
Quand Freud (Anthony Hopkins)
rencontre C.S. Lewis (Matthew Goode). DR
A la veille de la Seconde Guerre Mondiale, Sigmund Freud s’est réfugié à Londres, en compagnie de sa fille Anna. Sous l’effet de l’âge et de la maladie, la figure emblématique de la psychanalyse s’est changée en un vieillard aigri et capricieux. Tournant en rond dans son grand appartement du 20 Maresfield Gardens, dans les beaux quartiers d’Hampstead au nord-ouest du Grand Londres, Freud souffre d’un cancer de la bouche qu’il tente de « soigner » en mélangeant whisky et morphine. Il mène aussi la vie dure à Anna en refusant de recevoir Dorothy Burlingham, la compagne de sa fille. Mais la curiosité de Freud est piquée au vif lorsqu’un certain C.S Lewis, professeur de littérature anglaise à Oxford, romancier et chrétien revendiqué, le mentionne dans l’une de ses publications. C’est ce C.S. Lewis qui sonne à la porte de Freud. Anna est partie donner un cours à ses étudiants. Rapidement les deux hommes vont s’affronter à fleuret moucheté autour de la question de Dieu…
Freud – La dernière confession est l’adaptation de Freud’s last session, la pièce de théâtre de Mark St. Germain, elle-même inspirée d’un ouvrage intitulé The Question of God rédigé par Armand Nicholi, docteur en psychiatrie et professeur à Harvard. Pour le cinéaste américain Matthew Brown, Nicholi « a envisagé Freud comme un prisme à travers lequel explorer la question de l’athéisme, puis a présenté C.S. Lewis comme un contrepoint, représentant le christianisme. L’idée que ces deux géants intellectuels décident de se rencontrer pour débattre de questions aussi fondamentales m’a particulièrement séduit. Bien sûr, il s’agit d’une œuvre de fiction, d’un rêve. Mais l’idée que deux personnes choisissent de s’engager dans une discussion sur une question aussi controversée que l’existence de Dieu, et qu’elles le fassent avec la volonté sincère d’échanger, m’a semblé à la fois fascinante et opportune. » Et de regretter qu’aujourd’hui, les gens ne puissent avoir des conversations aussi essentielles, favorisant tolérance et respect mutuel.

C.S. Lewis poursuivi
par la brutalité de la guerre. DR
C’est donc un quasi huis-clos auquel invite ce Freud’s Last Session (en v.o.) avec la rencontre de deux intellectuels qui commencent par se tourner autour, tentant de se cerner l’autre, d’observer ses failles comme ses certitudes. Installé dans son bureau (reconstitué en studio) face à son fameux divan, Freud est un homme au bout du rouleau qui écoute la radio pour se tenir au courant de l’état du monde et entend Hitler prôner l’annihilation de la race juive en Europe mais aussi le premier ministre Chamberlain annoncer l’entrée en guerre de l’Angleterre.
Nostalgique de Vienne et amateur d’azalées, Freud (1856-1939) note que les souvenirs d’enfance ne nous quittent jamais et observe : « Einstein disait que le signe de la démence, c’est de faire et de refaire la même chose et d’attendre des résultats différents ». Face à lui, C.S. Lewis, souriant et attentif, le regarde évoluer dans son univers, aller et venir, revenant l’« affronter » dans sa certitude que Dieu existe.
A l’occasion d’une alerte aérienne, les deux hommes se retrouvent dans un abri dans le sous-sol d’une église. Tandis que Freud reconnaît la statue de Sainte Dymphne, la patronne des fous et des égarés, Lewis, secoué par le vacarme des sirènes, est pris d’une crise liée à un stress post-traumatique. Dans les tranchées de 14-18, il a assisté à la mort de son meilleur ami, déchiqueté sous ses yeux. Deux amis qui s’étaient fait la promesse, en cas de malheur, de s’occuper de leurs proches. Au sortir de la guerre, Lewis veilla sur Janie, la mère de son ami, au point de devenir son amant.

Anna Freud (Liv Lisa Fries)
au soutien de son père. DR
Dans sa mise en scène, Matthew Brown se garde d’un récit linéaire, choisissant d’explorer le subconscient de ses personnages en utilisant des flashbacks (les exactions des nazis à Vienne) et des éléments de fantaisie (les « évasions » de Lewis en forêt) pour rester, ainsi, dans une fidélité aux écrits de Freud et Lewis, le premier étant l’auteur de L’Interprétation des rêves, le second ayant, au côté de Tolkien notamment, construit des univers fantastiques comme le fameux Monde de Narnia.
Tandis qu’Anna, dans son université, enseigne la psychanalyse appliquée aux enfants et tente d’apaiser Dorothy qui la supplie de mettre leur relation au grand jour devant Sigmund Freud, celui-ci, toujours malmené par sa souffrance, disserte sur les blagues juives (avec l’humour comme mécanisme de défense), sur la Sehnsucht, sur la Bible, grand recueil de mythes et de légendes souvent brandi comme une arme. « Mais Jésus a existé » contre Lewis. « Mes patients qui se prennent pour Dieu, aussi » rétorque Freud. Tandis que le pionnier de la psychanalyse allume un cigare (« C’est ma régression au stade oral »), il en va de l’homme imparfait par nature, de la sexualité source de toutes les joies et de savoir si Dieu est bon. « Le plaisir est son murmure, la souffrance est son mégaphone ».
Au fur et à mesure de l’échange, le film dessine un Freud, fervent incroyant fasciné par les croyances, constatant « Nous sommes tous lâches devant la mort ». Un Freud profondément traumatisé par la mort de sa fille aînée Sophie mais capable aussi de remettre constamment en question ses propres idées. Avec humour, il lance in fine à son interlocuteur : « Très bien, examinons la question autrement » et assènera une ultime : « L’un de nous deux est un idiot. Mais qui, on le ne saura jamais… »

Anthony Hopkins incarne un Freud souffrant. DR
Sur grand écran, Freud a, au moins, été représenté à deux reprises dans le cinéma américain avec Freud, passions secrètes (1962) de John Huston et A Dangerous Method (2011) de David Cronenberg. Dans le premier, le Viennois était incarné par Montgomery Clift et, dans le second, par Viggo Mortensen. Ils sont donc rejoints par le monstre sacré Anthony -Hannibal- Hopkins qui se glisse, avec une parfaite aisance, dans la peau d’un praticien fatigué et hanté, révélant un homme empreint d’une grande humanité et regardant sa propre mortalité en face. Quant à Matthew Goode, connu pour avoir été l’interprète de Lord Snowdon dans la série The Crown, il est un Lewis paisible en apparence et tourmenté en profondeur.
Dans la réalité historique, il n’y a pas de traces de la rencontre entre Freud et Lewis. Mais des recherches ont montré que Freud avait bien reçu, à Londres, un professeur d’Oxford dont l’identité n’a jamais été connue. Et si ça avait été C.S. Lewis ? L’idée, en tout cas, est belle…
FREUD – LA DERNIERE CONFESSION Drame (Grande-Bretagne – 1h50) de Matthew Brown avec Anthony Hopkins, Matthew Goode, Liv Lisa Fries, Jodi Balfour, Orla Brady, Stephen C. Moore. Dans les salles le 4 juin.