Une voix pour un peuple en joie

Le jeune Mohammed (à droite), sa soeur Nour (à gauche) et leurs copains. DR

Le jeune Mohammed (à droite), sa soeur Nour
(à gauche) et leurs copains. DR

Toutes les rues de toutes les villes du monde se ressemblent quand des gamins y jouent au foot… Mais, voilà que les petits footballeurs se mettent soudain à courir pour égarer des poursuivants. Les ruelles, les places, les toits, les coursives qu’ils traversent au pas de charge sont ceux de Gaza, la ville palestinienne qui donne son nom à la fameuse Bande de Gaza… C’est là que vivent Mohammed Assaf, sa soeur Nour et leurs copains. S’ils tapent tous le ballon, ces enfants ont cependant une autre passion: la musique et, pour le mignon Mohammed, le chant. Devant un public de bambins qui se balancent en rythme, ils se « produisent » dans les rues, quitte à prendre un seau d’eau sur la tête…

Avec Le chanteur de Gaza, Hany Abu-Assad s’est emparé d’une histoire vraie, celle de Mohammed Assaf, né en Libye de parents palestiniens et réfugié, très jeune, à Gaza. A 22 ans, Assaf a franchi toutes les étapes de l’émission de téléréalité Arab Idol (l’équivalent de La nouvelle star) pour remporter le concours dans une finale, un événement télévisé qui obtint l’une des plus fortes audiences dans l’histoire du monde arabe. La victoire de Mohammed Assaf, qui lui ouvrit les portes d’une carrière internationale et lui offrit un statut de star de la chanson, donna lieu à des manifestations de liesse dans toute la Bande de Gaza et bien au-delà… Les images finales sont d’ailleurs des reportages documentaires où l’on aperçoit le vrai Mohammed Assaf.

Mohammed (Qais Atallah) et Nour (Hiba Atallah). DR

Mohammed (Qais Atallah) et Nour (Hiba Atallah). DR

C’est dans sa première partie, celle qui décrit les jeunes années de Mohammed, que Le chanteur de Gaza est le plus entraînant. Tout comme Nour, sa soeur, Mohammed aime passionnément la musique et le chant. Toutes les occasions sont bonnes pour se produire même s’ils ne disposent que d’instruments d’occasion et qu’ils se font arnaquer par un brocanteur véreux auxquels ils confient leurs maigres économies et qui ne leur fournira jamais le matériel promis… Ce qui n’empêche pas Mohammed de vendre du poisson grillé sur la plage, de chanter dans les mariages, voire même à la mosquée pour obtenir les quelques shekels nécessaires à son projet. Poussé par une Nour qui se conduit comme une petite chef très déterminée, Mohammed rêve de chanter un jour dans le fameux Opéra du Caire. Avec sa soeur, il promet: « On réussira et on changera le monde ». Mais Gaza est une prison à ciel ouvert et réussir à passer en Egypte est quasiment mission impossible.

Si ce film, plein de fraîcheur et d’émotions, raconte une belle histoire quasiment édifiante, il n’occulte cependant jamais la réalité de la Bande de Gaza. Entourée d’infranchissables rideaux de barbelés, la ville est un territoire où les traces de bombardements sont constamment visibles, où la pauvreté, l’oppression, l’occupation ne sont pas des vains mots. Le film montre aussi, à travers l’évolution du personnage d’Omar, le jeune copain de Mohammed devenu un adulte intégriste, que le parcours de Mohammed déplaît à ceux qui considèrent que la musique est illicite et qu’elle détourne le jeune homme des objectifs principaux…

Mohammed chante à la mosquée... pour se faire un peu d'argent. DR

Mohammed chante à la mosquée… pour se faire un peu d’argent. DR

Avec Le chanteur de Gaza, Hany Abu-Assad signe son sixième long-métrage. Au début des années 90, le cinéaste retourne dans sa Palestine natale -il est né à Nazareth en 1981- pour travailler sur un documentaire à destination de la télévision anglaise. En 2001, il signe Le Mariage de Rana, un jour ordinaire à Jérusalem, son premier long métrage, présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. En 2005, il réalise une œuvre controversée avec Paradise Now, un sujet sensible où deux Palestiniens s’apprêtent à commettre un attentat-suicide à Tel Aviv. Le film obtiendra de multiples récompenses comme le Golden Globe du Meilleur Film Etranger, le Prix du Meilleur Film Européen à la Berlinale et le Prix Amnesty International du Meilleur Film. Après cette période dorée, Abu-Assad revient en 2011 avec un film d’action (The Specialist) et, deux ans plus tard, Omar est projeté à Cannes 2013 dans la catégorie Un Certain Regard où il reçoit le Prix du Jury.

Dans sa seconde moitié, lorsque Mohammed Assaf est devenu un jeune adulte incarné par Tawfeek Barhom qui fait le taxi dans Gaza pour financer ses études à la fac, Le chanteur de Gaza prend une tournure plus classique. On songe alors au film anglais de David Frankel sorti en juillet 2015, Un incroyable talent où un modeste vendeur de téléphones portables, au physique rondouillard, devient une vedette en chantant l’opéra dans l’émission télé populaire Britain’s got Talent. Avec Mohammed Assaf, lorsqu’il aura réussi à rejoindre Le Caire, le film détaille comment, grâce à un candidat palestinien fasciné par sa voix, le chanteur réussira à participer aux auditions, comment il sera coaché par Shadia (la belle Nadine Labaki, comédienne et réalisatrice de Caramel et Maintenant on va où?) et comment il surmontera ses peurs, son traumatisme lié à la perte d’un être cher…

Mohammed Assaf (Tawfeek Barhom) à Gaza. DR

Mohammed Assaf (Tawfeek Barhom) à Gaza. DR

Premier film de fiction tourné dans la Bande de Gaza depuis plus de vingt ans (même si les autorités israéliennes n’ont alloué que deux journées de tournage dans la ville de Gaza), Le chanteur de Gaza est une entreprise généreuse qui ne se pique pas de militantisme politique mais se veut le symbole de la volonté de survivre dans des conditions extrêmes. Car comme le dit à Mohammed la belle Amal: « Même si on est entouré par la laideur, ta voix est magnifique! » Et elle aura eu le don de mettre le sourire aux lèvres et du baume au coeur des Palestiniens…

LE CHANTEUR DE GAZA Comédie dramatique (Palestine – 1h35) de Hany Abu-Assad avec Tawfeek Barhom, Kais Attalah, Hiba Attalah, Teya Hussein, Dima Awawdeh, Ahmed Al Eokh, Manal Awad, Walid Abed Elsalam, Ashraf Barhom, Nadine Labaki, Ahmad Qasem, Abdel Kareem Barakeh. Dans les salles le 10 mai.

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