Juste une image…

Cine Club
Après une saison 2022/2023 qui s’est achevée en apothéose -la salle du Palace à Mulhouse affichant complet pour le mythique Casablanca de Michael Curtiz- la nouvelle saison du Ciné-Club animé par Pierre-Louis Cereja revient le 12 septembre avec un programme de dix films, largement placés sous le signe du couple…
LES ENSORCELES (1952 – 1h58).- Quand Vincente Minnelli observe le monde aussi glamour que cruel de l’usine à rêves. Un producteur, une star, un cinéaste, un écrivain dans le tourbillon chaotique du cinéma en train de se faire. Avec Kirk Douglas, Lana Turner, Walter Pidgeon, Gloria Grahame dans l’envers du décor hollywoodien. Dans le cadre des 100 ans de la Warner. Le mardi 12 septembre à 19h30.
VOYAGE EN ITALIE (1954 – 1h37).- Alex et Katherine Joyce, un couple de Britanniques, se rendent en Italie pour recueillir un héritage. Roberto Rossellini, grand maître du néoréalisme italien, filme Ingrid Bergman, alors sa compagne, et George Sanders et renouvelle son langage cinématographique pour traquer, sans concession au romanesque, la vérité intérieure d’un couple. Dans le cadre du cycle « Les 100 plus grands films ». Le mardi 10 octobre à 19h30.
LES PETITES MARGUERITES (1966 – 1h14).- Dans la Tchécoslovaquie d’avant le Printemps de Prague, Marie et Marie décident, face au mal dans le monde, de devenir elle-mêmes des dévergondées prêtes à tout saccager sur leur passage. Vera Chytilova signe un chef d’oeuvre de la Nouvelle vague tchèque en forme de pamphlet libertaire, jubilatoire et nihiliste. Dans le cadre du cycle « Les 100 plus grands films ». Le mardi 14 novembre à 19h30.
CASQUE D’OR (1952 – 1h36).- La blonde Marie vit avec Roland, une petite frappe de la bande à Leca. Un dimanche, dans une guinguette de Joinville, elle rencontre Manda, un ancien voyou repenti. Par provocation, elle l’invite à danser. Avec un lyrisme sec, Jacques Becker filme une tragédie implacable dans le Paris populo de la Belle Epoque… Simone Signoret et Serge Reggiani sont sublimes. Le mardi 12 décembre à 19h30.
LES AMANTS CRUCIFIES (1954 – 1h46).- Dans le Kyoto du 17e siècle, Mohei, employé dans une imprimerie, va commettre une indélicatesse par dévouement pour Osan, sa patronne, avant de s’enfuir avec elle. Kenji Mozoguchi est, avec Ozu et Kurosawa, l’un des plus grands cinéastes japonais. En 1954, au sommet de son art, il distille, avec une poétique pudeur des sentiments, une histoire d’amour et de mort. Le mardi 8 janvier 2024 à 19h30.
REMORQUES (1941 – 1h24).- Avec Renoir, Carné, Vigo ou L’Herbier, Jean Grémillon appartient à cette parenthèse enchantée qu’est le réalisme poétique. A l’orée de la guerre, il adapte un roman de Vercel et met en scène un drame de sauveteurs en mer qui se double d’une aventure impossible d’un capitaine (Jean Gabin) pris entre son épouse (Madeleine Renaud) et sa maîtresse (Michèle Morgan). Le mardi 13 février à 19h30.
SUR LA ROUTE DE MADISON (1995 – 2h15).- Au décès de leur mère, un frère et une sœur découvrent son journal secret. Des années auparavant, Francesca avait vécu une idylle de quatre jours avec Robert, un photographe du National Geographic. Meryl Streep et Clint Eastwood (devant et derrière la caméra) sont bouleversants d’émotion dans une brève rencontre marquée par des gestes esquissés… Le mardi 12 mars à 19h30.
JEUX DE NUIT (1966 – 1h45).- Comédienne chez Sjöberg et Bergman, Mai Zetterling (1925-1994) passe à la réalisation au milieu des années soixante. Avec sa fiancée, Jan retrouve la maison de son enfance où il fut élevé par une mère vénérée. Pionnière du cinéma féministe et dynamiteuse de tabous, la Suédoise livre une narration baroque sur le complexe d’Oedipe et les affres de la puberté. Le mardi 9 avril à 19h30.
BREVE HISTOIRE D’AMOUR (1988 – 1h26).- L’oeil vissé à son lorgnette, Tomek, jeune employé des Postes, épie sa voisine d’en face. Madga, belle trentenaire, reçoit régulièrement son amant. Tomek imagine des stratagèmes pour rencontrer Magda. Le Polonais Krzysztof Kielowski (dans une version longue du Décalogue, épisode 6) radiographie les âmes. Entre Hitchcock et Bergman, il interroge la solitude et le désir. Le mardi 14 mai à 19h30.
QUAND LA VILLE DORT (1950 – 1h52).- Pour le cambriolage d’une bijouterie, un truand réunit un perceur de coffre, un chauffeur, un homme de main et contacte un receleur. Avec ce pur film noir, John Huston invente le « film de casse » et observe des types ordinaires et vulnérables dans une société cynique. Au milieu des « gueules » de Sterling Hayden, Sam Jaffe ou Louis Calhern, l’apparition d’une prometteuse débutante : Marilyn Monroe. Dans le cadre des 100 ans de la Warner. Le mardi 11 juin à 19h30.

© Photos DR

La critique de film

Enfant de la Shoah, gangster et coqueluche de la gauche intellectuelle  

Pierre Goldman (Arieh Worthalter) devant ses juges. Photo Séverine Brigeot

Pierre Goldman (Arieh Worthalter)
devant ses juges.
Photo Séverine Brigeot

Extraordinaire parcours que celui de Pierre Goldman ! Né le 22 juin 1944 à Lyon, il est le fils de deux héros de la résistance juive communiste en France. Il étudie à la Sorbonne où il milite contre la guerre d’Algérie, notamment à l’Union des étudiants communistes. Il prend la direction au milieu des années soixante, du service d’ordre de l’Unef, l’Union nationale des étudiants de France, syndicat proche de la gauche socialiste. Lorsqu’arrive mai 68, Goldman décroche et file en Amérique latine rejoindre les guérillas de Che Guevara. Il se retrouve dans un camp d’entraînement au Venezuela mais n’y trouve pas son compte. C’est un type amer, déprimé, déboussolé et démuni qui rentre en France en 1969. Le guérillero vire au gangster. Il commet plusieurs braquages et vole des sommes parfois dérisoires. Mais le 19 décembre 1969, son existence bascule… Il attaque une pharmacie du boulevard Richard Lenoir à Paris. Le hold-up finit dans le sang. Deux pharmaciennes sont tuées et un policier en civil, alors en repos mais qui se précipite sur les lieux, est sérieusement blessé.
Arrêté en 1974, Pierre Goldman est condamné, pour ces faits, à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de Paris. En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman. Il continue à clamer son innocence dans le dossier du double meurtre de la pharmacie du boulevard Richard Lenoir.
C’est un véritable huis-clos judiciaire que propose Cédric Kahn avec cette plongée dans les arcanes d’un procès d’assises qui prend souvent une forme très houleuse…« J’ai découvert Pierre Goldman, dit le cinéaste, il y a une quinzaine d’années par son livre, Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France. Ce qui me saute aux yeux, ce n’est pas son innocence, c’est sa langue, extraordinaire. Son style, sa dialectique, sa pensée. Je me dis qu’il faut faire quelque chose de ce livre, au cinéma. Il me semble que la grande œuvre de Goldman, c’est son acquittement, dont le livre est le catalyseur. La gauche de l’époque s’est emballée pour cet ouvrage, a organisé des comités de soutien, ce qui a créé un contexte très particulier au second procès. En-dehors de cela, la vie de Goldman, c’est une série d’échecs, de drames, de renoncements. J’écarte donc la piste d’un biopic et je me dis que le film à faire, c’est le procès. »

Dans le box des accusés, Pierre Goldman mime un geste... DR

Dans le box des accusés, Pierre Goldman mime un geste… DR

Avec Le procès Goldman, on plonge dans une œuvre âpre, grave, sèche mais puissante qui s’en va chercher, si faire se peut, la vérité « à l’os ». Pas de flash-backs, pas d’images de braquage, pas de musique, pas de comédiens célèbres. Mais une mise en scène qui installe constamment la tension. Pour Cédric Kahn, il importe de ne pas créer de point de vue, de l’empathie. Il entend placer le spectateur dans la position du juré. Sans fioritures.
L’objectif, ici, c’est de montrer l’art oratoire d’un procès et, plus encore, la difficulté de rendre la justice. « Ce qui est intéressant dans l’affaire Goldman, ajoute Cédric Kahn, c’est qu’elle n’est, au fond, pas élucidée. Ce qui m’a intéressé, c’est que la vérité nous échappe, voire même que différentes vérités se télescopent. » C’est notamment troublant avec les témoignages, qu’ils soient à charge ou à décharge. Chacun est heurté dans sa conviction. C’est vrai pour le policier blessé en intervenant devant la pharmacie. Ca l’est aussi pour le jeune veuf qui raconte comment il a retrouvé sa femme ensanglantée ou encore pour l’instituteur pantois qui vit passer, à son domicile, Pierre Goldman le jour des faits…
Et puis, dans ce théâtre de la justice, montent quasiment en scène les acteurs professionnels que sont le président, le procureur de la République ou encore les avocats de la partie civile ou de la défense. C’est d’ailleurs, avec ces derniers, que le film s’ouvre pour une unique séquence hors de la salle d’audience. En effet, Georges Kiejman, jeune avocat chargé d’assurer la défense de Goldman, vient de recevoir un courrier de son client qui le… débarque, en termes violents, à quelques jours de l’ouverture du procès. Son confrère Francis Chouraqui, ami de Goldman, va tenter de convaincre Kiejman (qui n’est pas encore le ministre de la Justice de Mitterrand) d’assurer néanmoins, notamment au nom de racines communes, cette défense…

Georges Kiejman (Arthur Harari), l'un des défenseurs de Goldman. DR

Georges Kiejman (Arthur Harari),
l’un des défenseurs de Goldman. DR

Ensuite, à l’audience, tous joueront leur rôle. Il en va ainsi d’un président qui parvient à tenir la barre au coeur de débats troublés par les vociférations des policiers hostiles à l’accusé ou des gauchistes, fans de Goldman. Jamais, le président ne menace de faire évacuer la salle. Pour la partie civile, on retrouve Henri-René Garaud, futur avocat de Christine Villemin et fondateur de l’association Légitime défense, qui dit parler au nom de la France et des honnêtes gens… Un défenseur que Goldman n’hésite pas à agresser verbalement en le traitant de fasciste…
Et puis, évidemment, il y a Goldman, accusé hors normes, qui donne à ce procès des accents impressionnants. Car ce militant d’extrême gauche qui devint en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle (dans la salle d’audience, on note la présence de Simone Signoret ou de Régis Debray, des people de l’époque) est installé dans une posture de combat.
Insaisissable et provocateur, vif et brillant dans ses répliques, Goldman lance aussi « Je suis innocent parce que je suis innocent », phrase sibylline dont Kahn songea à faire le titre de son film… Surtout Goldman est une « star » au charisme remarquable qui réussit à prendre, avec éloquence et verve, la main sur son procès. Un homme qui affirme « Je suis né et mort le 22 juin 1944 ». Car le film pose aussi la question de la judéité à travers un Goldman qui se définissait comme « un enfant de la Shoah ». Une faille profonde dans sa personnalité, lui qui voulait être, comme ses parents, un héros… Mais la guerre était finie.
Enfin, Le procès Goldman doit énormément à son comédien principal. Arieh Worthalter (vu dans Girl en 2018 ou Serre-moi fort en 2021) incarne un Goldman d’une remarquable densité. Il déclare ainsi : « J’ai décidé de ne faire citer aucun témoin pour ma défense, car je considère mon innocence totale dans l’affaire de la pharmacie du boulevard Richard Lenoir. En conséquence de quoi je me présente devant vous avec cette seule innocence, et sans aucun des moyens utilisés traditionnellement dans ce genre de procès qui en augmente la pompe, l’aspect théâtral et toute chose qui me répugne. »

Pierre Goldman. DR

Pierre Goldman. DR

Ce qui n’empêchera pas ses conseils d’observer : « On ne guérit jamais de son enfance » et de supplier les jurés de « mettre fin à son cauchemar ». Le cauchemar s’achèvera le 20 septembre 1979 lorsque Pierre Goldman est abattu en plein Paris.

LE PROCES GOLDMAN Drame (France – 1h55) de Cédric Kahn avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié, Nicolas Briançon, Aurélien Chaussade, Christian Mazzuchini, Jeremy Lewin, Jerzy Radziwilowicz, Chloé Lecerf, Laetitia Masson, Didier Borga, Arthur Verret, Priscilla Lopes, Paul Jeanson. Dans les salles le 27 septembre.

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