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LE MÉPRIS
Paul Javal, scénariste parisien et son épouse Camille rejoignent le réalisateur Fritz Lang en tournage pour le compte du producteur de cinéma américain Jeremy Prokosch, sur le plateau du film Ulysse en chantier à la villa Malaparte à Capri en Italie. On a proposé à Paul Javal de reprendre et de terminer le scénario (tiré de L’Odyssée d’Homère) du film, ce qu’il accepte, pour des raisons économiques. Durant le séjour, Paul laisse le riche producteur seul avec Camille et encourage celle-ci à demeurer avec lui, alors qu’elle, intimidée, insiste pour rester auprès de Paul. Camille pense que son mari la laisse à la merci de Prokosch par faiblesse et pour ne pas froisser ce nouvel employeur. De là naissent des malentendus, la déchirure, le mépris et la désagrégation du couple…
Pour le 60e anniversaire du film de Jean-Luc Godard, Le mépris (dans une sublime restauration 4K) est présenté à Cannes Classics sur la Croisette avant de sortir dans les salles françaises dès ce 24 mai.
Adapté du roman éponyme d’Alberto Moravia, Le mépris (classé 54e des 100 meilleurs du cinéma par le British Film Institute) est l’un des films les plus emblématiques de Jean-Luc Godard, avec À bout de souffle et Pierrot le fou, à travers une formidable réflexion sur le cinéma autour de la désintégration d’un couple, magistralement incarné par Brigitte Bardot et Michel Piccoli. Porté par la bande son mélancolique de Georges Delerue, Godard réalise son chef-d’œuvre « classique », à mi-chemin entre le savoir-faire hollywoodien d’un Mankiewicz et la modernité avant-gardiste du cinéma européen dont le cinéaste suisse était l’un des plus talentueux représentants.
« Le roman de Moravia, dit Godard, est un vulgaire et joli roman de gare, plein de sentiments classiques et désuets, en dépit de la modernité des situations. Mais c’est avec ce genre de roman que l’on tourne souvent de beaux films. J’ai gardé la matière principale et simplement transformé quelques détails en partant du principe que ce qui est filmé est automatiquement différent de ce qui est écrit, donc original. Il n’est pas besoin de chercher à le rendre différent, à l’adapter en vue de l’écran, il n’est besoin que de le filmer, tel quel : simplement filmer ce qui était écrit, à quelques détails près, car si le cinéma n’était pas d’abord du film, il n’existerait pas… »
« Le sujet du Mépris, ajoute encore le cinéaste, ce sont des gens qui se regardent et se jugent, puis sont à leur tour regardés et jugés par le cinéma, lequel est représenté par Fritz Lang jouant son propre rôle ; en somme, la conscience du film, son honnêteté […] Quand j’y réfléchis bien, outre l’histoire psychologique d’une femme qui méprise son mari, Le mépris m’apparaît comme l’histoire de naufragés du monde occidental, des rescapés du naufrage de la modernité, qui abordent un jour, à l’image des héros de Verne et de Stevenson, sur une île déserte et mystérieuse, dont le mystère est inexorablement l’absence de mystère, c’est-à-dire la vérité… […] Film simple et sans mystère, film aristotélicien, débarrassé des apparences, Le mépris prouve, en 149 plans, que dans le cinéma comme dans la vie, il n’y a rien de secret, rien à élucider, il n’y a qu’à vivre – et à filmer. »
À l’origine, Godard envisage d’embaucher Frank Sinatra et Kim Novak. Le producteur italien propose, lui, Marcello Mastroianni et Sophia Loren. C’est alors que JLG et Georges de Beauregard, le producteur français du film, tombent d’accord pour le rôle de Camille : il sera tenu par Brigitte Bardot. En recevant son scénario, BB se serait exclamée : « Chouette, je fais partie de la Nouvelle Vague ! ». Même si le tournage ne fut pas exempt de tension – les relations entre Godard et son actrice furent courtoises, sans plus –, Le mépris est aujourd’hui considéré comme le chef-d’œuvre de Brigitte Bardot.
Quant à Louis Aragon, il déclare : « J’en ai vu un, de roman d’aujourd’hui. Au cinéma. Cela s’appelle Le mépris, le romancier est un nommé Godard. L’écran français n’a rien eu de mieux depuis Renoir. […] Tiens, on demandait du génie, eh bien, le voilà le génie. »

© Photo DR

La critique de film

Le mari toxique et l’électricien généreux  

"L'amour...": Blanche Renard (Virginie Efira). DR

« L’amour… »: Blanche Renard (Virginie Efira). DR

EMPRISE.- Face caméra, une femme à l’air défait, regarde dans le vide. « Vous avez déjà connu ça, avant ? » interroge une voix hors champ. Et pourtant, la vie de Blanche Renard, charmante quadragénaire, semble prendre une bonne direction. Sa sœur jumelle Rose, qui estime qu’elle se laisse doucement flétrir, l’invite à une fête où elle doit rencontrer l’homme parfait. Mais l’homme parfait est un homme invisible et voilà que se présente Grégoire Lamoureux. Il est beau, charmeur, drôle. A-t-il déjà rencontré Blanche au préalable ? En tout cas, le courant passe parfaitement entre les deux. Blanche est convaincue qu’elle a rencontré celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le coup de foudre va céder la place à la passion. Parce que Lamoureux est muté dans une banque de Metz, le couple déménage. Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie où elle chérit ses deux enfants. Mais, insidieusement, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux.
Révélée au grand public en 2011 avec La guerre est déclarée présenté en ouverture de la Semaine de la critique à Cannes, Valérie Donzelli réalise, avec L’amour et les forêts (France – 1h45. Dans les salles le 24 mai), son sixième long-métrage, lui aussi présenté en compétition officielle sur la Croisette cette année dans la catégorie « Cannes Premières ». Elle y démonte la mécanique de la culpabilité et de la maltraitance et montre comment l’estime de soi peut être broyée…

"L'amour...": Grégoire Lamoureux (Melvil Poupaud). DR

« L’amour… »: Grégoire Lamoureux
(Melvil Poupaud). DR

La cinéaste passe par une forme très cinématographique (on glisse des grandes ouvertures marines de la Normandie au confinement d’un appartement étouffant) pour dire comment la domination s’incarne dans ce geste de s’approprier l’autre. « On sait, dit Valérie Donzelli, que les féminicides surviennent souvent au moment de la séparation. Raconter comment ce piège se met en place. La perversion de Lamoureux, qui est un petit monsieur frustré, consiste à expulser sa propre culpabilité et la plaquer sur Blanche, qui l’absorbe… »
Le scénario d’Audrey Diwan (elle-même cinéaste avec L’événement en 2021) et de Valérie Donzelli repose sur le roman éponyme d’Eric Reinhardt publié aux éditions Gallimard, récompensé en 2014 du prix Renaudot des lycéens et qui fut aussi porté au théâtre en 2017 par l’auteur et Laurent Bazin.
En s’appuyant sur l’incontournable Virginie Efira (qui joue les deux rôles de Blanche et de Rose Renard) et sur Melvil Poupaud (toujours à l’affiche en peu reluisant comte maquereau dans Jeanne du Barry de Maïwenn), la réalisatrice distille brillamment le solide récit d’un drame mortifère. Elle détaille le charme troublant du très séducteur Grégoire (ah, quand il récite Britannicus et son « J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler ») et la manière dont Blanche vacille. Elle sent probablement qu’elle ne doit pas poursuivre avec Grégoire mais elle y va quand même. Avec subtilité, L’amour… aligne les zones noires dans lesquelles cette femme s’enfonce tandis que son mari, au prétexte qu’il l’aime, l’y pousse avec une cruauté aussi tordue que satisfaite. Longtemps, Blanche acceptera l’inacceptable venant d’un homme terriblement toxique. Et lorsqu’elle saute le pas, rencontre un homme tendre et aimant, sa descente aux enfers flirtant avec le suicide, est encore plus terrifiante…

"L'odeur...": l'électricien (Hadi Mohaghegh). DR

« L’odeur… »: l’électricien (Hadi Mohaghegh). DR

HUMANITE.- Le long d’une petite falaise, un homme s’acharne à avancer. Il porte un sac sur le dos et des cordes lui permettent de progresser tant bien que mal. Pour gagne-pain, l’homme gratte la montagne pour recueillir une substance médicinale traditionnelle. Lorsqu’il parvient au sol, on constate qu’il est fortement handicapé. Avec grand peine, cet homme sans âge auquel il manque une jambe, parvient jusque chez lui… Dans la modeste masure composée d’une pièce vide, l’attend un gamin alité dont il va s’occuper avec soin. Comble de malchance, l’électricité qui alimente une maigre ampoule vient de se couper. L’homme parviendra à joindre, par téléphone, les services compétents. On l’assure qu’un dépanneur va venir… Lorsque celui-ci arrive enfin, il tente de récupérer une douille sur un transformateur mais une pièce manque…
Né en 1979 à Dehdasht, dans le sud-ouest de l’Iran, Hadi Mohaghegh étudie la mécanique automobile avant de se tourner vers une carrière artistique en tant qu’acteur et metteur en scène de théâtre. En 2013, il réalise Bardou, son premier long-métrage. L’odeur du vent (Iran – 1h30. Dans les salles le 24 mai) est son quatrième film (découvert lors des Rencontres du cinéma de Gérardmer au printemps dernier) dans lequel il tient également le rôle principal de l’employé de l’électricité.

"L'odeur...": l'électricien et l'amoureux aveugle. DR

« L’odeur… »: l’électricien
et l’amoureux aveugle. DR

Rythmée par le temps qui s’écoule, Derb (titre original qui signifie « sol dur » dans la langue Lori) est une œuvre fascinante par sa simplicité, son dépouillement, son naturel et son travail sur la durée. Tout en mettant en valeur la beauté des paysages de la campagne profonde iranienne, le cinéaste observe au plus près des personnages qu’il filme, essentiellement en longs plans fixes, dans leur quotidien, offrant ainsi une approche humaniste encore amplifiée par la lenteur qui préside à la mise en scène. Autour du personnage de l’électricien, gravitent ainsi deux personnages handicapés (le dépanneur va permettre à un homme aveugle d’apporter des fleurs à son amoureuse quelque part dans la plaine) qui manifestent tous deux d’un impressionnant espoir dans la vie…
« Je préfère, dit le cinéaste, faire des films moins sur les adversités que sur les aspects positifs de la vie. (…) Quant à savoir d’où je puise l’inspiration pour « les idées » de mes films, je préfère parler de « mes souvenirs » plutôt que d’utiliser le mot « idée ». Je m’en inspire. Pour Derb, j’avais rencontré un homme, un agent du service de l’électricité, Il s’appelait M. Eskandari et j’avais déjà entendu parler de lui. Il aidait avec une immense générosité les habitants dans les régions reculées. Il allait au-delà de son travail officiel et obligatoire ! Il consacrait beaucoup son temps aux gens par ses propres moyens sans demander de salaire supplémentaire… » 

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