41 SCENES MARQUANTES DE L’HISTOIRE DU CINEMA

Billets cinéma

LE CONFINEMENT S’EST ACHEVE… DESORMAIS, DE NOUVEAUX COMPORTEMENTS SOCIAUX S’IMPOSENT… EN ATTENDANT DE RETROUVER, LE 22 JUIN, LE CHEMIN ET LE PLAISIR DES SALLES OBSCURES, VOICI UNE EVOCATION QUOTIDIENNE DE MOMENTS MARQUANTS DU CINEMA…

SUNSET BOULEVARD.-  Après avoir réalisé notamment le remarquable fleuron noir qu’est Assurance sur la mort (1944), Billy Wilder signe Boulevard du crépuscule (1950), vite considéré comme un classique. Il y distille une évocation grave et désespérée d’Hollywood. Scénariste sans emploi, Joe Gillis (William Holden) rencontre par hasard Norma Desmond, une star du muet. Elle lui propose d’écrire une version de Salomé pour marquer son retour à l’écran… Wilder dirige Gloria Swanson qui accepta d’incarner une icône déchue et finalement meurtrière de Gilis, rôle que refusèrent Mary Pickford, Mae West et Bette Davis. Dans le rôle de Max, le majordome, on trouve Erich von Stroheim que Wilder considérait comme son maître.

Sunset BoulevardLa séquence finale, où le spectateur devient le témoin de la fin de Norma Desmond, est un beau moment de cinéma… sur le cinéma. Plan d’ensemble. Reporters, cameramen des actualités, policiers venus arrêter la meurtrière se pressent dans le hall de la villa de la star. Max se place entre les caméras de la télévision. Plan moyen sur l’apparition de Norma Desmond. Contre-champ sur Max : « Ready, Norma ? » Lent travelling en plan moyen sur la descente d’escalier de la star. Au bas des marches, plan américain sur Norma qui dit son bonheur d’être de retour sur les plateaux. « Je suis prête pour mon gros plan, M. DeMille ! » Regard halluciné, gagnée par la folie, Norma Desmond s’avance vers nous. Fondu au blanc. The End.

MONTY PYTHON : SACRE GRAAL !.- A la fin des années 60, les Monty Python déboulent dans l’univers de la télévision avec un Flying Circus qui chamboule tout avec un humour loufoque et ravageur… En 1975, les humoristes passent au grand écran. Ecrit et réalisé par Terry Gilliam et Terry Jones, Sacré Graal ! est une comédie loufoque qui délire allègrement sur la légende d’Arthur, la quête du Graal ou les Chevaliers de la Table ronde…

A la manière de leurs émissions télé, Gilliam et Jones (qui rejoignent dans le casting John Cleese, Graham Chapman, Eric Idle et Michael Palin) racontent une histoire en forme d’épisodes isolés… Le tournage est compliqué, les moyens limités et l’ambiance sur le plateau est souvent tendue. N’ayant pas de chevaux, ils inventent le gag des noix de coco…

Sacre GraalC’est dans la séquence du chevalier noir que s’exprime sans doute le mieux l’humour absurde des Monty Python. Le roi Arthur et son écuyer Patsy chevauchent (à pied) à travers la forêt lorsqu’ils observent comment un chevalier noir expédie un chevalier vert ad patres. Arthur propose au valeureux vainqueur de le rejoindre à Camelot. Silence. Arthur décide de poursuivre sa route. « On ne passe pas ! » Les deux vont donc s’affronter à grands moulinets d’épées. En plan américain, Arthur frappe, coupe un bras du chevalier noir, puis l’autre… « Une simple égratignure ! » dit le chevalier qui va perdre successivement une jambe puis l’autre… Arthur passe… L’homme-tronc lance alors : « Je vois qu’on se débine ! Sale lâche… »

LE QUAI DES BRUMES.- En 1938, Marcel Carné est contacté par le responsable des films français pour la UFA qui lui demande s’il n’a pas un sujet pour Jean Gabin, alors sous contrat avec la compagnie allemande. Carné qui a aimé Le Quai des brumes, un roman de Pierre McOrlan publié en 1927, propose cette histoire de déserteur de l’armée coloniale qui arrive au Havre d’où il veut quitter la France. Dans un bistrot, Jean fait la connaissance de Nelly, jeune fille mélancolique terrorisée par Zabel, son tuteur. Pour défendre la jeune fille, Jean tuera Zabel (Michel Simon)…

Gabin donne son accord. Carné songe à Michèle Morgan, alors âgée de 18 ans. Elle se souviendra : « Gabin disait « je suis sûr que cette môme ne sait pas embrasser », et ça m’énervait ! » Séduit par l’œuvre de McOrlan, Jacques Prévert accepte d’en faire les dialogues et écrira l’une des plus célèbres répliques du cinéma français.

Quai BrumesPlan moyen sur Nelly et Jean qui s’éloignent d’une fête foraine. Dans une ruelle, Nelly se laisse aller contre un mur. Gros plan sur le profil de Nelly : « Vous ne pouvez pas savoir comme je suis bien quand je suis avec vous. Je respire, je suis vivante… » Contre-champ sur le sourire de Jean qui ironise… Très gros plan sur les yeux clairs de Nelly. Contre-champ sur un très gros plan de Jean. Silence. Lui : « T’as de beaux yeux, tu sais ». Elle : « Embrassez-moi ». Plan poitrine sur le baiser. Nelly : « Embrasse-moi encore ». Fondu enchaîné sur la fête foraine…

L’ADMIRABLE CRICHTON.- Dans l’Angleterre du 19e siècle, William Crichton est le majordome zélé d’une famille aristocratique de Londres… Serviteur discret et diplomate, il veille au bien-être de Lord Loam et des siens et gère au mieux les caprices de la caractérielle Lady Mary Lasenby… Lorsqu’à l’occasion d’une croisière dans les mers du Sud, ces aristocrates se retrouvent naufragés sur une île déserte, les rôles vont s’inverser. Dans une nature sauvage, Crichton est désormais le seul maître à bord. Alors que les sens s’éveillent et que les différences se sont atténuées, le majordome, seul type débrouillard, devient la coqueluche des naufragés et notamment de Lady Mary…

Admirable CrichtonEn 1919, Cecil B. DeMille tourne Male and Female (en v.o.) précurseur de tous les films de naufragés en détresse… Le réalisateur offre un rôle en or à Gloria Swanson avec cette Lady Mary qui s’amourache de Crichton. Amateur de flamboyances antiques, DeMille tourne une scène qui n’a que peu à voir avec l’intrigue. Crichton et Mary évoquent l’allégorie du roi de Babylone (Crichton) et de son esclave (Mary) jetée aux lions. Essentiellement en plans d’ensemble, hormis un gros plan sur Gloria Swanson belle et apeurée et sur un lion la gueule béante, le cinéaste met en scène cette parenthèse très peplum où l’esclave, tout de blanc vêtue, descend dans l’arène. Un court plan moyen la montre, allongée, contre le lion rugissant. Gloria Swanson avouera plus tard avoir eu très peur en tournant ce plan…

OLD BOY.- Lorsque Old Boy a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2003, les festivaliers ont vécu un choc. On se souvient de la manière dont le héros arrangeait les dents d’un malfrat avec un marteau ou encore comment Oh Dae-su dévore, dans un bar, un poulpe vivant. On a appris par la suite que Choi Min-sik, qui incarne Oh Dae-su, était… végétarien. Second volet d’un triptyque sur la vengeance (le premier, en 2002, Sympathy for Mister Vengeance, avait établi la réputation de Park Chan-wook), ce thriller impressionne par une mise en scène virtuose récompensée, sur la Croisette, du Grand prix du jury.

Old boyEn se fondant sur un manga, lui-même inspiré du Comte de Monte-Cristo, le cinéaste sud-coréen raconte la tragique aventure d’un homme kidnappé en sortant de chez lui et emprisonné pendant quinze ans sans aucune explication… La scène la plus spectaculaire dans ce film visuellement impeccable, est celle où Oh Dae-su retrouve son lieu de détention et va mettre hors de combat son tortionnaire et tous ses hommes… Dans un couloir verdâtre, Park Chan-wook filme cette chorégraphie violente où les coups, de bâton ou de marteau, pleuvent en un unique et long plan-séquence avec de petits travellings pour accompagner le ballet entre Oh Dae-su (qui a un couteau planté dans le dos) et ses assaillants. Un dernier plan poitrine montre le héros avec un petit sourire aux lèvres tandis qu’un filet de sang coule sur son cou.

NOSFERATU LE VAMPIRE.- Et si Max Schreck avait lui-même été un vampire ? Voilà encore une de ces légendes que le 7e art aime à cultiver. Il est vrai que Schreck, qui était le vrai nom de cet acteur allemand (1879-1936), signifie… effroi ! Idéal, en somme, pour incarner le plus fameux de tous les vampires, celui qui traverse fabuleusement l’un des premiers films d’horreur du grand écran. Friederich Wilhelm Murnau qui tourne, en 1921, en extérieurs, notamment à Wismar et Lübeck, est un pionnier du genre. Il adapte, ici, le Dracula de Bram Stocker sans avoir l’autorisation des ayants droit. C’est ainsi que le comte Dracula deviendra le comte Orlock… Nosferatu, eine Symphonie des Grauens fit aussi les délices des surréalistes pour l’intertitre (présent dans la seule version française) : « Quant il eût passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre ».

NosferatuDans une cale de bateau, un marin frappe avec une hache sur une caisse. Gros plan sur des rats qui pullulent. Plan moyen. On aperçoit des mains griffues. Le vampire se redresse. Plan poitrine sur le marin effrayé qui s’enfuit. Plan demi-ensemble : le pont du bateau. L’homme à la barre s’attache au gouvernail. En forte contre-plongée, apparition de Nosferatu. Visage blême, crâne chauve, longues oreilles pointues, haute silhouette noire. De sa démarche saccadée, il sort du champ à droite. On ne voit plus que son ombre qui passe. Plan américain sur le marin angoissé. Fondu au noir. Intertitre : « Le bateau de la mort a un nouveau capitaine »

PSYCHO.- La séquence de la douche (peut-être, la plus célèbre de l’histoire du 7e art) dure, au total, 2 minutes 45 et montre, en 45 secondes, un violent assassinat .Quelques  poignées de secondes qui, grâce au talent et à la maîtrise d’Alfred Hitchcock, provoquèrent à la fois le frisson et la stupeur du public. Le frisson parce que la secrétaire Marion Crane est sauvagement tuée par Norman Bates, le gérant du motel isolé dans lequel elle a fait halte pour la nuit. La stupeur parce qu’à la 46e minute d’un film qui en dure 109, la star Janet Leigh disparaît brutalement alors qu’on ne l’avait pas quittée depuis le début…

PsychoseSur les trois semaines de tournage du film, le point d’orgue de Psychose (1960) a occupé pas moins de sept jours, l’équipe technique ayant à régler de multiples problèmes comme la mesure du débit d’eau et l’épaisseur du rideau de douche afin de déterminer si l’on pouvait voir l’héroïne nue. Pour cela, on recruta un mannequin, la jeune Marli Renfro, 21 ans, qui se tint, nue, derrière le rideau et qui doubla aussi Jane Leigh pour les plans « physiques ». De la star des Vikings ou de La soif du mal, on ne voit que la tête, les mains et les épaules.
Très découpée, avec un montage hitchcockien haletant, la scène conserve la violence hors-champ même si Bates manie un énorme couteau. Elle s’achève sur un gros plan de l’œil ouvert de Marion Crane morte. Janet Leigh eut du mal à conserver l’œil ouvert sans ciller et il fallut une vingtaine de prises pour mettre le plan en boîte…

CASQUE D’OR.- Lorsqu’en mars 1952, Casque d’or sort sur les écrans français, c’est un impressionnant et inattendu échec critique et commercial, le plus douloureux de toute la carrière de Jacques Becker. Rétrospectivement, on s’est interrogé sur ce revers, estimant que la franchise du cinéaste vis-à-vis de ses personnages et aussi un style quasiment néoréaliste ont peut-être rebuté les spectateurs. Pourtant cette chronique du monde des apaches parisiens du début du siècle est magnifique, notamment dans sa description d’un coup de foudre et d’une histoire d’amour impossible…

Casque ORDans une guinguette des bords de Marne, Jo Manda (Serge Reggiani), ancien voyou devenu charpentier, tombe sous le charme de Marie alias Casque d’Or (Simone Signoret) mais le beau Roland, amant du moment de Marie, ne l’entend pas de cette oreille… Dans une superbe économie de moyens qui n’exclut pas de traduire l’atmosphère de la sortie dominicale, la caméra de Becker saisit un bonheur intense. Tandis que Marie danse avec Roland, elle ne cesse de regarder Jo. Et quand, devant un Roland excédé et furieux, Marie propose de danser la valse avec Jo, on voit, dans une série de plans virevoltants, deux êtres qui, déjà, savent qu’ils vont s’aimer follement. Pas un mot n’est échangé mais les regards disent tout. Et Roland finira au tapis d’un crochet appuyé…
On reverra, à la fin du film, leur danse endiablée quand la tragédie aura frappé…

BASIC INSTINCT.- Comment, en une nuit cannoise, devenir une star internationale ! On ne ne fera pas, ici, le bilan de la carrière de Sharon Stone et d’ailleurs, en 1995, trois années après Basic Instinct, elle revint sur la Croisette en clôture de la compétition officielle sans que son Mort ou vif n’émeuve qui que ce soit. Cependant, en 1992, Sharon Stone va affoler les gazettes et faire couler des hectolitres d’encre et de salive.

En compétition au Festival, Paul Verhoeven signe un polar volontiers sulfureux où Sharon Stone incarne Catherine Tramell, romancière, bisexuelle, perverse et sociopathe, accusée du meurtre de Johnny Boz, une rock-star assassinée avec un pic à glace. Le flic Nick Curran (Michael Douglas) est chargé de l’enquête et tombe vite sous le charme de cette redoutable mante religieuse…

Basic InstinctConduite au commissariat, Mlle Tramell répond, avec décontraction et sensualité, aux questions de cinq enquêteurs. La lumière zèbre une ambiance bleutée. « Je n’ai rien à cacher », dit-elle. Verhoeven alterne les gros plans sur les policiers et Catherine. Après avoir tombé sa veste blanche, elle croise et décroise ses longues jambes, révélant une absence de culotte… Un bref plan américain entré dans la légende.
Pour parfaire la légende, Verhoeven et sa star se sont affrontés bien plus tard sur le fait de savoir si Sharon Stone avait été d’accord pour tourner la séquence sans porter de sous-vêtement. Cinéma et marketing, où allez-vous vous nicher !

LES VACANCES DE M. HULOT.- Près de Saint-Nazaire, un certain Monsieur Hulot décide de prendre quelques jours de vacances. Maladroit à souhait, ce grand échalas, boute-en-train malgré lui, va semer le désordre dans la petite station balnéaire de Saint-Marc-sur-Mer. C’est dans ces Vacances, emblématique d’un certain esprit de la France de l’après-guerre (le film est sorti en 1953), qu’apparaît pour la première fois cet Hulot lunaire, double de Jacques Tati (qui a toujours pris soin de l’interpréter lui-même) et qui deviendra un personnage récurrent dans l’œuvre tatiesque.

Vacances HulotSportif accompli à la ville, Jacques Tati a toujours fait une place de choix au sport dans son cinéma. Du côté de Saint-Marc, c’est le tennis qui retient l’attention. Certes la séquence est relativement courte mais elle est joyeuse et résume parfaitement la manière de Tati, notamment dans l’art du mime et du travail du son… Plan d’ensemble sur un court en bord de mer. Entrée en amorce de la voiture d’Hulot dont le moteur à explosion stoppe brièvement la partie. Contre-plongée sur la juge de chaise. Plan d’ensemble. Hulot, de dos, fait face à deux joueuses. « Ready ? » En veste, pantalon clair et chapeau en papier, Hulot sert deux aces. Plan moyen sur le service d’Hulot. La raquette en bout de bras va d’avant en arrière à plat avant un lancer court qui amène de véritables plombs. Sous l’œil ravi d’une beauté blonde, Hulot va ainsi écoeurer quelques joueurs pour la plus grande joie d’une arbitre conquise…

SHINING.- Avec Stanley Kubrick, la salle de bain devient le territoire de toutes les terreurs… A deux reprises en effet, dans le film (1980), le cinéaste l’investit. Jack Torrance va ainsi se retrouver, dans la fameuse chambre 237, devant une belle jeune femme nue qui, sortant de la baignoire, l’attire dans ses bras avant de s’y transformer en vieille dame cadavérique…

Cependant, le paroxysme est atteint dans une autre salle de bains, attenante au logement que la famille Torrance occupe dans l’immense hôtel Overlook. Tandis que Jack attaque la porte de l’appartement à la hache, sa femme Wendy et le jeune Danny, terrorisés, se réfugient dans la salle de bain.

ShiningDans un montage alterné, Kubrick filme Torrance, de dos, en travelling avant, marchant vers la salle d’eau. « Je suis de retour à la maison ! » Danny réussit à fuir en se glissant par une petite fenêtre. Le regard fou, Torrance (Jack Nicholson, au sommet de ses capacités de « monstre ») frappe à la porte : « Petits cochons, allez, ouvrez-moi donc ». Plan américain. Un grand couteau à la main, Wendy se recroqueville au fond de la pièce, en hurlant de peur. Au premier plan, la lame de la hache entame le bois de la porte. Plan poitrine, on aperçoit Jack à travers la porte défoncée. Il frappe à nouveau. Gros plan : Jack, regard dément, avance sa tête à travers la porte et lance un « Heeeeere’s Johnny » improvisé par Nicholson en référence à un célèbre talk-show américain des années 70. Gros plan sur la main de Torrance qui tente d’ouvrir le loquet. Wendy frappe avec la lame…

LES 400 COUPS.- Le 4 mai 1959, alors que l’ultime image du film se fige sur l’écran cannois, le public manifeste bruyamment et longuement son enthousiasme. Avec Les 400 coups, François Truffaut joue son va-tout : il sera cinéaste ou rien. On connaît la suite. Le film remporte le prix de la mise en scène sur la Croisette et ce premier long-métrage, qui révèle Truffaut au grand public, sera emblématique de l’essor de la Nouvelle vague.

Antoine Doinel, 12 ans, bête noire de son instituteur, vit coincé entre une mère qui ne l’aime pas et un beau-père gentil mais faible. Il décide alors de fuguer. Ce conte noir s’appuie sur certains éléments autobiographiques de son réalisateur. Mais le film repose aussi sur une véritable écriture…

400 CoupsLa séquence finale est, ainsi, inoubliable. Placé dans un centre de redressement, Doinel (Jean-Pierre Léaud) s’enfuit pour voir la mer qu’il n’a jamais vue. Un long travelling latéral, en plan américain, accompagne la course du jeune adolescent. La caméra abandonne alors Doinel et accomplit un lent panoramique à 180° qui découvre la mer. Reprise sur l’enfant qui débouche sur la plage. Un ultime travelling latéral, en plan moyen, le suit, courant sur le sable, vers la mer. Lorsqu’il atteint l’eau, Doinel se retourne. Regard caméra en cinémascope. L’image se fige rapidement. Le voyage au bout de la nuit de Doinel est fini. L’angoisse de l’après demeure. Le mot fin apparaît en lettres blanches.

L’AURORE.- Premier film tourné à Hollywood par le cinéaste allemand Friedrich Wilhelm Murnau, Sunrise, sorti en 1927, évolue entre le réalisme et le fantastique, entre le muet et le sonore, entre le jour et la nuit, le tragique et le burlesque, la campagne et la ville, l’amour et le sexe. Une nuit, la maîtresse d’Ansass, une Femme de la ville, le pousse à noyer son épouse. Mais, à deux doigts de passer à l’acte, Ansass se rétracte et entraîne sa femme à la ville où ils goûteront les plaisirs citadins. Au retour, une tempête éclate sur le lac qu’ils traversent et renverse la barque… Au matin, Ansass est seul sur la berge. Furieux, il tente d’étrangler son amante. Mais des cris de joie résonnent…

L'AuroreTournée en studio, le plan-séquence de la marche nocturne et sinueuse d’Ansass au bord d’un marais est un tour de force cinématographique. L’homme franchit différents seuils, aimanté qu’il est par le désir de la Femme tandis que la caméra semble soudain l’espionner, voire désirer sa perte. Quand, enfin, à la lueur de la lune, Ansass a rejoint son amante, Murnau va filmer le couple quasiment dans un cadre de pietà. Fardée de blanc et vêtue de noir, la Femme (qui ne sera jamais désignée qu’ainsi dans tout le film) a tout d’un vampire. Tel un Christ descendu de la croix, Ansass, les yeux tournés vers le ciel, est enlacé par la Femme qui resserre son étreinte. Tandis qu’un montage alterné montre les ébats du couple et l’épouse pleurant, La Femme finit par poser ses lèvres, dans un grand sourire, sur le cou offert…

LA GRANDE VADROUILLE.- Alors qu’ils n’avaient qu’une vraie scène ensemble dans Le corniaud (1965), André Bourvil et Louis de Funès ne se quittent plus, l’année suivante, en incarnant le peintre bonhomme Augustin Bouvet et le maestro hargneux Stanislas Lefort devant la caméra de Gérard Oury. Les aventures du tandem mal assorti feront la joie du publlic. La grande vadrouille, avec 17 millions d’entrées, reste le troisième meilleur résultat pour un film français après Bienvenue chez les Chtis et Intouchables.

Grande VadrouilleDans une comédie sous l’Occupation qui ne manque pas de scènes cultes, celle de la déambulation des deux personnages déguisés en soldats allemands de la Feldgendarmerie est d’autant plus savoureuse qu’elle fut largement improvisée.
Dans le décor sauvage du Chaos de Montpellier le Vieux, dans l’Aveyron, Augustin et Stanislas, traînés par les bergers allemands chargés de leur montrer le chemin, sillonnent le paysage, filmé en plan d’ensemble. Les voilà soudain face à un mur de pierres. Un lapin passe par un trou. Les chiens suivent. Gros plan sur les visages de Bourvil et De Funès dans l’orifice. Le premier escalade le mur. Le second va suivre. « Aidez-moi à descendre ! » Et voilà, Stanislas sur les épaules d’Augustin. Et il s’y trouve bien. Il domine la situation. Pourquoi descendre… Alors, dépité, le tendre benêt lâche : « Ca fait trois fois que vous me faites le coup. Mes souliers, mon vélôôô… »

DEADLINE USA.- Ex-journaliste, Richard Brooks s’est pleinement investi dans Bas les masques (en v.f.) car le thème de la liberté de la presse lui a toujours tenu à cœur. En contant les derniers instants du Day, journal libéral de New York, Brooks critique l’Amérique tout en exaltant, sans préchi-prêcha, les valeurs les plus nobles du pays d’Abraham Lincoln. Alors que le journal va être vendu à un concurrent sans scrupules, Ed Hutcheson (Humphrey Bogart dans l’un de ses rôles les plus mythiques), le rédacteur en chef du Day, va livrer, avec ses reporters, un ultime combat : faire tomber Thomas Rienzi, un caïd de la pègre…

Deadline USAGrand film classique et cependant lyrique, idéaliste tout en étant ancré dans le réel, Deadline USA (1952) s’achève par une séquence admirable et tragique. Rienzi, aux abois, téléphone à Hutcheson pour le menacer de mort s’il publie un article sur son compte. Sans doute, pour la dernière fois, Hutcheson se trouve alors dans la salle des rotatives du Day. Il va être 22h30. Rienzi réclame : « Yes or no ? » Un bref instant et Hutcheson, cadré en plan cravate (même si Bogart porte superbement le nœud papillon), fait un signe de tête. La sonnerie retentit. Les rotos commencent à tourner. Hutcheson tend son téléphone. Rienzi est surpris par le vacarme. « That’s the Press, baby, the Press… and there’s nothing you can do about it. Nothing. » C’est la presse et vous n’y pouvez rien. Ultime action d’éclat pour The Day et le quatrième pouvoir.

MELANCHOLIA.- En mai 2011, Lars von Trier est en compétition officielle à Cannes avec son onzième long-métrage. En conférence de presse, le cinéaste danois, interrogé sur ses origines allemandes, dérape sur Hitler et avoue son goût pour l’esthétique nazie d’Albert Speer. Malgré ses excuses, Von Trier est déclaré persona non grata sur la Croisette. Mais Melancholia est maintenu en compétition et Kirsten Dunst obtiendra même le prix d’interprétation. Sans doute le film aurait-il pu prétendre à la Palme mais…
Car Melancholia est un somptueux film de science-fiction qui ne s’en va pas du côté de la voie lactée mais préfère passer par la dimension de l’intime pour évoquer la destruction de la Terre… La séquence d’ouverture, aux accents du Tristan et Yseult de Wagner, est un pur moment de beauté avec ses ralentis et ses images inspirées de tableaux anciens.

MelancholiaAutour de la peur de la mort, la séquence finale est émouvante par sa poésie tragique. Sur une petite butte, Justine (Kirsten Dunst), Claire (Charlotte Gainsbourg) et son fils, Leo, 6 ans, s’installent sous une tente sans toile dont les mâts de bois apparaissent d’une dérisoire fragilité. Avec une caméra portée très mobile, le cinéaste multiplie les gros plans des trois personnages, de leurs mains qui s’étreignent. Aux accents de Tristan et Yseult, la lumière devient de plus en plus bleue. Enfin un plan général révèle la planète Melancholia s’approchant lentement de la Terre, emplissant tout l’écran avant l’apocalypse finale. Fondu au noir.

LA COMTESSE AUX PIEDS NUS.- Extérieur jour. Un cimetière de la Riviera italienne, non loin de Rapallo. En moins de deux minutes et en trois plans, Joseph Mankiewicz ouvre son film, installe le drame et interroge d’emblée l’absence. Au long du film, Il reviendra à huit reprises en flash-back dans ce cimetière…

Comtesse Pieds NusPlan d’ensemble sur une allée où un enfant se tient au milieu des tombes blanches. Grand travelling arrière qui, par un mouvement de grue, passe au-dessus d’un homme, tête nu, en imper sous une pluie battante puis au-dessus d’une série de parapluies sombres pour s’arrêter sur une statue blanche filmée de dos. Travelling avant à travers les parapluies pour arriver, en plan poitrine, sur Harry Dawes, réalisateur américain, qui évoque, en voix off, la comtesse qu’on porte en terre. D’un grand mausolée, panoramique à droite rapide vers la statue de face et travelling avant pour finir en légère contre-plongée. Fondu enchaîné avec un bruyant club espagnol… Harry Dawes qui assiste aux funérailles de la comtesse Torlato-Favrini dans une terre qu’elle ne connaissait pas six mois auparavant, constate, amer,  » La vie se conduit parfois comme si elle avait vu trop de mauvais films… » Mais qui porte-t-on, ici, à sa dernière demeure ? Une comtesse, Maria Damata, une vedette de cinéma à la brève carrière hollywoodienne ou encore une certaine Maria Vargas ?
En 1954, Mankiewicz réunit un duo mythique Humphrey Bogart (Dawes) et Ava Gardner (Maria Vargas) pour quêter le mystère d’une femme…

LA TRAVERSEE DE PARIS.- Plan d’ensemble d’une cave voutée. Contre-plongée sur la porte qui laisse le passage à Jambier suivi de Martin, enfin de Grandgil. Méfiant, Jambier interroge : « Vous êtes sûr de lui ? » Plan d’ensemble sur Jambier et Martin emballant des quartiers de cochon dans des torchons. Grandgil, admiratif : « Voilà un cochon qui n’a pas eu à se plaindre ! » Tandis que Jambier précise la destination du cochon et que Martin négocie le tarif, Grandgil évoque la rue Poliveau et se renseigne : « C’est bien le n°45, ici ? »

Traversee ParisDans la cave, la tension monte. Champ-contre champ sur Grandgil : « M. Jambier, 45, rue Poliveau. Pour moi ce sera 1000 francs » puis sur Jambier et Martin, ahuris. Désormais, c’est Grandgil qui mène l’affaire. Il renverse une boîte de sucre, plante son doigt dans un camembert, éventre un sac de haricots, se coupe une large tranche dans un jambon suspendu… Alors que Jambier veut les pousser dehors, Grandgil, ayant empoigné deux valises, constate : « C’est plus lourd que je ne pensais ! » Et de faire monter les prix… Dans l’escalier, les bras largement ouverts, Grandgil hurle, à tue-tête et à cinq reprises, « Jambier ! »
Western urbain sous l’Occupation, La traversée de Paris (1956) est sans doute le meilleur film de Claude Autant-Lara et une grande interprétation de Bourvil (Martin) et de Jean Gabin (Grandgil) avec De Funès en inoubliable second rôle. Au-delà de la comédie, la très fameuse séquence de la cave dit beaucoup aussi d’une certaine veulerie de l’époque…

NINOTCHKA.- Avec Billy Wilder au scénario, Ernst Lubitsch réalise, en 1939, un fleuron de comédie qui porte clairement sa « touch » et qui recevra un accueil enthousiaste à sa sortie… A Paris, trois agents du ministère soviétique du commerce sont chargés de vendre un lot de bijoux pris à des aristocrates pour acheter des machines agricoles. Le sympathique comte Léon d’Algout, qui a une idée derrière la tête, leur fait découvrir les « charmes décadents » du capitalisme. Débarque alors l’incorruptible commissaire politique soviétique Ninotchka Yakouchova chargée de remettre le trio dans le droit chemin…

NinotchkaLancé par le slogan « Garbo laughs ! », Ninotchka est la première comédie de la Divine. Dans la séquence à laquelle le slogan fait référence, l’avantageux comte d’Algout (Melvyn Douglas) a invité l’inflexible communiste à dîner dans un bistrot parisien. Pleine d’aversion pour cet oisif corrompu, Greta Garbo a le masque et dîne du bout des lèvres. En plan fixe, Algout raconte des blagues qui ne la dérident pas. Alors qu’il se balance sur sa chaise, il s’effondre au sol. Contre champ sur Garbo qui explose de rire. Tout comme les clients alentour. Algout, mécontent, se relève, s’assied à ses côtés. Ensemble, de bon cœur, ils ne tardent pas à éclater de rire.  L’idylle n’est plus très loin.
Star du mélodrame au visage parfait, Greta Garbo avait-elle, à cet instant, perdu le caractère inaccessible qui faisait son mystère ? Qu’importe, Ninotchka est déjà son avant-dernier film.

LA CITE DE LA PEUR.- Quelques journées cauchemardesques au Festival de Cannes pour la (petite) équipe du film Red is Dead, un nanardesque film d’horreur… En 1994, sur un scénario des Nuls (Alain Chabat, Chantal Lauby, Dominique Farrugia), Alain Berbérian met en scène une comédie absurde, loufoque et parfois pipi-caca qui connaîtra surtout son succès au gré des diffusions télévisées. Ce film potache deviendra aussi culte pour certaines de ses répliques dont le fameux « Vous ne préférez pas un whisky d’abord ? »

Cite PeurPendant la conférence de presse du film, Serge Karamazov, chargé de la protection du projectionniste menacé par le tueur à la faucille et au marteau, s’absente aux WC pour cause d’indigestion. Pendant ce temps, le tueur élimine le projectionniste et s’enfuit… Sur la Croisette, au milieu de la foule, s’engage une course-poursuite… La séquence alterne les travellings sur la fuite du tueur et la poursuite de Karamazov (Alain Chabat). Une clocharde poussant un chariot croise leur route. Le tueur l’évite. Karamazov freine à mort et la femme peut traverser le boulevard où elle est instantanément fauchée par un camion. C’est par le son que la séquence devient une parodie des courses-poursuites automobiles chères au cinéma d’action américain. Crissements de pneus, moteurs poussés à fond ou « autoroute » remontée à contre-sens au milieu de… joggeurs. Karamavov décolle aussi, au ralenti, avant d’éclater une chaussure, façon « pneu »… Fin de la poursuite mais pas de l’indigestion…

INDIANA JONES ET LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE.- La légende d’Hollywood veut que la fameuse saga soit née en 1977 sur une plage d’Hawaï où George Lucas parle à Steven Spielberg d’Indiana Smith, un archéologue américain qu’il imagine dans de fantaisistes aventures…

Indiana JonesLa dynamique séquence d’ouverture du film (1981) donne d’emblée le ton. Filmé en plan cravate, un homme en blouson de cuir et Fedora se tient à l’entrée d’une grotte. En contre-champ, une idole inca en or massif. Plan d’Indiana Jones au sourire ravi. Avec un pieu, il enfonce un orifice au sol. Aussi sec, une fléchette vient se planter dans le bois. Gros plans sur les pas prudents de Jones. Plan d’ensemble de la grotte. Travelling avant sur l’idole Chachapoyan. Indiana sort de son blouson un sac contenant du sable. Rapidement, il saisit la statue et bouche son socle avec le sac… Gagné ? Non, des pierres pleuvent autour de Jones en fuite. Un peu naïf, Jones lance l’idole au dernier porteur resté avec lui… et qui s’en va… Il lui faudra sauter par-dessus une fosse, saisir une liane qui se dérobe. Face à lui, une lourde dalle grise descend pour boucher le passage mais Jones réussit à se glisser dessous… Parmi les pièges, il devra échapper à une immense boule de pierre et à une troupe d’Indiens armés de lances et d’arcs… Pire, Jones sera dépouillé de l’idole et ne devra son salut qu’à un hydravion… L’épique thème musical de John Williams s’élève. L’aventure ne fait que commencer !

L’ARRIVEE D’UN TRAIN EN GARE DE LA CIOTAT.- S’il est un plan célèbre dans l’histoire du 7e art, c’est bien celui-là ! D’autant plus qu’il a alimenté la légende. Non, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat ne figurait pas dans le programme de la fameuse séance du Salon indien du 28 décembre 1895, considérée comme l’acte de naissance du cinéma.

Arrivée Train La CiotatOn ne sait pas, avec plus de précision, si la scène donna lieu à des mouvements de panique chez les spectateurs qui la découvraient. On raconte, en effet, que l’illusion du cinéma était si parfaite que le public effrayé pensa que le convoi allait carrément sortir de l’écran pour l’écraser…
L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, réalisé en 1895, dure 50 secondes et est composé d’un unique plan (on disait « vue » à l’époque) fixe. Louis Lumière, qui tient la caméra, met en œuvre son expérience de photographe en choisissant d’utiliser notamment la profondeur de champ qu’il est le premier à mettre en œuvre.
Le dispositif fait face aux rails avec, comme point de fuite, le fond droit du champ. Sur le quai, des voyageurs attendent. La locomotive apparaît, avance vers nous et sort du champ à gauche, laissant place aux wagons. Tandis que le train ralentit, le quai s’anime. A l’arrêt du train, les portes s’ouvrent. La foule emplit alors le quai (produisant une belle variété de cadrages), les voyageurs se mélangeant entre ceux qui descendent et ceux qui montent. Certains regardent même avec curiosité l’opérateur activant sa manivelle. Louis Lumière était, il est vrai, connu à La Ciotat…

M LE MAUDIT.- En 1931, Fritz Lang signe son premier film parlant et donne un chef d’œuvre du cinéma allemand qui, en pleine montée du nazisme, propose une interrogation dérangeante sur l’aspect criminel de la société…

Grand moment de cinéma, l’ouverture de M le maudit distille l’angoisse en ne montrant rien du crime. En plongée, une ronde d’enfants chantant une comptine où il est question d’un meurtrier… A l’étage, une mère crie de cesser avec cette maudite chanson. Midi, heure de la sortie de l’école. Le déjeuner est prêt. Le montage alterné de Lang montre successivement l’angoisse grandissante de Mme Beckmann et l’insouciance d’Elsie. Un travelling suit la fillette, jouant avec une balle. Gros plan sur une colonne Morris contre laquelle elle lance sa balle. On y lit « Wer ist der Mörder ? »

M_MauditUne ombre entre à droite dans le champ, sur l’affiche. « Quel joli ballon ! » dit une voix, puis interroge : « Comment t’appelles-tu ? » L’ombre s’est penchée sur l’enfant. Mme Beckmann est de plus en plus inquiète.  Plongée sur un marchand de ballons. L’homme est aveugle. Il fait face à un homme portant chapeau vu de dos et à Elsie de profil. On entend un air de Peer Gynt de Grieg sifflé par l’homme au chapeau. Elsie prend le ballon qu’on vient de lui offrir et sort du champ avec l’homme. Sur son palier, la mère crie le nom de la fillette. Plan moyen sur la balle d’Elsie roulant dans un terrain vague. Contre-plongée sur le ballon de la fillette qui s’est envolé… Le meurtre a été commis. La traque de M peut commencer…

IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN.- Elue « meilleure scène de bataille de tous les temps » par le magazine anglais Empire, le débarquement sur la plage d’Omaha Beach, le 6 juin 1944, est évidemment le temps fort de Saving Private Ryan que Steven Spielberg tourne, à partir de juin 1997 et pour quatre semaines, sur des plages… d’Irlande avec plus d’un millier de figurants et Tom Hanks dans le rôle principal du capitaine Miller. Ce capitaine d’une compagnie de Rangers se lance à l’assaut des blockhaus allemands en haut d’Omaha Beach dans un chaos de feu et de sang.

Soldat RyanPour le cinéaste américain, il n’est plus possible, à la fin des années 90, de ne pas montrer la guerre telle qu’elle était réellement sur les plages du D-day. En s’inspirant des fameuses photos réalisée par Robert Capa sur ces mêmes plages, Spielberg met en scène le  débarquement en se tenant au plus près des soldats. La séquence s’ouvre et s’achève sur un gros plan de la main tremblante de Miller puis sur sa gourde qu’il porte à ses lèvres. Longue de plus de 20 minutes, la séquence de la plage est tournée à 90% en steadycam (caméra portée) et privilégie une succession de travellings ainsi que des gros plans sur des soldats tétanisés dans le bruit et la mitraille. Si le réalisme de la séquence est impressionnant, Spielberg n’oublie pas d’en faire du.. cinéma captivant tant par la qualité des interprètes, le rythme du montage, l’élaboration du son ou encore le traitement de l’image par une suppression importante de la couleur…

LA GRANDE ILLUSION.- Au-delà de son intrigue principale (l’évasion de soldats français prisonniers dans une forteresse allemande), le film de Jean Renoir (1937) traite de la lutte des classes. Si sa préférence va assurément à Maréchal (Jean Gabin), l’homme du peuple, le cinéaste réussit pourtant une remarquable séquence en filmant la rencontre entre Boëldieu (Pierre Fresnay) et Rauffenstein (Erich von Stroheim pour lequel Renoir avait une admiration sans bornes). Les deux officiers se sont retrouvés dans la chapelle de la forteresse puis s’installent devant une fenêtre à carreaux.

Grande IllusionEn anglais, langue commune d’aristocrates, ils devisent, avec élégance, de Blue Minnie que Rauffenstein monta au prix du prince de Galles…
Renoir a construit toute la scène en champ / contre champ pour saisir le dégoût de l’Allemand (il était officier de cavalerie, il est devenu… policier), ses malheurs (sa colonne vertébrale brisée le contraint à porter corset et minerve) et l’attention souriante et complice de Boëldieu. Ce dernier interroge d’ailleurs : « Pourquoi m’avez-vous reçu chez vous ? » Et l’Allemand de résumer : « Parce que vous appelez Boëldieu, officier de carrière dans l’armée française et moi, Rauffenstein, officier de carrière dans l’armée impériale d’Allemagne ». Ensemble, ils peuvent convenir : « La fin, quel qu’elle soit, sera la fin des Boëldieu et des Rauffenstein… » Le Français : « On n’a peut-être plus besoin de nous… » et l’Allemand : « Et vous ne trouvez pas que c’est dommage ? » Renoir peut alors réunir les deux officiers dans le même plan avant un rapide fondu au noir. Tout a été dit.

CITIZEN KANE.- Dans son antre de Xanadu, Charles Foster Kane s’éteint en prononçant l’énigmatique « Rosebud » et en lâchant une boule de neige… En 1941, Orson Welles n’a que 26 ans et il signe, pour le compte de la RKO, la plus petite des grands majors, un Citizen Kane qui va être considéré, avec le temps, comme le meilleur film de l’histoire du 7eart. Bien sûr, on peut douter de la validité des classements mais, assurément, cette chronique d’un homme tout-puissant, de ses excès et de ses angoisses, est une œuvre somptueuse. Elle l’est notamment parce qu’Orson Welles, pour sa première réalisation, a su, non pas inventer (ils existaient depuis les origines) mais assimiler et magnifier sans doute des procédés comme la photographie en clair-obscur, les décors plafonnés, les travellings démesurés, les recherches sonores et l’emploi quasi systématique de la profondeur de champ.

Citizen KanePlus bel exemple de la profondeur de champ, la séquence où Tchatcher, futur tuteur de Kane, se pose entre ses deux parents pour décider de son destin. Tandis que la mère signe, le jeune Kane reste à l’extérieur, jouant dans la neige avec sa luge. Cadré dans la fenêtre constamment présente au fond du plan, l’enfant demeure toujours présent, véritable enjeu (innocent) de la rude tractation qui se joue. Mécontent du sort réservé à l’enfant, le père va fermer la fenêtre comme pour isoler Kane. Aussitôt, la mère rouvre la fenêtre, ramenant l’enfant à sa destinée…

LE SECRET DE VERONIKA VOSS.- Lorsqu’il entreprend Le secret …, Rainer-Werner Fassbinder est arrivé au bout de son parcours… Le plus prolifique cinéaste allemand de l’après-guerre donne alors une Trilogie allemande avec trois personnages de femmes (Le mariage de Maria Braun et Lola, une femme allemande encadrent Veronika Voss) qui portent sur leurs épaules la reconstruction d’une Allemagne promise au miracle économique…

Star de cinéma déchue, Veronika Voss est réduite en esclavage par des médecins qui la gavent de morphine contre l’abandon de sa fortune.

Secret Veronika VossPour RWF, Veronika Voss (inspirée de Sybille Schmitz, véritable actrice du temps de Goebbels) n’existe que par l’image que le cinéma a produit d’elle. Alors, dans une lumière très blanche, Veronika Voss (la remarquable Rosel Zech) apparaît d’emblée comme un fantôme… Die Shensucht der Veronika Voss est probablement le plus beau film de Fassbinder. Et le plus brillant dans sa mise en scène. La scène où la star, poings sur les hanches, chante le standard américain Memories are Made of This, repose sur un grand travelling circulaire qui enferme Veronika Voss dans un intérieur surchargé, éclairé aux bougies. De plus, les spectateurs qui l’écoutent, sont, souvent, filmés dans des cadres de fenêtres. D’une atmosphère étouffante et d’une caméra qui vampirise Veronika, émane une douloureuse nostalgie…

VACANCES ROMAINES.- Lorsqu’il tourne Roman Holiday, William Wyler n’a plus fait de comédies depuis 20 ans… Mais son casting lui indique qu’il tient le bon bout. Car voici une ravissante et fine inconnue de 23 ans venue de la danse et de la scène. Elle se nomme Audrey Hepburn et raflera d’entrée l’Oscar de la meilleure actrice pour cette parfaite comédie romantique dont les extérieurs sont tournés à Rome…

Vacances Romaines

Echappant au protocole, Ann, une princesse en visite à Rome, part à l’aventure dans la Ville éternelle et trouve, en Joe Bradley (Gregory Peck), un guide d’autant plus attentionné et bientôt amoureux qu’il est journaliste et qu’il sait tenir un gros scoop. Vacances romaines s’achève par une séquence de pure émotion. La folle journée d’Ann est finie. Redevenue l’héritière coincée dans les fastes princiers, son Altesse royale va répondre aux questions de la presse internationale. Au premier rang, Joe Bradley. Le sourire de circonstance d’Ann glisse sur la foule. Ses traits se figent furtivement en le voyant. Désormais elle répond automatiquement aux questions et Wyler filme l’échange de regards muets entre la princesse et le reporter. Faisant fi du protocole, Ann se fait présenter les journalistes. « So happy, Mr Bradley ! » La poignée de main est un peu plus longue qu’avec les autres… Ann retourne sur son trône. Gros plan sur son visage aux yeux mouillés. Tout le monde se retire. Joe s’éloigne, ému et songeur. Il se retourne une dernière fois. Travelling arrière en contre-plongée. The End.

CAT PEOPLE.- Dans l’une des rares interviews qui existent de Jacques Tourneur, celui-ci se souvient que son Cat People était sorti, en 1942, dans les salles américaines la semaine suivant la sortie de… Citizen Kane. Le « petit » film de la RKO resta à l’affiche treize semaines contre douze au plus grand film de l’histoire du 7e art, lui aussi un produit RKO… Tourneur en jubile encore. Avec La féline (en v.f.), le Français d’Hollywood (1904-1977) raconte l’aventure d’Irena Dubrovna, jeune dessinatrice de mode qui pense être la descendante d’une race de monstres slaves. En visite au zoo, elle rencontre Oliver Reed qui s’éprend d’elle et l’épouse. Mais Irena (Simone Simon, la tentatrice de Gabin dans La bête humaine) est effrayée à l’idée de consommer le mariage. Selon une légende de Serbie, son pays natal, un baiser la transformerait en fauve…

Cat PeopleLorsqu’il entame l’aventure de Cat People, le cinéaste n’a encore jamais fait peur à son public. Il va y parvenir magnifiquement en intégrant le fantastique dans un réalisme du quotidien et en oeuvrant constamment dans une (efficace) suggestion. Dans la plus belle scène du film, Alice (Jane Randolph) nage, un soir, seule dans la piscine d’un hôtel. Lorsqu’elle entend des feulements, elle prend peur… Tourneur fait grimper l’angoisse uniquement par les ombres qui passent sur les murs de la piscine… Enfin, apparaît Irena, qui considère Alice comme sa rivale. Irena n’a rien d’une panthère. Mais lorsqu’Alice revient au vestiaire, l’état de son peignoir la fait à nouveau frissonner d’angoisse…

CINEMA PARADISO.- Giuseppe Tornatore est un prometteur trentenaire quand il signe, en 1988, Cinema Paradiso qui est considéré comme son chef d’œuvre et qui obtiendra tour à tour le Grand prix du jury au Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Au cœur d’un touchant portrait de l’Italie des années 50 à 80, le cinéaste sicilien raconte la rencontre du petit Toto et d’Alfredo, le projectionniste du cinéma Paradiso…

Cinema ParadisoCet hymne à l’amour du cinéma s’achève par une séquence magnifique. Devenu cinéaste de renom, Salvatore Di Vita revient à Giancaldo pour assister aux funérailles d’Alfredo. Son ami lui a laissé un merveilleux cadeau. Toto rentre en effet à Rome avec une boîte métallique de film remise à son intention par la veuve d’Alfredo… Salvatore s’installe, seul, dans une salle aux fauteuils rouges. Le projectionniste envoie la lumière. Petit travelling avant sur Jacques Perrin, l’interprète de Salvatore. D’abord surpris, puis ébahi et ému, il voit défiler sur l’écran un montage de toutes les séquences coupées autrefois par la censure de Don Adelfio, le curé du village… Et c’est alors un florilège de baisers de cinéma qui envahit l’écran devant les yeux mouillés de larmes de Salvatore… Jane Russell, Greta Garbo, Martine Carol, Errol Flynn, Marcello Mastroianni, Gary Grant, Clara Bow, Rudolph Valentino, Toto et Charlot sont au rendez-vous du souvenir. L’ultime clin d’Alfredo à Toto est la plus belle image de l’immortalité du 7e art.

LE DICTATEUR.- En 1940, après avoir beaucoup résisté, Charlie Chaplin passe au parlant. Il va le faire avec un film qui sera son plus grand succès commercial. Alors que les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre contre l’Allemagne nazie, Chaplin fait du Dictateur une œuvre qui présente le nazisme comme un danger mortel pour les communautés juives d’Europe, pour l’humanité entière et pour la démocratie. Le cinéaste développe sa satire dans un pays imaginaire, la Tomanie, un régime dictatorial et fasciste dirigé par Adenoïd Hynkel dont un petit barbier juif est le sosie parfait. A la suite d’une méprise, le barbier se retrouve contraint d’improviser un discours devant une foule immense…

Dictateur

L’avant-dernière séquence du Dictateur est entrée au panthéon de l’espoir, de la liberté et de la paix. « Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider, les êtres humains sont ainsi. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas le malheur… » En moins de quatre minutes, les trois plans sont d’une simplicité biblique. Un plan-cravate fixe, un regard caméra de Charlie Chaplin, un court insert sur Hannah pleurant, puis un plan légèrement plus large et un travelling avant sur le barbier emporté par sa fougue humaniste. Ce beau et puissant discours est, aujourd’hui encore, d’actualité.

LE PIGEON.- En 1958, Mario Monicelli ouvre brillamment la voie de la comédie dite « à l’italienne » avec Le pigeon, une comédie mêlant film noir et néoréalisme et qui réunit une distribution de luxe avec Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Toto, Renato Salvatore et une débutante de 20 ans, Claudia Cardinale. D’après une histoire du duo Age et Scarpelli, le réalisateur romain raconte l’aventure d’une bande de bras cassés qui projettent de voler le coffre-fort du mont-de-pieté…

Le PigeonAyant réussi à pénétrer dans l’appartement mitoyen, les cambrioleurs utilisent des meubles et des objets avec lesquels ils forment une colonne entre deux parois, puis ils placent un cric au milieu et le déploient jusqu’à ce que la pression fasse éclater le mur.
Par un plan d’ensemble puis des détails, Monicelli prend soin de décrire le caractère absurde et burlesque de l’installation qui a aussi une forme de révolte sociale puisqu’elle utilise des éléments représentatifs du goût bourgeois. Il pointe enfin le catastrophique amateurisme des voleurs par un plan qui indique qu’il aurait suffi au personnage de Capannelle de passer par la porte de droite pour arriver de l’autre côté du mur.
Quand le mur tombe, les cambrioleurs se retrouvent dans une cuisine où, en guise de seul butin, ils trouvent un plat de pâtes qu’ils dégusteront… Avant de se disperser au petit matin et de retrouver la foule anonyme des travailleurs…

LAST CHANCE FOR LOVE.- Mauvaise journée pour Harvey Shine ! Cet Américain divorcé, créateur de jingles pour la pub, est venu à Londres pour le mariage de sa fille. Mais celle-ci a préféré demander à son beau-père de la conduire à l’autel. Harvey vient aussi d’apprendre qu’il était licencié et enfin il a raté l’avion qui devait le ramener à New York. Dans un bar sans joie de l’aéroport d’Heathrow, Harvey rumine et avale trois scotchs. Et il casse les pieds à Kate Walker assise là et qui tente péniblement de lire son bouquin. « J’ai eu une journée de merde ! » Kate : « Bienvenue au club ». L’Américain déroule alors sa journée et l’Anglaise constate : « D’accord, vous avez gagné ! » Il ne reste plus à Harvey à inviter Kate à déjeuner. Elle refuse lorsque son téléphone sonne. Harvey lance : « Si c’est pour moi, je suis sous la douche ! ». Kate sourit et Harvey pousse son avantage : « Dois-je y voir un signe d’espoir ? » lorsqu’un employé passe un bruyant aspirateur… Une savoureuse scène de séduction qui s’achève sur un petit cours so british de lèvres pincées…

Last Chance For LoveTourné en 2008 à Londres, Last Chance for Love n’est pas le film du siècle. Mais cette comédie romantique distille un petit charme bien agréable. Joel Hopkins filme deux personnages bien dessinés, en l’occurrence deux adultes matures et solitaires qui se demandent s’il est encore temps de prévoir un avenir à deux. Pour incarner Harvey et Kate, Dustin Hoffman et Emma Thompson sont simplement parfaits d’émotion discrète.

PAPY FAIT DE LA RESISTANCE.- Lorsque le film de Jean-Marie Poiré sort sur les écrans en octobre 1983, le public vient rire de bon cœur aux gags imaginés, d’abord au théâtre puis au cinéma par le tandem Martin Lamotte / Christian Clavier. Plus de 4 millions de spectateurs seront au rendez-vous.

Papy RésistanceAlors que le récit s’achève, un travelling arrière révèle un moniteur. L’histoire était un film qui fait place à un débat télévisé contemporain. Une incrustation défile sur l’écran (Pour obtenir SVP, composer pour Paris 787 11 11…) tandis qu’on entend le générique resté célèbre des Dossiers de l’écran. C’est d’ailleurs Alain Jérôme, le vrai présentateur de l’émission, qui est en plateau, entourés de certains protagonistes de l’aventure, maintenant âgés. Bernadette Bourdelle (Dominique Lavanant), le général Spontz (Roland Giraud), Michel Taupin (Christian Clavier) devenu ministre des Anciens combattants, Guy-Hubert Bourdelle (Martin Lamotte) et le fils d’Adolfo Ramirez, venu spécialement de Bolivie… Tous les invités conviennent que le film est un pur navet… Le fils Ramirez affirme que son père n’a fait qu’infiltrer la Gestapo… Le ton monte, Bernadette Bourdelle donne du « Sale Bougnoule ! » à Ramirez et quitte le plateau avec un « Ah, vous faites un beau métier ! » à Jérôme. Sur le plateau, Taupin, Guy-Hubert et Ramirez en viennent aux mains. Les noms d’oiseaux fusent. « C’est le mot de la fin » pour Alain Jérôme qui a du mal à garder son sérieux en rendant l’antenne…

MARIAGE ROYAL.- En janvier 1933, un jeune acteur de Broadway tourne un bout d’essai pour la RKO. Commentaire d’un responsable du studio : « Ne sait pas jouer. Légèrement chauve. Danse à l’occasion ». Habillé pour l’hiver, le bon Fred Astaire (1899-1987)! Mais, au début des années cinquante, le comédien-danseur est au sommet de sa carrière dans la comédie musicale.

Royal WeddingOn dit que le partenaire de Ginger Rogers ou d’Eleanor Powell pourrait danser avec n’importe qui, même avec un porte-manteau ! Pari tenu. Dans Royal Wedding, en 1951, le personnage de Tom Bowen entre dans un gymnase, jette un coup d’œil dans une pièce voisine, pose la main presque par inadvertance sur un porte-manteau. Et soudain, il l’embarque dans des pas virevoltants. Il le suit, le poursuit, le précède, l’enlace et le soulève, le prend sur ses épaules et le balance du bout de la chaussure. Stanley Donen filme le tout en plan moyen, le plan classique du musical… L’élégant Astaire joue avec des barres parallèles, un cheval d’arçon, un punching-ball, jongle avec des masses et revient au porte-manteau qui finira, renversé dans ses bras, comme toutes ses partenaires !
Sunday Jumps, ce solo éblouissant sur une musique de Burton Lane et Albert Sendrey, figure dans toutes les anthologies de la comédie musicale. Dans ses mémoires, Fred Astaire en attribue la paternité au chorégraphe Hermes Pan: « Ce numéro était on ne peut plus difficile à exécuter. Le tout était d’apprendre à manipuler l’objet, son poids n’était pas évident… » 

DEUX HOMMES DANS LA VILLE.- Intérieur, nuit. A pas feutrés, un groupe en costume sombre avance dans une prison. On allume brusquement la lumière dans la cellule de Gino Strabliggi. Réveillé en sursaut, il a compris. En silence, le rituel macabre se déploie. Dans une suite de travellings arrière, entrecoupée de quelques gros plans (le col de chemise découpé, les pieds et les poings liés, le verre d’alcool, la cigarette), le condamné à mort marche vers la guillotine. A Germain Cazeneuve, son éducateur, Gino murmure : « J’ai peur ». Très gros plans sur le regard embué de l’un, terrifié de l’autre. Ultime travelling arrière : le meurtrier d’un policier bascule sur la planche. Le couperet tombe. Noir. Résonne enfin la voix off de Jean Gabin : « Et puis derrière tout ça, y’a une chose que j’ai vue : une machine qui tue… »

Deux Hommes VilleEn 1973, José Giovanni tourne Deux hommes dans la ville. L’histoire d’un ancien braqueur (Alain Delon) qui a purgé dix ans de prison et qui, grâce à l’aide d’un éducateur, réussit à se réintégrer. Mais c’est sans compter sur la traque menée par un flic obsédé par l’idée « truand un jour, truand toujours »… Le cinéaste sait de quoi il parle, lui-même, au sortir de la guerre, a été condamné à la peine capitale pour des faits graves de droit commun avant d’être gracié en 1956 après onze années de travaux forcés. Reconverti avec succès dans le cinéma, Giovanni a, ici, huit ans d’avance dans son plaidoyer cinématographique sur Robert Badinter qui fera abolir la peine de mort en septembre 1981.

CASABLANCA.- Dans le brouillard de l’aérodrome de Casablanca, champ/contre champ mythique entre Rick Blaine et Ilsa Lund aux yeux mouillés. Une belle histoire d’amour impossible s’achève dans le bruit des hélices. Rick coupe court : « Vous allez rater votre avion ! » Tandis que le chef de la résistance tchèque et Ilsa s’éloignent, le capitaine Louis Renault lance à l’Américain : « J’avais raison. Vous êtes un sentimental !» Le policier de Vichy n’arrêtera pas Blaine. Le major nazi Strasser arrive sur le tarmac. Laszlo lui a échappé. Furieux, il n’aura pas le temps de téléphoner pour demander de l’aide. Rick l’abat. Alors que les hommes de Renault déboulent, Rick et le policier échangent, en champ contre-champ, des regards quasiment complices.

CasablancaRenault : « Arrêtez les suspects habituels ». On emporte le corps de Strasser. Renault (Claude Rains) et Blaine sont désormais réunis dans le même cadre. Renault : « Vous n’êtes pas seulement un sentimental, vous êtes un patriote ! »  Et de suggérer à Blaine de ne pas rester plus longtemps à Casablanca. Les Forces françaises libres les attendent à Brazzaville. A leur tour, les deux hommes s’éloignent dans la nuit. Tandis que les accents de la Marseillaise s’élèvent, Rick lâche : « Louis, je pense que c’est le début d’une belle amitié »The End pour Casablanca (1942), immense film-culte de Michael Curtiz. Humphrey Bogart, en trench/feutre ou smoking blanc et Ingrid Bergman radieuse y sont totalement et définitivement romantiques…

LES AVENTURES DE RABBI JACOB.- « Rabbi Jacob, elle va danser ! » C’est ainsi que s’ouvre la séquence la plus célèbre des Aventures de Rabbi Jacob. Dans la rue des Rosiers, au cœur du vieux quartier juif de Paris (la rue sera reconstituée à Saint-Denis), Rabbi Jacob prend un grand bain de foule au milieu d’une population en liesse venue accueillir le vénérable tzaddik… Las, à la suite d’une rocambolesque méprise, c’est Victor Pivert, un industriel français, bourgeois, raciste et chauvin, qui s’est glissé dans le caftan du vrai rabbin venu de New York pour célébrer la Bar mitzva de David, un jeune parent… Cependant Pivert n’a nulle échappatoire… Coiffé d’un chapeau noir, portant caftan et des papillotes, il se lance, d’abord maladroitement puis allègrement, dans une danse hassidique endiablée…

Rabbi Jacob

Grand succès de l’année 1973 avec plus de 7,2 millions de spectateurs, Les aventures de Rabbi Jacob est souvent réduit à cette fameuse danse endiablée imaginée par le chorégraphe franco-israélien Ilan Zaoui sur une musique de Vladimir Cosma inspirée du genre klezmer. Fondateur de la compagnie Kol Aviv, Zaoui (qui a plusieurs fois retravaillé avec Gérard Oury par la suite) s’est appuyé, en les modifiant largement, sur des danses d’inspiration hassidique qui étaient au répertoire de sa troupe. Au départ, la scène de danse ne figurait pas dans le scénario. Oury voulait simplement qu’il y ait un moment traditionnel et, dans une première idée, voyait Pivert/Rabbi Jacob jouer du violon comme un virtuose…

SOMETHING’S GOT TO GIVE.- Ce n’est pas un film… Juste quelques scènes. Rares, donc chères. Surtout au cœur de tous les fans de Marilyn Monroe. Dont je suis…
A la suite de la disparition de son épouse, Nick s’est remarié. Mais Ellen réapparaît. Elle revient au domicile conjugal, rencontre ses enfants qui ne la reconnaissent pas. Pour pouvoir demeurer dans la maison, Ellen se fait passer pour la nounou suédoise des gamins. Un soir, elle prend un bain de minuit dans la piscine. Plan moyen: elle sort de l’onde, (brièvement) nue et superbe… Ultime et précieuse image de Marilyn Monroe, magnifique et éternelle.

Marilyn SomethingC’était en 1962 et George Cukor mettait en scène Marilyn Monroe dans Something’s Got to Give, deux ans après l’avoir dirigée dans Le Milliardaire. L’expérience s’était alors mal passée et le cinéaste n’avait accepté qu’à contre-cœur cette nouvelle mission. Qui se révéla catastrophique. La star est absente ou constamment en retard, prétextant divers malaises. Dans le même temps, la Fox se débat avec le budget du Cléopâtre de Liz Taylor dont les coûts explosent. Le studio ne peut mener de front les deux productions. Le 8 juin, Marilyn est virée et le tournage arrêté. La comédienne va mener une campagne médiatique pour prouver qu’elle est en pleine forme et capable d’achever le film. Dean Martin, son partenaire, déclare qu’il ne tournera avec personne d’autre que Marilyn. La Fox lui propose un nouveau contrat et lui offre le plus gros salaire qu’elle n’ait jamais touché. Quatre jours plus tard, elle meurt dans la nuit du 4 au 5 août 1962.

TAXI POUR TOBROUK.- Les années cinquante- soixante sont une période florissante pour Michel Audiard… Il est au sommet de son art et cisèle des dialogues pour des réalisateurs comme Grangier, Delannoy, Decoin ou Verneuil. Le dialoguiste qui avait de la tendresse pour les chauffeurs de taxi, a l’occasion de développer sa verve en 1961 pour Denys de la Patellière qui tourne un film sur l’absurdité de la guerre dans la Lybie occupée par les nazis en 1942. Le taxi de Taxi pour Tobrouk est en fait une véhicule militaire allemand pris à l’ennemi par un commando perdu. Ils sont quatre soldats français qui vont hériter, en prime, d’un capitaine allemand.

Taxi TobroukC’est l’affrontement verbal entre ces militaires qui va faire le sel et le succès du film. A l’évocation par Von Stegel, l’officier allemand (Hardy Kruger) de son séjour rue Monsieur-le-Prince et du côté du parc Montsouris, le brigadier Dumas (Lino Ventura) constate : « La rive gauche en dehors du Vel’Hiv, c’est que dalle ! » Et comme l’évocation de la capitale se prolonge, le brigadier balance : « Le couplet sur Paris, ça fait deux ans qu’on en croque. Ca revient comme du chou… (…) Dans cinq minutes, y’en a un qui va sortir un ticket de métro ou des photos de la Foire du Trône… » Alors Goldman (Charles Aznavour) rétorque : « Seriez-vous insensible à la nostalgie, brigadier Dudu ? » Et Jonsac (Maurice Biraud) de renchérir : « Grattez un boxeur, un philosophe apparaît. Y’a chez Dudu, un Platon qui sommeille ! » De l’Audiard pur jus !

LES LUMIERES DE LA VILLE.- Lorsque Charlie Chaplin entreprend, au début de 1929, le tournage des Lumières de la ville, il est pris d’une angoisse inhabituelle. Le cinéaste s’inquiète du fait qu’un film muet peut alors paraître anachronique… Du coup, il accepte quelques concessions, en l’occurrence de la musique et des effets sonores. Et il va réussir une comédie lyrique d’un humour et d’une beauté intemporels.

Comme il voulait aussi offrir à Charlot une dimension plus romantique, il va inscrire le vagabond dans une œuvre d’une limpide simplicité : Charlot s’amourache d’une fleuriste aveugle qui le prend pour un homme riche… Pour incarner la fleuriste, le cinéaste a jeté son dévolu sur Virginia Cherrill, une débutante choisie pour sa… myopie. Elle était la seule, selon lui, à pouvoir « paraître aveugle sans être choquante ou repoussante ». Le tournage de la scène de la première rencontre entre Charlot et la fleuriste demanda des semaines de travail.
Lumières de la villeCréateur d’une absolue exigence, Chaplin estimait que Virginia n’était pas jamais assez concentrée. De plus, c’était la première fois qu’il travaillait avec une comédienne pour laquelle il n’avait aucune attirance. La scène figure toujours au Guinness des records pour avoir fait l’objet du plus grand nombre de prises, 342 en l’occurrence !

Mais, trois ans après l’apparition du parlant, Chaplin avait réussi l’impossible : donner un film muet (qui devait clore ce soir la saison du Ciné-Cycles au Palace de Mulhouse) qui rencontrera un immense succès dans le monde entier.

© Photos PLC – DR

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  1. Antoine C. 26 juin 2020 |
    Bravo pour ces chroniques! Précises et pertinentes!!!
  2. Cereja Antoine 26 juin 2020 |
    Bravo et merci pour ces chroniques!! Précises et toujours pertinentes!

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