Juste une image…

NOMAD
Rejetons de la classe aisée hongkongaise, Louis et son amie Kathy vont se lier à Tomato et Pong, de condition plus modeste. Devenus inséparables, les deux couples mènent une vie oisive, rêvant de rallier des contrées lointaines à bord du Nomad, le voilier du père de Louis. Ils seront bientôt rejoints par Shinsuke, le petit ami nippon de Kathy, poursuivi pour avoir déserté l’Armée rouge japonaise…
En 1982, le Hongkongais Patrick Tam suscite l’admiration avec Nomad, son troisième long- métrage aussi audacieux qu’inclassable. Marqué par le cinéma de Jean-Luc Godard et de Nagisa Oshima, le réalisateur, connu pour The Sword, un brillant film de sabre, fait à son tour preuve d’un style tout à fait singulier, optant pour des choix de couleurs et de cadrage très spécifiques qui naviguent entre le réalisme le plus brut et l’imagerie du roman photo. D’ailleurs, l’un des directeurs artistiques du film n’est autre que William Chang, futur collaborateur de Wong Kar-wai. Interprétée par quatre des plus talentueux acteurs de cette génération (dont la star de la cantopop Leslie Cheung dans son premier rôle « sérieux »), cette romance agitée et palpitante a créé la controverse en décrivant la sexualité débridée d’une certaine jeunesse hongkongaise et le climat politique désordonné de son époque. Car l’hédonisme des héros sera bientôt rattrapé par le réel et la comédie romantique des débuts basculera vers le thriller politique, faisant place à un dénouement inattendu.
Près de quarante ans après sa sortie en Asie, ce classique incontournable de la Nouvelle Vague hongkongaise est sorti en France pour la première fois sur grand écran dans sa version Director’s Cut restaurée en 4K !
Figure emblématique de la Nouvelle Vague hongkongaise, Patrick Tam est entré dans l’industrie cinématographique par le biais de la chaîne de télévision TVB, où il a réalisé 30 courts-métrages au milieu des années 1970 et s’est fait remarquer par son approche audacieuse et expérimentale. Produit par la célèbre Golden Harvest, son premier long-métrage en tant que réalisateur est le film de wu xia pian The Sword (1980) lequel, aux côtés de The Butterfly Murders de Tsui Hark (1979), posera les bases de la Nouvelle Vague à venir : dynamitage des genres, mise en avant des thèmes sociaux et observation de la jeunesse locale.
Patrick Tam, Tsui Hark ou encore Ann Hui (Boat People, 1982) jouent sur les ruptures de ton afin de se démarquer de leurs aînés. Après le succès de son coup d’essai The Sword, Patrick Tam tourne Love Massacre (1981) puis Nomad, deux variations sur le mélodrame à la théâtralité assumée. Après My Heart Is That Eternal Rose (1989), il fait une pause dans sa carrière de cinéaste, se tournant désormais vers le montage, notamment pour Wong Kar-wai (Nos années sauvages, Les cendres du temps) et vers l’enseignement. Il reviendra finalement à la réalisation en 2006 avec After This Our Exile), tourné en Malaisie, puis en 2020 avec le film collectif Septet: The Story of Hong Kong aux côtés de six autres cinéastes dont Tsui Hark, Ann Hui et Johnnie To.

Nomad est présenté, dans le cadre du Ciné-club du Palace à Mulhouse, le mardi 12 novembre à 19h30. La séance est présentée et animée par Pierre-Louis Cereja.

© Photo DR

La critique de film

Un petit secret de beauté  

Elizabeth Sparkle (Demi Moore) trop vieille pour le showbiz. DR

Elizabeth Sparkle (Demi Moore)
trop vieille pour le showbiz. DR

« La beauté commence au moment où vous décidez d’être vous-même » disait Coco Chanel. C’est bien ce qui préoccupe Elizabeth Sparkle. Cette femme de la cinquantaine est le star d’une émission télévisée d’aérobic… Pour cause de besoin pressant et parce que les toilettes dames sont fermées, Mlle Sparkle entre chez les hommes et s’enferme dans une cabine. Là, elle entend le patron de la chaîne dire qu’elle a fait son temps, qu’il est en temps de lui trouver une remplaçante. Bref, qu’Elizabeth est vieille et bonne à jeter.
Elle se souvient qu’alors, aux urgences de l’hôpital où elle était prise en charge à la suite d’un accident de la circulation, une blouse blanche qui lui avait glissé une clé USB. Sur la clé, un message des plus intrigants. « Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? » Pour cela, il suffit d’essayer The Substance qui permet de générer « une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite ». La proposition tombe pile pour une Elizabeth complètement déprimée d’avoir été virée vite fait. Il suffit de respecter le mode d’emploi. Vous activez une seule fois. Vous stabilisez chaque jour. Vous permutez tous les sept jours sans exception. Il suffit de partager le temps. Simple comme bonjour. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
The Substance s’ouvre par une belle séquence qui se déroule sur le fameux trottoir d’Hollywood où s’alignent les étoiles des stars. Celle d’Elizabeth Sparkle a été installée et elle est brillante. Mais le temps passe. Une feuille morte, le ciment de l’étoile qui se fissure, un pigeon, un macdo plein de ketchup qui s’écrase dessus. Et puis ce dialogue of. « Tu te souviens d’elle ? Elle a joué dans, dans… » C’est d’ailleurs, sur l’étoile de Miss Sparkle, que le film vient boucler la boucle.

Dans la salle de bain... DR

Dans la salle de bain… DR

Révélée en 2017 par Revenge, un thriller d’horreur déjà, la cinéaste française Coralie Fargeat a connu, dès sa seconde réalisation, les prestigieux honneurs de la compétition officielle au dernier Festival de Cannes. Avec, pour cerise sur le gâteau, le prix du meilleur scénario pour The Substance qui le mérite tout à fait. Car voici, du pur cinéma de genre avec de l’horreur qui ne se voile pas la face (spectateurs qui ne supportent pas la vue d’une injection intraveineuse, s’abstenir) mais aussi une aventure dans laquelle on se glisse avec une réelle aisance. Probablement parce que cet univers de Barbies trop souriantes où tout n’est qu’apparence nous est familier. Là où la cinéaste réussit son coup, c’est lorsqu’elle revendique le côté extrême de son film, l’excès, la non-subtilité, le lâcher-prise. « Le film est, dit Coralie Fargeat, tout ce que l’on ne s’autorise pas dans la vraie vie, notamment en tant que femmes, où l’on doit être policées, souriantes, délicates, en contrôle, de bon goût. C’était vraiment ça que je voulais envoyer valser. » Alors, au risque de secouer et heurter, elle ne s’est en effet privée de rien.
En bonne cinéphile -elle connaît son Cronenberg, son Carpenter, son Lynch ou son Aronofsky sur le doigt des doigts, Coralie Fargeat, qui aime aussi clairement les couloirs kubrickiens, distille une fable sur la chair et la métamorphose, sur la mutation des corps et l’inévitable finitude mais aussi une parabole de la reconnaissance et de l’amour qu’on va chercher dans les yeux des autres.
The Substance permet aussi à sa réalisatrice de développer un discours féministe qui a l’intelligence de ne pas nier la complexité des choses. « Qu’est-ce qui a trait, s’interroge-t-elle, à notre liberté individuelle de nous exprimer exactement comme on le veut, de jouer de notre corps comme on le veut, de choisir d’être ou non sexualisée, quelle est la part de liberté, quelle est la part d’injonction ? C’est très complexe, quand on est une femme, de se situer par rapport à ces questions. Ce n’est pas noir ou blanc, ce n’est pas « ah ouais je suis forte, j’en ai rien à foutre de mon apparence », « il faut être sexy » ou « il ne faut pas être sexy »… »

Sue (Margaret Qualley) dans les pas d'Elizabeth. DR

Sue (Margaret Qualley)
dans les pas d’Elizabeth. DR

Tout ce qui se passe dans The Substance, est lié au corps, qu’il soit beau et triomphant ou, plus tard, dans le délabrement. La réalisatrice s’est inspirée d’images auxquelles elle fut confrontée dans son adolescence, notamment une VHS de Cindy Crawford en justaucorps rouge, avec sa nouvelle technique pour perdre sa cellulite et se gainer. Le sourire ultra bright, les abdos, les jambes élancées, tout semblait dire «si vous ressemblez à ça, votre vie sera changée et vous serez heureuse, aimée ».
C’est ce rêve, cette magie qui transporte la ravissante Sue, clone « né » non pas de la côte d’Elizabeth mais de son dos. Tandis qu’Elizabeth Sparkle quête une sorte d’éternelle jeunesse ou tente au moins d’arrêter les outrages du temps, Sue vit, notamment dans le regard désirant de son patron et dans l’oeil vorace de la caméra, l’ivresse d’une célébrité aussi instantanée que forcément passagère. Le souci, c’est que l’une et l’autre vont rapidement oublier que la voix qui vend cette modification cellulaire de leur ADN, répète « You are One », autrement dit tout ce qui est pris d’un côté est perdu de l’autre…

Sue en route vers la gloire. DR

Sue en route vers la gloire. DR

En limitant beaucoup les dialogues, The Substance repose sur une mise en scène rapide, rythmée, allègre et colorée, qui apprécie les plongées, les images anamorphiques, les cadrages en très gros plan. Cette odyssée de deux belles virant à des freaks peut s’appuyer sur trois comédiens qui se donnent à fond. Apparaissant par brefs épisodes, Dennis Quaid compose un patron de chaîne hystérique et odieux. Sa façon de manger des crevettes mayonnaise est positivement écoeurante. Les Monty Python ne sont pas loin.
Mais ce sont surtout Demi Moore et Margaret Qualley (Sue) qui s’emparent avec brio des deux faces d’une même entité. A 61 ans, la star de Ghost (1990) n’a pas dit son dernier mot. Elle donne toute la mesure de son talent, n’hésitant pas à se montrer nue pour affronter sa jeune concurrente dans cette monstrueuse parade en forme de quête absolue de la beauté.
Coralie Fargeat aime le cinéma de genre parce qu’il permet de sortir du réalisme, du sociologique, de l’intellectualisme. Ici, avec un robuste body horror, elle invite le spectateur à savourer un plaisir jouissif. Il ne faut pas hésiter à s’y laisser aller !

THE SUBSTANCE Thriller d’horreur (USA/France – 2h21) de Coralie Fargeat avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Gore Abrams, Oscar Lesage, Robin Greer, Tom Morton, Christian Erickson. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement. Dans les salles le 6 novembre.

DR

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