Et comment va votre dos?

Laurent (Eric Elmosnino) en examen. DR

Laurent (Eric Elmosnino) en examen. DR

A une blouse blanche prête à se pencher sur son cas, Laurent demande: « Pourquoi j’ai mal au dos? » et il s’entend répondre, quand même un peu surpris: « Je ne peux pas vous dire. Je ne suis pas psychologue ». Ainsi le mal de dos, ça se passerait avant tout dans la tête! Le débat est lancé et chacun a, très certainement, quelque chose à y ajouter. Puisque les statistiques l’affirment: 80% des Français ont eu, ont ou auront mal au dos. Mais que l’on se rassure immédiatement, rien à voir avec un documentaire médical. Le nouveau film de Jean-Pierre Améris est bien une comédie. Précisément la troisième, après Les émotifs anonymes et Une famille à louer, dans une filmographie qui compte onze films. Et si les deux premières comédies reposaient sur des scénarios originaux nourris d’une grande part d’autobiographie, cette troisième s’inspire du roman éponyme de David Foenkinos. Dans lequel Améris s’est complètement retrouvé: « En lisant le roman, je me suis identifié au personnage, au point de me demander s’il ne parlait pas de moi ». Et aussi beaucoup de nous…

Alice Pol est la charmante Pauline. DR

Alice Pol est la charmante Pauline. DR

Je vais mieux raconte les aventures de Laurent, un quinquagénaire qui est victime d’un mal de dos fulgurant. Tous les médecins, tous les radiologues, tous les kinésithérapeutes, tous les ostéopathes du monde ne peuvent rien pour lui. Et si la racine de son mal se trouvait, non dans sa colonne vertébrale, mais dans sa tête? Alors Laurent s’interroge: de son travail, de sa femme ou de sa famille, que doit-il changer pour aller mieux?

Autour d’un homme et de sa douleur, autour d’un corps qui paye et d’un corps qui se révolte, Jean-Pierre Améris a construit un film qui s’abstrait, petit à petit, de la réalité pour développer un univers de pure fantaisie… Au début du film, Laurent est un corps plié en deux, un corps souffrant. Tant que le corps fonctionne, on n’y pense pas mais lorsqu’une souffrance intervient, il se rappelle à nous et l’on voit soudain notre finitude. Mais si, dans Je vais mieux, la douleur est, au début, une ennemie, elle devient aussi peu à peu un guide dans l’existence de Laurent qui lui permettra de s’ouvrir à lui-même et aux autres.

Laurent et son père (Henri Guybet). DR

Laurent et son père (Henri Guybet). DR

Pour composer le personnage de Laurent, auquel l’excellent Eric Elmosnino apporte une savoureuse présence, Jean-Améris a songé aux héros de Kafka ou de Buzatti propulsés dans des situations qui les dépassent. Mais on pense aussi à une silhouette de Sempé ou encore au professeur incarné par Michael Stuhlbarg dans A Serious Man des frères Coen. En proie à des ennuis pluriels, il se tourne vers un rabbin pour comprendre le sens de ses tourments: « Mais qu’est-ce que Dieu me veut? » Il y a clairement, dans Je vais mieux, une forme d’humour juif dans cette confrontation de l’homme et de la douleur.

Jean-Pierre Améris réussit à embarquer le spectateur dans une histoire qui n’est pas réaliste mais vraie. D’ailleurs, même si on n’y prête pas d’emblée attention, voilà un récit qui cultive son étrangeté dans la stylisation. Pas de voitures, pas de portables et l’hôtel où se retrouve Laurent semble sortir tout droit de Barton Fink. Tiens, encore les frères Coen. Le film est plein de situations cocasses (ah, le numéro de la magnétiseuse!) ou de petites notations comme ces tableaux de bouches ouvertes et suppliantes qui renvoient au Cri de Munch et, bien entendu, cette passerelle que notre architecte de Laurent va lancer d’une rive à l’autre comme un symbole de ce qui nous lie aux autres.

Ary Abittan, Sacha Bourdo et Eric Elmosnino. DR

Ary Abittan, Sacha Bourdo et Eric Elmosnino. DR

Dans ce portrait d’un homme qui se redresse, Eric Elmosnino est entouré de comédiens qui distillent, tous, une excentricité bienvenue. C’est le cas pour Judith El Zein, l’épouse avec laquelle Laurent se « frite » pour accepter leur rupture, pour Ary Abittan, le meilleur ami, pour Alice Pol, la nouvelle et douce petite amie, pour le vétéran -il était Salomon dans Rabbi Jacob- Henri Guybet, bougonnant père de Laurent, pour François Berléand avec son petit grain de folie en patron du cabinet d’architecture et aussi pour le merveilleux Sacha Bourdo, réceptionniste de l’hôtel littéraire… Enfin, on apprécie aussi la manière dont le cinéaste joue, ici, avec des couleurs franches et lumineuses qui composent le bel équilibre entre joie et mélancolie de cette charmante miniature.

Je vais mieux est un film dont le ticket d’entrée devrait être remboursé à 100% par la Sécurité sociale!

JE VAIS MIEUX Comédie dramatique (France – 1h26) de Jean-Pierre Améris avec Eric Elmosnino, Ary Abittan, Judith El Zein, Alice Pol, François Berléand, Henri Guybet, Lise Lamétrie, Sacha Bourdo, Valentine Cadic. Dans les salles le 30 mai.

JEAN-PIERRE AMERIS: « FAIRE UN FILM QUI SOULAGE… »

Jean-Pierre Améris sur son tournage.

Jean-Pierre Améris sur son tournage.

Aux Rencontres du cinéma de Gérardmer, Jean-Pierre Améris est en pays de connaissance. Le réalisateur des Emotifs anonymes est venu à plusieurs reprises présenter ses films et c’était encore le cas, début avril, pour Je vais mieux. Avec un petit sourire, le cinéaste glisse: « Ne jamais pouvoir dire non, ça donne mal au dos! » Et de raconter: « Je chausse du 45. Dans une boutique, la vendeuse me propose du 44 et demi. Je sais d’emblée qu’elles ne m’iront pas et que  je ne les mettrais jamais. Pourtant, je les ai prises pour faire plaisir à la vendeuse… » Si Je vais mieux est (librement) adapté du roman de David Foenkinos, le film est cependant très proche de Jean-Pierre Améris: « Je ne saurais pas faire un film sur quelque chose que je ne connais pas. » Le mal de dos, notre homme connaît donc. « Il y a de l’autocritique dans le film. Je me suis trop plaint, je sais ça mais il se trouve que je souffre moi-même du dos. Sans doute parce que je suis grand et que je me tiens mal, ayant souvent à me mettre à hauteur des autres… »  Lorsqu’on lui parle de sa cinéphilie, le réalisateur observe: « Mes parents s’engueulaient beaucoup. Alors, à la maison, on regardait la télévision. Ma culture cinéphilique est partie de là. Mais j’avoue que la salle de cinéma est le lieu que je préfère. La lumière s’éteint. On est dans le noir. On ne vous voit pas. Et soudain, on est dans une histoire… » Enfin, Jean-Pierre Améris confesse: « Nous vivons dans une société qui nous malmène et nous oblige à encaisser. Les gens ont tous mal quelque part. J’ai voulu provoquer quelque chose de l’ordre du bienfait. Faire un film qui soulage, qui console. Je crois beaucoup à la consolation par les arts… »

 

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