Moh Bida, un héros discret à Kaboul

Roschdy Zem incarne un héros humain. DR

Roschdy Zem incarne un héros humain. DR

A l’ambassade de France de Kaboul, c’est le branle-bas de combat. Dans tous les bureaux, on s’affaire à récupérer du matériel sensible, à mettre en lieu sûr des disques durs comme des clés USB mais aussi à passer à la broyeuse des tas de documents officiels… Pas question de laisser tout cela tomber entre les mains des talibans qui ont pris le contrôle de l’Afghanistan et sont désormais entrés au coeur de la capitale Kaboul.
Le 15 août 2021, les troupes américaines s’apprêtent à quitter un pays où ils sont présents depuis vingt ans, achevant ainsi la plus longue guerre menée par les Etats-Unis. Dans la ville, les talibans font régner la terreur, abattant sans sourciller ceux qui font mine de s’opposer à eux ou qui, comme ce restaurateur, tente de mettre à l’abri son stock de bouteilles d’alcool. Au milieu du chaos, des milliers d’Afghans affluent, dans la Green Zone, vers le dernier lieu encore protégé: l’ambassade de France.
Au mépris du danger, le commandant Mohamed Bida, responsable de la sécurité, lui, a quitté, à bord d’un véhicule banalisé, l’ambassade français pour récupérer, en ville, son « frère » Sediqi, haut responsable des services secrets afghans, désormais pourchassé par les fondamentalistes islamistes.
Si Moh a réussi à ramener Sediqi à l’ambassade, il sait que sa tâche va être très rude, en l’occurrence organiser le départ des ressortissants français mais aussi de centaines d’Afghans terrorisés prêts à tout pour fuir leur pays. Une première opération, imaginée avec une navette d’hélicoptères, échoue. Désormais le convoi de la dernière chance sera une kyrielle de seize bus en route pour l’aéroport d’où ils pourront s’arracher à l’enfer de Kaboul.

Eva (Lyna Khoudri) et Moh Bida. DR

Eva (Lyna Khoudri) et Moh Bida. DR

Martin Bourboulon a fait ses premières armes de réalisateur dans le long-métrage avec la comédie Papa ou maman (2015) mais il s’est ensuite fait remarquer avec de grosses productions pour Pathé avec successivement Eiffel (2021) sur l’histoire d’amour (fictionnelle ?) entre l’ingénieur Gustave Eiffel et la jeune Adrienne Bourgès, durant laquelle va émerger l’idée de créer la tour Eiffel et surtout, en 2023, le diptyque Les trois mousquetaires : D’Artagnan et Les trois mousquetaires : Milady qui a réuni, sur les écrans français, près de six millions de spectateurs.
Pour Treize jours, treize nuits, le cinéaste retrouve Ardavan Safaee, le big boss de Pathé et le producteur Dimitri Rassam qui lui mettent en main 13 jours, 13 nuits : dans l’enfer de Kaboul, le livre du Commandant Mohamed Bida paru en 2022 chez Denoël. « La description très méticuleuse, dit le metteur en scène, dans le livre de l’opération d’exfiltration m’a fascinée. Mais c’est l’histoire de ces hommes et femmes forcés de fuir un pays qu’ils aiment qui m’a réellement bouleversé. Après mes précédents films, j’avais aussi envie de me confronter à un sujet plus contemporain avec une approche différente. »
Sur les pas du commandant Bida, Bourboulon a construit un solide thriller qui n’a rien à envier aux productions hollywoodiennes du même type. Le cinéaste a pris comme modèle le style très efficace (et violent) de Sicario (2015) de Denis Villeneuve sur la guerre, à la frontière entre les USA et le Mexique, entre la CIA et les narcotrafiquants. Mais on pourrait aussi bien évoquer le rythme de Zero Dark Thirty (2012) de Kathryn Bigelow qui retrace la longue traque d’Oussama ben Laden par la CIA.
Ici aussi, on s’inspire de faits réels puisque le film raconte l’aventure de Mohamed Bida, nommé attaché de sécurité intérieure de l’ambassade de France, après l’attentat (non revendiqué) du 31 mai 2017 dans le quartier des ambassades de Kaboul qui fit 150 morts et 463 blessés. Le commandant Bida est chargé de veiller sur le personnel de l’ambassade. En août 2021, il est l’un des principaux responsables de la sécurité de l’ambassade et, pendant « treize jours, treize nuits », il va assurer avec un petit groupe de policiers du RAID et en coordination avec l’ambassadeur David Martinon replié à l’aéroport, l’exfiltration de plusieurs centaines de personnes réfugiées à l’ambassade. « Bien au-delà de sa mission », il organise l’accueil et l’hébergement des employés afghans en possession d’un visa comme celui des ressortissants Français encore sur place.

Sidse Babett Knudsen en reporter de guerre. DR

Sidse Babett Knudsen en reporter de guerre. DR

Fils de harki, Bida connaît mieux que personne le sort qui serait réservé aux traducteurs et aux agents de sécurité, payant cher l’aide apportée aux Occidentaux, s’ils ne pouvaient quitter Kaboul. En trois jours, le nombre de retranchés dans l’ambassade de France grossit de 80 à 400 personnes… Moh et la petite dizaine de policiers vont s’occuper, seuls, de la logistique, de la nourriture, de l’hébergement et même de trouver des couches pour les bébés…
Martin Bourboulon s’attache à rendre palpable la tension permanente qui règne à Kaboul et plus précisément dans l’unique service diplomatique encore présent dans la Green Zone. Bida sait qu’il est embarqué dans une course contre la montre. Contraint de naviguer entre les ordres de ses patrons, les atermoiements du gouvernement à Paris mais aussi les réticences de ses collègues policiers, Bida va tout mettre en œuvre pour réussir ce qui a tout d’un coup de poker. Pris au piège, il décide de négocier avec les talibans pour organiser une dangereuse sortie de l’ambassade. Pour des négociations directes avec des responsables talibans forcément hostiles, il est bien obligé d’employer, comme traductrice, Eva, une jeune humanitaire franco-afghane. La scène de discussion où un petit chef taliban entraîne Moh et Eva à l’abri d’une guérite est troublante de violence prête à exploser… De même, les scènes de foule en panique sont impressionnantes tant on sent la peur d’un peuple qui veut fuir la terreur mais qui n’a pas envie de quitter son pays…

Une foule apeurée se presse à proximité de l'aéroport de Kaboul. DR

Une foule apeurée se presse à proximité
de l’aéroport de Kaboul. DR

Comme on est au cinéma, Treize jours, treize nuits a besoin d’un héros. Il le trouve évidemment avec Moh Bida, un type humain en diable mais pleinement conscient de sa mission. Car le commandant Bida a tout bonnement un… job à accomplir. Et il ne peut se permettre de craquer même s’il retient sa main qui tremble ou ses larmes quand il apprend la mort de Nicole, la jeune GI américaine, tuée, le 26 août, dans un attentat perpétré par Daech à Abbey Gate, à proximité de l’aéroport de Kaboul. Face au chaos, Bida se montre courageux, déterminé et meneur d’hommes. Bourboulon a trouvé avec Roschdy Zem un interprète remarquable pour incarner un héros humain et humble. Autour de lui, gravitent une poignée de personnages forts, notamment deux femmes en l’occurrence Eva, la traductrice jouée par Lyna Khoudri et une journaliste (inspirée par Clarissa Ward, reporter pour CNN) à laquelle la Danoise Sidse Babett Knudsen, la mythique première ministre de la série Borgen, apporte toute l’intensité de son regard et de son jeu.
Dans l’avion qui ramène tout le monde en lieu sûr, Mohamed Bida se recroqueville sur lui-même, submergé par l’émotion. Quelques jours plus tard, il partait à la retraite après quarante années de service.

TREIZE JOURS, TREIZE NUITS Drame (France – 1h52) de Martin Bourboulon avec Roschdy Zem, Lyna Khoudri, Sidse Babett Knudsen, Christophe Montenez, Nicolas Bridet, Shoaib Saïd, Sina Parvaneh, Athena Strates, Jean-Claude Muaka, Yan Tual, Luigi Kroner, Fatima Adoum. Dans les salles le 27 juin.

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