La pétulante Eleanor et le ténébreux Valjean

"Eleanor...": Nina (Erin Kellyman) et Eleanor Morgenstein (June Squibb). DR

« Eleanor… »: Nina (Erin Kellyman)
et Eleanor Morgenstein (June Squibb). DR

MEMOIRE.- Ce sont deux vieilles dames qui se réveillent et se retrouvent, des bigoudis sur la tête, au petit déjeuner. Eleanor Morgenstein et Bessie Stern sont inséparables depuis des années. Ensemble, elles partent en promenade, prennent le soleil sur un banc et vont acheter, au supermarché du coin, ces pickels kocher qu’elles apprécient tant. Et cela, même s’il faut bousculer un peu le jeune employé qui n’a que faire des cornichons des vieilles dames. Un jour, Bessie n’est plus sur le banc au soleil à côté d’Eleanor. A 94 ans, même quand on est pétulante et pleine d’esprit, c’est dur de perdre sa meilleure amie, celle qui disait qu’Hitler lui avait pris son sourire.
Alors Eleanor doit se résoudre à rejoindre New York pour y retrouver ses filles. Caustique, une voisine, lui, lance : « Tes filles ? Celle qui prend des cachets ou celle qui ne te parle plus ? » En débarquant, elle s’étonne : « Je vais vivre pour la première fois à Manhattan ! » Lisa, sa fille , aimerait bien qu’elle aille vivre dans une maison de retraite mais Eleanor ne l’entend pas de cette oreille. Inscrite dans un Center culturel juif, elle rejoint un cercle de parole où des rescapés viennent raconter leur expérience de la Shoah. A son tour, Eleanor va prendre la parole et livrer une terrible histoire. Parmi les participants, se trouve Nina Davis, une jeune femme, qui poursuit des études de journalisme. Elle est venue recueillir des témoignages pour les besoins d’un article. Bouleversée par le récit de la vieille dame, Nina, qui vient récemment de perdre sa mère, va convaincre Eleanor de lui confier cette histoire… De plus, Eleanor découvre que Nina n’est autre que la fille de Roger Davis, l’animateur de télévision dont son amie Bess était une grande fan.
Pour son premier passage derrière la caméra, Scarlett Johansson a mis, avec Eleanor the Great (USA – 1h38. Dans les salles le 19 novembre), dans le mille. La cinéaste (on l’a vu, comédienne, tout récemment, en publicitaire pugnace dans To the Moon et en baroudeuse dans Jurassic World : Renaissance) s’appuie, ici, sur un scénario de Tory Kamen qui s’est inspirée de sa propre grand-mère pour composer le personnage central du film. Par ailleurs, pour que son film soit le plus authentique possible, Scarlett Johansson à fait appel à plusieurs rescapés de la Shoah pour camper les membres du groupe de parole du centre communautaire juif auquel se joint par hasard le personnage d’Eleanor. Et puis, Scarlett Johansson a dédié le film à son exubérante grand-mère, Dorothy Sloan, une membre de la communauté juive qui connaissait New York comme sa poche.

"Eleanor...": Bess Stern (Rita Zohar), l'amie disparue. DR

« Eleanor… »: Bess Stern (Rita Zohar),
l’amie disparue. DR

Avec cette belle et émouvante histoire, on se glisse dans l’amitié improbable d’Eleanor et de Nina. La vieille dame et la journaliste en herbe vont faire un bout de chemin ensemble, partageant une inattendue complicité qui les amènera des bancs de la faculté de journalisme à un dîner de Shabbat en passant par une synagogue new-yorkaise. Là, les deux assisteront à une Bat-mitzva qui leur ouvrira de nouveaux horizons. Tandis que, de son côté, Roger Davis (qui a bien du mal à parler à sa fille depuis le deuil qui les frappe) se dit que l’aventure d’Eleanor ferait un excellent sujet pour son magazine de télévision…
Il convient, pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte, de ne pas en dire trop sur le parcours de cette Eleanor Morgenstein, hantée par le souvenir de son amie Bess, qui affirme : « Il faut parler des choses qui nous rendent tristes… » Autour du thème de la mémoire et du chagrin, Scarlett Johansson livre une histoire forte et pathétique. Hormis Chiwetel Ejiofor qui campe Roger Davis, le film repose sur quatre remarquables comédiennes : Erin Kellyman (Nina), Jessica Hecht (Lisa), Rita Zohar (Bess) et évidemment l’épatante June Squibb, 96 ans, qui fait d’Eleanor une vieille dame qu’on n’oublie pas !

"Jean Valjean": Gregory Gadebois dans le rôle du forçat. DR

« Jean Valjean »: Gregory Gadebois
dans le rôle du forçat. DR

SOUFFRANCE.- C’est un homme voûté, fatigué, épuisé même, qui traverse, seul, de vastes espaces de nature. Tiraillé par la faim, il frappe aux portes qui, toutes, se referment. Les enfants lui lancent des pierres en le traitant d’assassin. Nous sommes en 1815. Jean Valjean vient de sortir du bagne de Toulon, après 19 ans de travaux forcés. Un homme sans problème dont la vie a été saccagée parce qu’il a volé une miche de pain pour nourrir de pauvres gamins affamés. Dans un bourg perdu, il trouve refuge chez un homme d’Église qui vit, là, avec Baptistine sa sœur et Magloire, leur servante. Face à Mgr Myriel, surnommé Monseigneur Bienvenu, la sourde et profonde colère du forçat semble s’effriter lentement. Comment cet homme en soutane peut-il l’appeler Monsieur et l’inviter à partager sa table avant de lui offrir l’hospitalité d’un lit aux draps blancs, lui le bagnard qui « jugea la société et la condamna à sa haine »
En ouverture du générique de Jean Valjean (France – 1h38. Dans les salles le 19 novembre), son réalisateur Eric Besnard, grand admirateur d’Hugo, a placé une phrase : « Avant qu’il y ait un héros, il y eut un homme, un misérable ». C’est donc à une manière d’avant-Jean Valjean que le réalisateur de Délicieux (2021), Les choses simples (2023) et Louise Violet (2024), tous déjà interprétés par Gregory Gabedois, invite le spectateur. En s’inspirant librement de Victor Hugo, le cinéaste signe une monographie du Valjean originel. Si les beaux paysages hivernaux de la Provence scandent le film, c’est pourtant dans de sombres intérieurs que se déroule cette aventure intime qui met face-à-face deux hommes auxquels la vie n’a pas fait de cadeau. Voilà quelques années, Myriel a perdu celle qu’il aimait. Devenu évêque et vivant dans un superbe palais épiscopal, le prélat a été confronté à la maladie et à la misère des pauvres. Il a alors tourné le dos à la pompe pour se mettre entièrement au service des autres. Valjean, lui, donne, finalement, ce qu’on attend d’un bagnard : « Etre méchant, c’est un effort, non ? »

"Jean Valjean":  Baptistine (Isabelle Carré) et Mgr Bienvenu (Bernard Campan). BR

« Jean Valjean »: Baptistine (Isabelle Carré)
et Mgr Bienvenu (Bernard Campan). BR

Dans une mise en scène des plus classiques, Eric Besnard orchestre un dialogue entre deux âmes blessées. Bienvenu et Valjean vont ainsi faire, à pas comptés, le chemin, l’un vers l’autre. Le premier lâche : « Je n’ai pas toujours été l’homme que je suis… » et l’autre est perturbé par un cauchemar dans lequel il tue toute la maisonnée qui l’accueille. Et lorsque, parti dans la nuit avec les fameux couverts en argent, Valjean est ramené par les gendarmes, Mgr Bienvenu le dédouane et, mieux, lui offre deux chandeliers. Bienvenu peut alors dire « Jean Valjean, mon frère » en lui donnant l’accolade fraternelle.
Traité dans des teintes « ténébreuses » avant que les images ne s’éclairent finalement avec un Valjean qui lève les yeux au ciel, le film fait la part belle à un Gregory Gadebois en massif mais douloureux Jean Valjean. Il marche ainsi dans les pas de nombreux prédécesseurs comme Harry Baur, Jean Gabin, Lino Ventura, Liam Neeson, Jean-Paul Belmondo ou Hugh Jackman. Face à lui, Bernard Campan est remarquable aussi en Myriel. Alexandra Lamy incarne Madame Magloire et Isabelle Carré, la souffreteuse et tragique Baptistine.
Lorsque le film s’achève, commence l’autre histoire de Valjean, celui qui incarne la rédemption, la résistance morale et la lutte contre l’injustice sociale.

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