Juste une image…

Saison CC 25_26
Dans quelques jours avec Alain Delon dans l’un de ses plus grands rôles, le Ciné-club de Pierre-Louis Cereja ouvre sa douzième saison au Palace, avenue de Colmar à Mulhouse. De septembre à juin, à raison d’un rendez-vous par mois, ce sera l’occasion d’une « visite commentée » dans le cinéma de patrimoine mais aussi dans des cinématographies à découvrir, qu’il s’agisse de Hong Kong ou de l’Ouzbekistan… Pour le double plaisir des images de cinéma sur grand écran et de l’échange cinéphilique.
LE SAMOURAÏ
de Jean-Pierre Melville, 1967, France. (1h45)
Tueur à gages quasiment mutique et sûrement schizophrène, Jef Costello exécute ses contrats froidement et anonymement. Suite au meurtre d’un gérant de cabaret, il est arrêté par la police mais relâché, faute de preuves. Pourtant les commanditaires du meurtre veulent éliminer leur employé. Alain Delon tout au sommet de son art comme Melville qui donne un somptueux et envoûtant film noir… en couleurs. Implacable.
Le mardi 16 septembre à 19h30
LA STRADA
de Federico Fellini, 1954, Italie (1h55)
La naïve Gelsomina a été tout bonnement vendue par sa mère à Zampano, un brutal bateleur de foire (Anthony Quinn). Le couple sillonne les routes d’une Italie désolée, menant la rude vie des forains. Un jour, surgit « Le fou » avec lequel, enfin, Gelsomina peut parler. Par la grâce de Giuletta Masina et sur un fameux air de trompette, le maestro brise toutes les chaînes. Sublime.
Le mardi 16 octobre à 19h30
LES SENTIERS DE LA GLOIRE
de Stanley Kubrick, 1957, USA (88 mn)
En 1916, les calculs du haut commandement militaire français face à l’enlisement du conflit, conduisent à l’exécution, pour l’exemple, de trois soldats. Le colonel Dax (Kirk Douglas), avocat dans le civil, se révèle impuissant à sauver ses hommes. Dans des tranchées filmées en longs travellings, s’exprime toute l’horreur de la guerre à travers le drame des fusillés pour l’exemple. Un film longtemps invisible en France. Terrible.
Le mardi 18 novembre à 19h30
ROUGE
de Stanley Kwan, 1987, Hong-Kong (1h36)
En 1934, à Hong Kong, Fleur, une courtisane, rencontre Chan. C’est le coup de foudre mais les parents de Chan s’opposent formellement à leur union. Les amants décident ensemble de se suicider. Cinquante ans plus tard, le fantôme de Fleur hante Hong Kong à la recherche de son amour perdu. Par le maître du mélodrame queer, un hommage à un Hong Kong disparu et un drame sensuel et mélancolique. Etourdissant.
Le mardi 9 décembre à 19h30
CONVERSATION SECRETE
de Francis Ford Coppola, 1974, USA (1h54)
Aussi taciturne que misanthrope, Harry Caul (Gene Hackman, impressionnant) est un spécialiste de la surveillance. Engagé pour enregistrer la conversation d’un jeune couple à San Francisco, il va comprendre que ce couple est en danger de mort. A l’heure du Watergate, dans une ambiance d’espionnage, Coppola excelle à décrypter les mécanismes froids et dérisoires des paranoïaques des écoutes. Palme d’or à Cannes 1974. Angoissant.
Le mardi 13 janvier 2026 à 19h30
LE GENOU DE CLAIRE
d’Eric Rohmer, 1970, France (1h45)
Jérôme, trente-cinq ans, attaché d’ambassade (Jean-Claude Brialy), se rend sur les bords du lac d’Annecy pour vendre la propriété familiale. Il y retrouve une ancienne amie, Aurora, romancière, son hôtesse, Mme Walter, et sa fille Laura, une lycéenne de seize ans. L’auteur des « Contes moraux » distille, avec le cinquième des six contes, une étude du désir et une raffinée psychologie de la séduction. Des fragments d’un discours amoureux, à la manière de Rohmer. Elégant.
Le mardi 10 février à 19h30
DIMANCHES
de Shokir Kholikov, 2023, Ouzbekistan (1h37)
Un couple de paysans âgés vit paisiblement dans un petit village de la campagne ouzbek où il travaille la laine. Leurs deux fils insistent pour faire pénétrer la technologie chez eux. Avec une idée derrière la tête : démolir la vieille maison des parents pour en construire une nouvelle qui servirait de résidence secondaire au plus jeune des fils… Entre gestes ancestraux et modernité, un premier film maîtrisé en forme d’élégie douce-amère. On songe au cinéma d’Ozu pour le thème de l’incompréhension générationnelle. Délicat.
Le mardi 10 mars à 19h30
LE SCHPOUNTZ
de Marcel Pagnol, 1938, France (2h03)
Jeune commis épicier entre Marseille et Aubagne, mythomane et benêt, Irénée Fabre est convaincu qu’il deviendra un acteur célèbre. Le passage d’une équipe de tournage va l’amener à rêver et à monter à Paris. Fernandel est exceptionnel en « fada » et le cinéaste marseillais donne une comédie populaire, bon enfant mais aussi grinçante sur les vertiges du cinéma. La scène où Irenée donne une variation sur « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » est mythique. Divertissant.
Le mardi 14 avril à 19h30
LES ANNEES DE PLOMB
de Margarethe von Trotta, 1981, Allemagne (1h46)
Elles ont été élevées dans l’Allemagne de l’immédiat après-guerre. Juliane la révoltée est devenue journaliste. Sa sœur Marianne, jadis la plus soumise, s’est engagée dans la lutte armée au coeur d’une Allemagne à la société déstabilisée par la violence terroriste d’extrême-gauche… En s’inspirant des sœurs Ensslin (Gudrun fit partie de la bande à Baader), la cinéaste allemande propose une quête de la vérité et des monstruosités de l’Histoire.. Lion d’or à la Mostra de Venise 1981. Effrayant.
Le mardi 12 mai à 19h30
LA SOIF DU MAL
d’Orson Welles, 1958, USA (1h35)
Une bombe explose à Los Robles, à la frontière des Etats-Unis et du Mexique. Mike Vargas, un flic mexicain en voyage de noces, s’investit dans l’enquête et découvre les méthodes d’une police locale corrompue et notamment de
son homologue Hank Quinlan. Une séquence d’ouverture légendaire. Un vrai film noir ! Des stars (Charlton Heston, Janet Leigh, Marlène Dietrich) pour l’ultime film hollywoodien de Welles ! Brillant.
Le mardi 9 juin à 19h30

© Photos DR

 

La critique de film

De fragiles naufragés dans le désert  

Luis (Sergi Lopez) et son fils Esteban (Bruno Nunez) à la recherche de Mar. DR

Luis (Sergi Lopez) et son fils Esteban
(Bruno Nunez) à la recherche de Mar. DR

Quelque part, dans de superbes paysages ocres, des roadies installent un mur d’enceintes. Le son monte, dans un rythme de drum and bass qui prend vite aux tripes. En plongée, la caméra montre un large rassemblement de raveurs qui se balancent sans fin dans une transe quasiment mystique ou une hébétude sereine. Et puis la caméra descend vers eux, présentant Stef et Jade, Josh, Tonin et Bigui…
C’est dans ce rassemblement au coeur d’un coin perdu du Maroc que débarque le camping-car de Luis, un homme de la cinquantaine, accompagné de son jeune fils Esteban. Autour d’eux, père et fils distribuent des papiers sur lesquels sont imprimés la tête de Mar. Fille de Luis et sœur d’Esteban, Mar a disparu depuis cinq mois sans plus donner de nouvelles. Luis croit savoir qu’elle avait prévu de rejoindre une rave-party. Mais personne ne semble reconnaître le visage de la jeune femme. « Peut-être, dit quelqu’un, qu’elle est allée à une rave organisée plus au sud… » Luis est déterminé à retrouver sa fille. Lorsque les forces de police interviennent pour disperser les raveurs, Stef, Jade et leurs amis montent à bord de leurs deux camions et filent à travers le désert. Luis n’hésite qu’un instant. Il lance son petit camping-car plutôt vieillot à leur suite. Commence alors une expédition des plus périlleuses…
Né en 1982 à Paris, Oliver Lax est le fils d’émigrés espagnols. Quand il a 6 ans, sa famille retourne vivre en Galice. Après des études de communication audiovisuelle, il s’installe à Tanger, au Maroc, où il réalise et auto-produit le film Vous êtes tous des capitaines, qui reçoit le Prix Fipresci à la Quinzaine des cinéastes en 2010. En 2016, il obtient le Grand prix de la Semaine de la critique pour Mimosas, tourné dans les montagnes de l’Atlas. De retour en Galice, il réalise Viendra le feu, qui se voit décerner le Prix du jury Un Certain regard en 2019. Sirāt, son quatrième long métrage, tourné dans le désert marocain, est présenté en compétition au festival de Cannes 2025 et y décroche le prix du jury.

Des raveurs meurtris et fragiles. DR

Des raveurs meurtris et fragiles. DR

Dans l’islam, le terme Sirāt désigne un pont qui relie l’enfer et le paradis. Un pont fin comme un cheveu et affûté comme une lame. « Un chemin à deux dimensions, dit le cinéaste, l’une physique, l’autre métaphysique ou spirituelle. Sirāt pourrait être ce chemin intérieur qui te pousse à mourir avant de mourir, comme c’est le cas pour Luis, le personnage principal de ce film. »
Imaginant une quête métaphysique qui emporte une poignée d’êtres brisés vers des extrémités angoissantes, Oliver Laxe voulait aussi emprunter au cinéma de genre ou au cinéma populaire ce qu’il a de meilleur, en l’occurrence la magie de l’aventure. De fait, à travers de multiples péripéties qu’on se gardera de révéler ici, Sirāt est tout à la fois un road-trip spectaculaire et aventureux (pour échapper à leurs poursuivants, Stef, Luis et les autres s’engagent sur de très dangereuses routes de montagne) et une épreuve radicale propre à secouer, à érafler intimement le spectateur.
Même si le soleil brûle, même si un vent chaud souffle sur le sable, c’est un voyage vers les ténèbres que raconte le cinéaste. Alors que la radio rapporte que la guerre a commencé, que le chaos règne, des êtres fragiles, des naufragés démunis, conscients de leur petitesse dans un monde traversé par plus grand qu’eux, vont prendre soin les uns des autres, montrant, sans jugement, leurs failles et leurs fêlures, quitte in fine à regarder la mort droit dans les yeux.

Luis et ses amis de rencontre, Stef (Stefania Gadda), Josh (Joshua Liam Henderson) et Bigui (Richard Bellamy). DR

Luis et ses amis de rencontre, Stef (Stefania Gadda), Josh (Joshua Liam Henderson)
et Bigui (Richard Bellamy). DR

Sirāt est aussi un film rare dans son travail sur la musique. Le musicien Kangding Ray signe, une partition minimaliste mais très envoûtante en forme de voyage sonore. Partant d’une techno brute, viscérale, presque mentale, on va vers une ambient épurée, presque immatérielle, pour atteindre l’endroit où le son se désagrège. « Je voulais, dit encore Oliver Lax, que le récit, que toute mélodie possible, se dissolve dans une pure texture sonore. Que le grain du 16mm entre en vibration avec celui de la musique, avec sa distorsion. Nous avons cherché à amplifier la matérialité sonore de l’image, à aller jusqu’au point où l’on puisse voir la musique et entendre l’image. » Avec pour résultat, de faire entrer le spectateur dans un paysage sonore en symbiose avec un désert à l’apparence spectrale.
Dans les pas de Luis (remarquable Sergi Lopez) et de ses amis d’in(fortune), Sirāt raconte une éprouvante errance crépusculaire… baignée de lumière. Le monde décrit par le réalisateur oblige le spectateur, à l’instar des personnages du film, à regarder en eux. Une sorte de geste fondamental, un mouvement intérieur pour partager une lumière née de l’obscurité.

Perdus au milieu de nulle part. DR

Perdus au milieu de nulle part. DR

Dans le monde de la distribution cinématographique lorsque l’on tient une sorte d’ovni cinématographique, on suggère qu’il s’agit d’une « proposition ». C’est certainement le cas, ici, même si le prix du jury à Cannes a fait entrer Sirāt (produit notamment par les frères Almodovar) dans une catégorie plus bankable.
Proposition donc mais surtout une expérience à la fois humaniste, visuelle et sensorielle qu’on doit assurément partager.

SIRAT Drame (Espagne/France – 1h 55) d’Oliver Laxe avec Sergi Lopez, Bruno Nunez, Stefania Gadda, Joshua Liam Henderson, Tonin Janvier, Jade Oukid, Richard Bellamy. Dans les salles le 10 septembre.

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