Elizabeth Sparkle (Demi Moore)
trop vieille pour le showbiz. DR
« La beauté commence au moment où vous décidez d’être vous-même » disait Coco Chanel. C’est bien ce qui préoccupe Elizabeth Sparkle. Cette femme de la cinquantaine est le star d’une émission télévisée d’aérobic… Pour cause de besoin pressant et parce que les toilettes dames sont fermées, Mlle Sparkle entre chez les hommes et s’enferme dans une cabine. Là, elle entend le patron de la chaîne dire qu’elle a fait son temps, qu’il est en temps de lui trouver une remplaçante. Bref, qu’Elizabeth est vieille et bonne à jeter.
Elle se souvient qu’alors, aux urgences de l’hôpital où elle était prise en charge à la suite d’un accident de la circulation, une blouse blanche qui lui avait glissé une clé USB. Sur la clé, un message des plus intrigants. « Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? » Pour cela, il suffit d’essayer The Substance qui permet de générer « une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite ». La proposition tombe pile pour une Elizabeth complètement déprimée d’avoir été virée vite fait. Il suffit de respecter le mode d’emploi. Vous activez une seule fois. Vous stabilisez chaque jour. Vous permutez tous les sept jours sans exception. Il suffit de partager le temps. Simple comme bonjour. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
The Substance s’ouvre par une belle séquence qui se déroule sur le fameux trottoir d’Hollywood où s’alignent les étoiles des stars. Celle d’Elizabeth Sparkle a été installée et elle est brillante. Mais le temps passe. Une feuille morte, le ciment de l’étoile qui se fissure, un pigeon, un macdo plein de ketchup qui s’écrase dessus. Et puis ce dialogue of. « Tu te souviens d’elle ? Elle a joué dans, dans… » C’est d’ailleurs, sur l’étoile de Miss Sparkle, que le film vient boucler la boucle.
Dans la salle de bain… DR
Révélée en 2017 par Revenge, un thriller d’horreur déjà, la cinéaste française Coralie Fargeat a connu, dès sa seconde réalisation, les prestigieux honneurs de la compétition officielle au dernier Festival de Cannes. Avec, pour cerise sur le gâteau, le prix du meilleur scénario pour The Substance qui le mérite tout à fait. Car voici, du pur cinéma de genre avec de l’horreur qui ne se voile pas la face (spectateurs qui ne supportent pas la vue d’une injection intraveineuse, s’abstenir) mais aussi une aventure dans laquelle on se glisse avec une réelle aisance. Probablement parce que cet univers de Barbies trop souriantes où tout n’est qu’apparence nous est familier. Là où la cinéaste réussit son coup, c’est lorsqu’elle revendique le côté extrême de son film, l’excès, la non-subtilité, le lâcher-prise. « Le film est, dit Coralie Fargeat, tout ce que l’on ne s’autorise pas dans la vraie vie, notamment en tant que femmes, où l’on doit être policées, souriantes, délicates, en contrôle, de bon goût. C’était vraiment ça que je voulais envoyer valser. » Alors, au risque de secouer et heurter, elle ne s’est en effet privée de rien.
En bonne cinéphile -elle connaît son Cronenberg, son Carpenter, son Lynch ou son Aronofsky sur le doigt des doigts, Coralie Fargeat, qui aime aussi clairement les couloirs kubrickiens, distille une fable sur la chair et la métamorphose, sur la mutation des corps et l’inévitable finitude mais aussi une parabole de la reconnaissance et de l’amour qu’on va chercher dans les yeux des autres.
The Substance permet aussi à sa réalisatrice de développer un discours féministe qui a l’intelligence de ne pas nier la complexité des choses. « Qu’est-ce qui a trait, s’interroge-t-elle, à notre liberté individuelle de nous exprimer exactement comme on le veut, de jouer de notre corps comme on le veut, de choisir d’être ou non sexualisée, quelle est la part de liberté, quelle est la part d’injonction ? C’est très complexe, quand on est une femme, de se situer par rapport à ces questions. Ce n’est pas noir ou blanc, ce n’est pas « ah ouais je suis forte, j’en ai rien à foutre de mon apparence », « il faut être sexy » ou « il ne faut pas être sexy »… »
Sue (Margaret Qualley)
dans les pas d’Elizabeth. DR
Tout ce qui se passe dans The Substance, est lié au corps, qu’il soit beau et triomphant ou, plus tard, dans le délabrement. La réalisatrice s’est inspirée d’images auxquelles elle fut confrontée dans son adolescence, notamment une VHS de Cindy Crawford en justaucorps rouge, avec sa nouvelle technique pour perdre sa cellulite et se gainer. Le sourire ultra bright, les abdos, les jambes élancées, tout semblait dire «si vous ressemblez à ça, votre vie sera changée et vous serez heureuse, aimée ».
C’est ce rêve, cette magie qui transporte la ravissante Sue, clone « né » non pas de la côte d’Elizabeth mais de son dos. Tandis qu’Elizabeth Sparkle quête une sorte d’éternelle jeunesse ou tente au moins d’arrêter les outrages du temps, Sue vit, notamment dans le regard désirant de son patron et dans l’oeil vorace de la caméra, l’ivresse d’une célébrité aussi instantanée que forcément passagère. Le souci, c’est que l’une et l’autre vont rapidement oublier que la voix qui vend cette modification cellulaire de leur ADN, répète « You are One », autrement dit tout ce qui est pris d’un côté est perdu de l’autre…
Sue en route vers la gloire. DR
En limitant beaucoup les dialogues, The Substance repose sur une mise en scène rapide, rythmée, allègre et colorée, qui apprécie les plongées, les images anamorphiques, les cadrages en très gros plan. Cette odyssée de deux belles virant à des freaks peut s’appuyer sur trois comédiens qui se donnent à fond. Apparaissant par brefs épisodes, Dennis Quaid compose un patron de chaîne hystérique et odieux. Sa façon de manger des crevettes mayonnaise est positivement écoeurante. Les Monty Python ne sont pas loin.
Mais ce sont surtout Demi Moore et Margaret Qualley (Sue) qui s’emparent avec brio des deux faces d’une même entité. A 61 ans, la star de Ghost (1990) n’a pas dit son dernier mot. Elle donne toute la mesure de son talent, n’hésitant pas à se montrer nue pour affronter sa jeune concurrente dans cette monstrueuse parade en forme de quête absolue de la beauté.
Coralie Fargeat aime le cinéma de genre parce qu’il permet de sortir du réalisme, du sociologique, de l’intellectualisme. Ici, avec un robuste body horror, elle invite le spectateur à savourer un plaisir jouissif. Il ne faut pas hésiter à s’y laisser aller !
THE SUBSTANCE Thriller d’horreur (USA/France – 2h21) de Coralie Fargeat avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Gore Abrams, Oscar Lesage, Robin Greer, Tom Morton, Christian Erickson. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement. Dans les salles le 6 novembre.
DR