Sublime, mystérieuse et complètement tordue

On va voir un film de David Fincher parce que, justement, c’est du… Fincher, autrement dit le réalisateur du frissonnant Seven (1995), du culte Fight Club (1999), du passionnant Zodiac (2007), de l’étrange Benjamin Button (2008) et même de la version US plus que pas mal du scandinave Millenium (2011). A cette liste, on ajoutera donc Gone Girl, étonnante entreprise de démolition du mythe du couple parfait. Et on peut dire que Fincher n’y va pas avec le dos du cutter…

Au début de Gone Girl, on trouve Nick Dunne, tee-shirt informe, les bras ballants sur le trottoir, devant ses poubelles, dans un coin clean mais sans joie de l’Amérique rattrapé par la crise. En voix off, il se demande « A quoi tu penses? », « Qu’est-ce que tu sens? », « Qu’est-ce qu’on fait? », questions fondamentales, se dit-il, dans toute relation conjugale. A la fin, Nick s’interroge toujours mais ajoute: « Qu’est-ce qu’on va faire? ». Il est vrai qu’entre temps, tout ou presque a explosé dans sa vie.Girl1-300x199

Ben Affleck. DR

Au retour d’une descente dans un bar (on apprendra que c’est le sien et qu’il le gère avec Margot, sa soeur jumelle), Nick Dunne constate que sa femme Amy a disparu. Dans la grande maison luxueuse, une table renversée l’angoisse au point qu’il appelle immédiatement la police. La machine se met en branle et les enquêteurs pensent immédiatement au pire. Amy a-t-elle été assassinée?

En adaptant Gone Girl (sorti en France sous le titre Les apparences) un roman à succès (2012) de Gillian Flynn, également auteure du scénario, David Fincher signe ce qui ressemble clairement à un solide thriller. Mais ce n’est là qu’une apparence. Parce que si nous avons bien des policiers à l’oeuvre, bientôt un avocat en piste, un suspect bien atteint, Gone Girl est avant tout une mise à nu, portée par une ironie féroce, du mariage. A ce jeu de massacre, le cinéaste se régale, orchestrant, dans un ping-pong ingénieux, les versions de la sublime Amy et de Nick, son lourdaud de mari. Elle est intelligente, brillante, sexy, facile à vivre. Ses parents, auteurs de livres pour enfants, l’ont même choisi pour modèle de l’Epatante Amy, leur blonde héroïne. Lui est totalement sous le charme, imaginant des lendemains qui chantent. Mais c’est au début de leur mariage. Cinq plus tard, la jolie peinture s’est singulièrement écaillée.

Comme le drame guette, les médias ont mis le nez dans les dessous du bonheur conjugal. Amy, disparue, a tout d’une sainte. Nick, avec ses hésitations, ses mensonges aussi (il couche avec une de ses étudiantes), a tout du coupable. Là encore Fincher ne craint pas le trait un peu gras en passant à la moulinette les cougars permanentées des talk-show et de l’info en boucle. Bon peuple, tu veux des sensations fortes et des frissons bon marché, en voilà! C’est forcé bien sûr mais jubilatoire. D’autant que Fincher ne dévie pas de son sujet. En donnant à voir un couple qui vole en éclats, il en ausculte l’intimité sur fond de promesses non tenues, de rêves inaboutis, d’inévitables tromperies… Plus encore, le cinéaste en profite pour interroger la célébrité et l’image que chacun cherche à donner de soi.

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Rosamund Pike. DR

Dans le dernier tiers du film, qui croise toujours avec adresse les points de vue d’Amy et de Nick, Fincher revient au thriller furieux. A-t-il bien fait? Sans doute puisqu’il nous offre alors l’étourdissant et extravagant portrait d’une Amy complètement disjonctée, troquant son inquiétant mystère contre un redoutable délire. On n’en dira pas plus sur une sacrée descente aux enfers…

Evidemment Gone Girl doit beaucoup à son duo vedette. Avec déjà une solide carrière (son Argo était un bijou) derrière lui, Ben Affleck entre avec aisance dans la peau de Nick, assassin tout trouvé jeté en pâture aux caméras et devenant un spécialiste de la gestion de son image. Mais la révélation, c’est bien la Londonienne Rosamund Pike. Elle fut déjà, en 2002, une girl, en l’occurrence une James Bond girl dans Meurs un autre jour. Ici, elle est aussi épatante qu’inquiétante dans un personnage lisse mais angoissant de blonde épouse en perpétuelle représentation et échafaudant d’infernales stratégies de vengeance. C’est sûr, le grand Hitch l’aurait adoré.

Bref, ne mettez pas, dans la corbeille de mariage de vos chers cousins, deux tickets pour aller voir Gone Girl. L’envie de se retrouver devant monsieur le maire leur passerait asurément.

GONE GIRL Thriller (USA – 2h29) de David Fincher avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris, Tyler Perry, Carrie Coon, Kim Dickens, Patrick Fugit. Dans les salles le 8 octobre.

 

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