement » lorsqu’il s’agit de jouer ensemble. Grace à Valérie Donzelli en organisatrice émérite (elle sauve quand une situation quasi-désepérée), à un compositeur inspiré (Grégoire Hetzel) et quatre brillants musiciens/acteurs (Mathieu Spinosi, Emma Ravier, Daniel Garlitsky et Marie Vialle), Les musiciens montre, même aux profanes, l’avancée faite d’ajustements, de concessions, de renoncements, vers l’harmonie. Et quel plaisir de passer un moment avec Frédéric Pierrot, le psy de la série En thérapie, ici, en compositeur sensible.

"Rumours": Photo officielle pour les membres du G7. DR

« Rumours »: Photo officielle
pour les membres du G7. DR

G7.- Réunis dans un château en Allemagne pour leur sommet annuel, les dirigeants des pays du G7 -en l’occurrence les États-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni- ont posé pour la photo officielle. A pied, en devisant, ils rejoignent une ravissante gloriette en bordure de forêt. A l’heure du dîner, il s’agit de réfléchir à la traditionnelle déclaration commune. Mais l’ambiance n’est pas au beau fixe. Maxime Laplace, le premier ministre canadien, n’arrive pas à oublier l’aventure qu’il a eu avec la première ministre britannique et surtout tout le monde autour de la table sait qu’il est pris dans un vilain scandale politico-financier. Inquiet, le groupe constate que le personnel autour d’eux a disparu. Maxime s’en va s’isoler dans la forêt. Bientôt suivi par Hilda Ortmann, la chancelière allemande. Pour apaiser son confrère, elle lui propose un… massage qui s’achève en jeu de la bête à deux dos. Bientôt, un inquiétant grondement sort de la forêt…
Si l’on excepte la présence notable du personnage du président américain dans le cinéma hollywoodien, l’homme politique n’est pas récurrent sur le grand écran. Rumours, nuit blanche au sommet (Canada/Allemagne – 1h43. Dans les salles le 7 mai) a donc d’emblée l’attrait d’une satire géopolitique qui, de plus, ne craint pas de s’aventurer sur le terrain du fantastique. Car, en s’enfonçant tous dans une sombre forêt, les sept politiciens vont à la rencontre de périls et de mystères les plus variés et aussi les plus loufoques.

"Rumours": Des politiques perdus en forêt. DR

« Rumours »: Des politiques perdus en forêt. DR

« Contraints par la catastrophe imminente qui nous est désormais que trop familière, séduits par les méandres eschatologiques inscrits, telle une provocation, dans nos cieux gorgés de soufre, avec rien d’autre que l’absence d’espoir pour nous consoler et nos âmes glacées en quête d’une chaleur que seule la nostalgie peut apporter, nous les réalisateurs de Rumours, nuit blanche au sommet avons placé nos attentes désespérées, grains de chapelet claquant comme des dents dans nos doigts décharnés, dans les vieilles pratiques surannées de la diplomatie – savoir le G7 ! » C’est signé Guy Maddin, Galen Johnson et Evan Johnson. Un trio à l’imagination fertile ! Qui signent, ici, un film dont on est en droit de se demander s’il s’agit bien d’une… comédie. Car l’on voit des gens de pouvoir perdre complètement pied alors qu’on pourrait peut-être attendre d’eux une capacité à se grandir dans la crise. Il est vrai que leur nuit en forêt va devenir de plus en plus vertigineuse avec la rencontre de corps momifiés datant de l’Age de fer, d’un cerveau géant ou de zombies… Malheureusement, Rumours ne parvient pas à nous captiver complètement. Bien sûr, les comédiens, Cate Blanchett, Charles Dance, Denis Ménochet en tête, sont bons mais on demeure à l’extérieur de cette farce qui charrie, in fine, trop de grain à moudre…

Aucune réponse.

Laisser une réponse