Les voyageurs du temps et l’industriel en galère
Outre Partir un jour et Jeunes mères dont on trouvera les critiques ici, trois autres films de la sélection officielle du Festival de Cannes sont déjà sur les écrans. On reviendra prochainement sur les aventures d’Ethan Hunt dans l’xième (et ultime) épisode de Mission impossible. Les films de Wes Anderson et de Cedric Klapisch y étaient également. Un retour pour le cinéaste américain dont le film Moonrise Kingdom avait fait l’ouverture en 2012. Une première, hors compétition, pour le metteur en scène français !
EPOQUES.- Au musée de l’Orangerie à Paris, une jeune visiteuse fait un selfie devant les Nymphéas de Monet. D’autres visiteurs suivront. Seb, lui, fait un shooting de mode devant le Monet avec la jolie Leslie. L’un des créatifs n’est pas satisfait des couleurs. On peut changer numériquement les couleurs de la robe, dit l’un. « Ah non, on a un contrat ! Si on changeait plutôt les couleurs du tableau ! »
A la fin du 19e siècle, Adèle Meunier quitte, le coeur lourd, sa Normandie natale. Elle laisse là Gaspard, son amoureux transi. Mais Adèle, 20 ans, veut absolument se rendre à Paris pour retrouver une mère qui l’a abandonnée toute petite. En chemin, elle rencontre Anatole et Lucien, deux jeunes gens qui veulent conquérir la capitale…
De nos jours, un notaire a réuni une trentaine de personnes issues d’une même famille pour les informer qu’ils vont recevoir en héritage une maison abandonnée depuis des années. Quatre d’entre eux, Seb, Abdel, Céline et Guy sont chargés d’en faire l’état des lieux. Ces lointains cousins vont alors découvrir des trésors cachés dans cette vieille maison et se retrouver sur les traces d’une mystérieuse Adèle…
Avec La venue de l’avenir (France – 2h06. Dans les salles le 22 mai), Cédric Klapisch marque son retour sur le grand écran depuis En corps (2022) et il décrit ce nouveau film « comme un défi technique et humain, où chaque plan d’époque demandait des heures de préparation. » Car Adèle se retrouve dans le Paris de 1895, au moment où la ville est en pleine révolution industrielle et culturelle. L’auteur du Péril jeune (1994) et de l’Auberge espagnole (2002) suit, dans le même temps et dans le même mouvement, les pérégrinations des quatre cousins lancés, de nos jours, dans un voyage introspectif au coeur de leur généalogie. Avec aisance, Klapisch nous promène d’une époque à l’autre. Adèle va découvrir qu’Odette, sa mère, est à l’oeuvre dans une maison close tandis que ses descendants bataillent contre l’idée qu’on puisse détruire la vieille demeure et installer, à sa place, un centre commercial. Et ce va-et-vient est bien une manière de questionner notre rapport au progrès, en montrant ce qu’on a gagné (eau chaude, électricité, internet), mais aussi ce qu’on a perdu (poésie des paysages, lenteur, authenticité). D’ailleurs, le personnage de Guy disait dans un dialogue finalement coupé au montage : « Le progrès a eu sa chance, et quand on voit l’état du monde aujourd’hui, on peut dire que ça n’a pas marché ».
Avec le temps de 1895, le film a quelque chose de (forcément) nostalgique mais aussi d’enivrant avec la découverte de la photographie ou la naissance de l’impressionnisme qui viendra bouleverser l’existence d’Adèle, d’abord, de ses héritiers ensuite.

« La venue… »: Guy (Vincent Macaigne),
Abdel (Zinedine Soualem), Cécile (Julia Piaton)
et Seb (Abraham Wapler). DR
Avec son chef opérateur Alexis Kavyrchine, un Klapsich inspiré s’est appliqué à donner une texture particulière à l’image. Pour 1895, ils ont ainsi cherché à imiter les autochromes, premières photos couleur, avec du grain, des contrastes doux et une lumière naturelle. Ils ont aussi repris des cadrages directement inspirés de tableaux de Monet ou Degas. Le film débute même par un plan conçu comme une reconstitution d’un tableau de Monet peint à la gare Saint-Lazare et, du côté du Havre, un superbe plan « reproduit » Impression soleil levant, la toile de Monet considérée comme le premier tableau impressionniste avec ses innovantes touches de couleur…
La venue de l’avenir est une promenade entre deux époques mais aussi un film sur la transmission, entre art et généalogie. Si la transmission est centrale dans les films de Klapisch, elle s’élargit, ici, à l’héritage artistique. « Que nous laissent la peinture et la photographie en termes de mémoire, de regard, et de sens ? » interroge le cinéaste.
Grâce à un beau casting, on s’attache tout autant à Adèle Meunier, jeune provinciale naïve, prenant de la superbe (sa mère lui a dit : « Mieux vaut regretter les choses qu’on a faites plutôt que les choses qu’on n’a pas faites ») rencontrant Monet, Victor Hugo, Félix Nadar et Sarah Bernhardt qu’à ses descendants devenus créateur de contenus digitaux, ingénieur en transports, prof de français en collège ou apiculteur et militant contre les ogm et le grand capital. Même s’il leur faut recourir à des… plantes chamaniques pour entrer en transe et en contact avec les anciens, ils ne seraient, de toutes manières, pas sortis indemnes de cette rencontre avec leurs racines…
On part donc volontiers en balade avec ces voyageurs d’hier et d’aujourd’hui incarnés par Suzanne Lindon (Adèle), Abraham Wapler (Seb), Paul Kircher (Anatole), Vassili Schneider (Lucien) ou encore Claire Pommet (Fleur) sans oublier Vincent Macaigne (Guy), Julia Piaton (Céline), Sara Giraudeau (Odette) et des comédiens fétiches de Klapisch : Zinedine Soualem (Abdel) et Cécile de France qui campe Calixte de la Ferrière, une conservatrice de musée si BCBG qu’on ne reconnaît pas sa voix !

« The Phoenician… »: Zsa-Zsa Korda (Benecio del Toro), Liesl (Mia Threapleton)
et Bjorn (Michael Cera). DR
GAP.- En 1950, Anatole « Zsa-zsa » Korda, industriel énigmatique comptant parmi les hommes les plus riches d’Europe, survit à une nouvelle tentative d’assassinat. Ce n’est que la sixième fois qu’il échappe à un accident d’avion. Ses activités commerciales aux multiples ramifications, complexes à l’extrême et d’une redoutable brutalité, ont fait de lui la cible non seulement de ses concurrents, mais aussi de gouvernements de toutes tendances idéologiques à travers le monde – et, par conséquent, des tueurs à gages qu’ils emploient. Korda est aujourd’hui engagé dans la phase ultime d’un projet aussi ambitieux que déterminant pour sa carrière : le Projet Korda d’infrastructure maritime et terrestre de Phénicie, vaste opération d’exploitation d’une région depuis longtemps laissée à l’abandon, mais au potentiel immense. Le risque financier personnel est désormais vertigineux. Les menaces contre sa vie, constantes. C’est à ce moment précis que Korda décide de nommer et de former celle qui va lui succéder : Liesl, sa fille de vingt ans, devenue une nonne, qu’il a perdue de vue depuis plusieurs années.
Accompagné de Bjorn, son précepteur (qui joue un double jeu) et de Liesl, Zsa-zsa entreprend une traversée de la Grande Phénicie Indépendante moderne, enchaînant les rencontres avec ses divers partenaires (avec notamment une partie de basket-ball) dans le but de combler le « gap » – un gouffre financier croissant que Zsa-zsa évalue ainsi : «Tout ce qu’on a – et un peu plus encore. » En chemin, Liesl s’attache à exhumer les zones d’ombre entourant le meurtre non élucidé, dix ans plus tôt, de la première épouse de Zsa-zsa et qui pourrait être sa mère.
Pour un cinéphile, un film de Wes Anderson s’apparente toujours à un événement parce que l’auteur de La vie aquatique (2004), A bord du Darjeeling Limited (2007) ou The French Dispatch (2021) a le don de fabriquer des images insolites, de créer des situations rocambolesques, le tout dans un univers très personnel et fortement reconnaissable. The Phoenician Scheme (USA – 1h41. Dans les salles le 28 mai) n’y fait pas exception. D’emblée, on se divertit des trouvailles visuelles comme de l’utilisation, appliquée et amusée, de tout le vocabulaire cinématographique (ah, la plongée sur la salle de bain!) ou encore d’un casting qui fait songer à ceux qu’organisait autre fois le tricard Woody Allen.
Mais il faut bien dire qu’on ne comprend pas grand-chose aux péripéties et affres financières du malheureux Zsa-Zsa qui finira par tenir une modeste gargote ! Reste, on l’a dit, que ce puzzle loufoque, par ailleurs bourré de références picturales, est porté par Benecio del Toro (Korda), Mia Threapleton, la fille de Kate Winslet, dans le rôle de Liesl ou encore Michael Cera (Bjorn) et voit passer Tom Hanks, Bryan Cranston, Riz Ahmed, Mathieu Amalric, Jeffrey Wright, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch (en grand malade) ou Bill Murray, Willem Dafoe, Charlotte Gainsbourg…
A ce jour, le plus film le plus épatant de l’Américain de 56 ans reste toujours The Grand Budapest Hotel (2014). Le cru 2025 est moins gouleyant.