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LA FORTERESSE NOIRE

Michael Mann, au grand écran, c’est Heat (1995) dans lequel le cinéaste américain orchestre un duel (à distance) entre Al Pacino et Robert de Niro, Révélations (1999) où il retrouve Pacino et Russel Crowe pour dénoncer les pratiques d’un cigarettier, Ali (2001) dans lequel Will Smith incarne le boxeur Mohamed Ali, Collatéral (2004) où Jamie Foxx et Tom Cruise sont embarqués dans un taxi et dans un solide thriller ou encore Public enemies (2009) dans lequel Johnny Depp incarne le gangster John Dillinger…
En 1983, Mann signait The Keep, distribué sous le titre français La forteresse noire. Le cinéaste expliquait : « J’ai voulu réaliser un film stylisé (…) qui tendrait vers le rêve, vers ces chatoiements, ces couleurs qui vont presque au-delà de la réalité. »
1941, au coeur des Carpates roumaines. Une unité de soldats nazis prend possession d’une mystérieuse forteresse isolée, malgré les avertissements du gardien local. Bientôt, des morts inexplicables frappent les occupants, révélant la présence d’une entité maléfique scellée dans les murs du sombre édifice. Alors qu’un furieux officier allemand cherche à percer l’énigme de ce lieu maudit, un érudit juif et sa fille, arrachés aux camps, se retrouvent contraints de devoir collaborer avec leurs tortionnaires pour élucider ce mystère…
Carlotta Films ressort, le 14 mai prochain, pour la première fois en version restaurée 4K, le deuxième long-métrage de Michael Mann après Le solitaire, réalisé en 1981. Même si le film a connu des problèmes de production au niveau du budget et des effets spéciaux, La forteresse noire transcende les codes classiques du cinéma d’horreur en offrant une réflexion aussi singulière qu’oppressante sur le mal, la nature humaine et les vertiges de la morale face à la barbarie poussée à son paroxysme. En opposant une troupe de SS à une mystérieuse entité démoniaque, le film, qui tire son inspiration du célèbre roman éponyme de Francis Paul Wilson, permet au cinéaste de tisser une fable métaphysique où le mal devient une allégorie des ténèbres humaines, incarnées par le nazisme et son idéologie de mort.
Porté par un casting aussi réjouissant qu’inattendu, La forteresse noire orchestre la rencontre de quelques grands noms du cinéma anglo-saxon : Scott Glenn (Apocalypse Now) prête ainsi ses traits à Glaeken Trismegestus, mystérieux étranger lié à la forteresse par un destin obscur, tandis qu’Ian McKellen (la trilogie Le seigneur des anneaux) incarne le docteur Theodore Cuza, bientôt tenté de conclure un pacte faustien avec le démon. Enfin, dans l’un de ses tout premiers rôles au cinéma, Gabriel Byrne (Usual Suspects) se glisse avec une jubilation manifeste dans la peau de l’atroce major Kaempffer, un officier SS sadique dont la froideur et la brutalité contribuent à l’atmosphère unique de ce film fantastique méconnu et baroque.

© Photo DR

 

La critique de film

Les beaux et rudes combats de Clara, Simone et Oxana  

"La réparation": Clara (Julia de Nunez) et son chef de père (Clovis Cornillac). DR

« La réparation »: Clara (Julia de Nunez)
et son chef de père (Clovis Cornillac). DR

SAVEURS.- Dans les cuisines du Moulin, le restaurant deux étoiles de Paskal Jankovski, la tension est à son comble. Dans quelques instants, le guide Michelin doit annoncer les nouveaux étoilés. Et le Moulin est sur les rangs pour une troisième étoile. La brigade sur les dents et le chef est d’une humeur massacrante. Il s’en prend injustement à Antoine, son second, qui n’est autre que l’amoureux de Clara, sa fille bien-aimée. Mais cela, Paskal le suppute seulement et surtout il se réjouit de transmettre bientôt son établissement à Clara, une fille talentueuse à laquelle il confie quelques règles pour réussir dans la haute gastronomie : refus des conventions, inspiration et audace. Lorsque la bonne nouvelle tombe, c’est la joie et le soulagement. Pour, dit-il, se vider le tête, Paskal part à la chasse avec Antoine. Ils ne réapparaîtront pas. Les médias, venus pour faire des papiers sur la nouvelle étoile, se délectent désormais d’un fait-divers et harcèlent une Clara épuisée qui va disparaître à son tour. Deux ans plus, Clara reçoit une mystérieuse invitation pour assister, à Taïpeh, à un grand forum gastronomique…
Voilà plus de dix ans qu’on était sans nouvelle de Régis Wargnier dont le dernier film, Le temps des aveux, date de 2014 mais qui, dit-il, n’est pas resté inactif pour autant dans le monde du 7e art. Avec La réparation (France – 1h44. Dans les salles le 16 avril), le réalisateur oscarisé d’Indochine (1992) fait un beau retour derrière la caméra avec un drame romanesque qui se penche autant sur la transmission, l’amour d’une fille pour son père que sur l’art de faire la cuisine, la plaisir des saveurs dans l’univers très codifié de la haute gastronomie. Si La réparation peut prendre tour à tour des allures de thriller, de film d’enquête (mais où est donc passé Paskal?) ou de film de voyage, le cinéaste observe : « J’ai développé l’intrigue, les personnages, sans viser de coller à un genre défini, j’ai laissé les portes ouvertes, au gré des sentiments, des sensations, des tensions. La gastronomie s’est imposée comme fil rouge, à travers le goût surtout. Le goût est par essence un voyage, il peut devenir un partage. Et j’ai imaginé alors que la piste empruntée pour l’enquête serait celle de la mémoire des saveurs et du goût. »

"La réparation": Clara à Taïwan. DR

« La réparation »: Clara à Taïwan. DR

On se laisse agréablement embarquer dans cette aventure qui met au centre du récit, la jeune Clara Jankovski qui est à l’âge où l’on sort de l’obéissance, de l’influence, de la dépendance. Fuyant un restaurant où elle ne se sent pas légitime, le voyage à Taïwan devient une traversée, qui requiert une énergie considérable. Rien ne l’a préparée à la disparition de son père et de son amant. Encore moins à affronter les fantômes qui chamboulent sa vie. Mais différentes rencontres vont la ramener d’abord à la réalité puis lui permettre de se réparer pour bientôt charmer les palais dans les pas de son mentor de père.
D’abord dans la belle campagne bretonne (le restaurant est celui du Moulin de Rosmadec à Pont-Aven) puis dans le décor urbain de Taipeh et les forêts luxuriantes de Taiwan, le film trouve son souffle. Wargnier s’appuie, pour Clara, sur Julia de Nunez, découverte en 2023 dans la mini-série télévisée Brigitte Bardot, entouré de Clovis Cornillac (Paskal), Louis-Do de Lencquesaing en critique gastronomique et de Julien de Saint Jean, un (fiévreux) nouveau-venu qui incarne Antoine.

"Le mélange...": Sofia (Mehla Bedia), Simone (Léa Drucker) et Marianne (Judith Chemla) en tête de manifestation. DR

« Le mélange… »: Sofia (Mehla Bedia), Simone (Léa Drucker) et Marianne (Judith Chemla)
en tête de manifestation. DR

HARDIES.- Mené par la coriace Marianne, le collectif féministe Les hardies, installé à Dijon, est toujours en quête d’actions spectaculaires. Mais, à cause d’un fait-divers dramatique qui a vu une femme battue abattre son mari violent d’un coup de fusil, une policière va s’infiltrer dans ce groupe qu’elle suspecte de complicité de meurtre. Flic aux idées conservatrices, Simone, au contact de ces femmes, s’ouvre progressivement à leurs idées. Aperçue sortant du commissariat et mise en cause par ses « amies », Simone se sert du premier venu pour se couvrir en l’accusant, ni plus ni moins, de viol. Cette victime, ce sera Paul, un homme doux, inoffensif et respectueux des femmes qui vit dans l’ombre de sa moitié, faisant de lui, malgré elle, un coupable innocent. Catastrophée de ce qu’elle a fait, Simone va tenter de réparer sa faute… Comment Paul va-t-il réagir ?
Que croyez-vous qu’il puisse arriver quand des féministes pures et dures vont être amenées à se confronter à des masculinistes bas du front ? C’est ce que Le mélange des genres (France – 1h43. Dans les salles le 16 avril) s’applique à évoquer sur le ton de la comédie. Michel Leclerc avoue -et c’est tout à son honneur- qu’il ne sait faire que de la comédie. Noble tâche, de fait, car on sait qu’il est bien plus difficile de faire rire que de faire pleurer. On sait d’ailleurs gré à Michel Leclerc de nous avoir beaucoup faire rire avec Le nom des gens (2010), épatant portrait de Bahia Benmahmoud, pasionaria des temps modernes et activiste aussi cool que de gauche, qui couche avec les hommes de droite qu’elle croise pour les faire changer d’opinion… Les temps ont changé. #metoo est passé par là. Le cinéaste, « vieillissant, mâle, hétéro et blanc » (sic) note que son travail, dans tous ses films, a consisté à lutter contre l’assignation identitaire : « Or, il m’arrive ces derniers temps d’avoir l’impression d’être assigné à mon identité, c’est-à-dire qu’on ne me définisse pas par ce que je pense ou dit mais par ce que j’ai l’air d’être, et d’incarner le patriarcat à l’insu de mon plein gré. » Foutraque et joyeux, le film n’occulte pourtant pas la gravité des sujets abordés comme la violence faite aux femmes ou le maricide.

"Le mélange...": Simone, Paul (Benjamin Lavernhe) et Charlotte (Julia Piaton). DR

« Le mélange… »: Simone, Paul (Benjamin Lavernhe) et Charlotte (Julia Piaton). DR

Mais ce que l’on retient surtout, c’est que Leclerc (et sa co-scénariste et compagne Baya Kasmi) ont réussi, au-delà de séquences burlesques (le commissariat et ses vieux machos ou la fin dans une utérus géant) à dessiner deux beaux portraits de personnages qui portent ce film sur l’importance de la parole libérée. Les auteurs font dire à Simone qu’il n’est «pas non plus facile d’être une femme aujourd’hui, et qu’il va falloir apprendre aux femmes à aimer les doux » lorsque Paul lui avoue qu’il « n’est pas facile d’être un homme aujourd’hui quand on n’a plus comme but d’être un mâle dominant». Si le film connaît parfois des chutes de rythme, on apprécie beaucoup la prestation de Léa Drucker qui rend Simone très attachante, Judith Chemla, marrante en cheffe des Hardies, Mehla Bedia en jeune femme fragile qui veut tout faire bien et le fait mal et évidemment Benjamin Lavernhe, déjà excellent dans En fanfare, qui campe, ici, un Paul déconfit, désolé, déconstruit !

"Oxana": Albina Korzh incarne Oxana. DR

« Oxana »: Albina Korzh incarne Oxana. DR

FEMEN.- A Paris, le 23 juillet 2018, au petit jour, une frêle jeune femme quitte son modeste appartement pour rejoindre un atelier d’artiste où elle peint de magnifiques icônes relevées d’une touche d’érotisme. Dans l’Ukraine du début des années 2000, Oxana Chatchko peint déjà des icônes qu’un pope lui achète à bas prix pour les revendre dans des mariages et des baptêmes. Mais Ksioucha n’en a cure. « Je veux être libre et choisir mon amour ! » Car, avec ses amies Lana et Anna, elle se révolte, au nom du féminisme et de la lutte des classes, contre une société complètement corrompue. Très proche de sa mère qui voit, en elle, « sa petite Jeanne d’Arc », la jeune femme affirme : « Moi, je changerai le monde ! » Alors, en dépliant d’immenses draps souillés de rouge, les amies manifestent pour dénoncer la mort de deux femmes tuées à la suite d’une erreur de transfusion. Bientôt le trio, rejoint par Inna, va imaginer les Femen. Couronnes de fleurs sur la tête et seins nus, elles interpellent un député qu’elle accuse de posséder la moitié des bordels du pays et de s’engraisser avec des sex-safaris… Désormais, les Femen scandent « Nos seins, nos armes » et précisent : « On ne se déshabille pas. On met nos uniformes ! » Si le mouvement connaît une influence grandissante, notamment à l’international, la répression se durcit contre ces féministes de combat. Le KGB les menace de mort et les maltraite très brutalement… Réfugiée politique, artiste, activiste, « sextremiste », Oxana n’entend pas cesser de se battre. Jusqu’à risquer sa vie.
C’est sur des images de feu et de fête que s’ouvre et s’achève Oxana (France – 1h43. Dans les salles le 16 avril), le second long-métrage de Charlène Favier après Slalom (2020) qui dénonçait les agressions sexuelles dans le monde du sport. Des images de la Nuit de Kupala, une célébration traditionnelle slave qui se déroule autour du solstice d’été et s’ancre dans des thèmes de fertilité, de purification, de connexion avec la nature et plus globalement de l’amour et de la continuité des traditions culturelles. La cinéaste s’attache, ici, librement, au parcours d’Oksana Chatchko, une artiste convaincue que le véritable art était la révolution, et que toute œuvre devait porter un message politique et social. Elle invente ainsi, en détournant l’imagerie orthodoxe, une grammaire esthétique de l’activisme avec la femme aux seins nus, le poing levé, le visage en colère.

"Oxana": les Femen en action. DR

« Oxana »: les Femen en action. DR

A cause de l’énergie rebelle de son héroïne à la fois mystique et activiste, Oxana est un film qui captive. En filmant au plus près le fin visage et la beauté singulière d’Albina Korzh, une jeune actrice ukrainienne découverte lors d’un casting, la cinéaste capte à la fois un parcours intime et intérieur et une révolte, au nom des femmes, contre la précarité, lexil, le consumérisme, la superficialité, la corruption, la prostitution…
Fragile, probablement épuisée par ses combats, Oksana Chatchko, née en 1987 à Khmelnytskyï en Ukraine mit fin à ses jours le 23 juillet 2018 à Montrouge. La fondatrice des Femen a laissé un ultime message sur Instagram : « You are fake ». Charlène Favier qui met en scène ces paroles dans Oxana, dit que c’est « un message adressé au monde qui ne réagit pas face aux dictateurs qui bafouent les droits humains mais aussi à tous ceux qui se mettent en avant au détriment du combat collectif. »

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