La serre en plastique et le sens de la vie

La déroutante Haemi (YUN Jong-seo). DR

La déroutante Haemi (YUN Jong-seo). DR

Des volutes de fumée de cigarette qui s’échappent de derrière la porte ouverte d’un camion de livraison… La première image de Burning pourrait résumer, par son côté énigmatique et flottant, tout ce qui traverse le nouveau film du cinéaste coréen LEE Chang-dong.

Revenant au cinéma après huit années d’absence et le beau Poetry (2010) vu en compétition à Cannes, Lee adapte ici un court texte du grand écrivain japonais Haruki Murakami. Les granges brûlées est l’une des dix-sept nouvelles de L’éléphant s’évapore que les éditions Belfond publièrent, chez nous, en 2008… Comme le dit avec une certaine malice, le cinéaste, c’est une histoire où… il ne se passe rien. Justement Burning est une œuvre qui se distingue par le fait qu’il ne s’y passe, en effet, que peu de choses. Mais ce sont évidemment les trous béants dans l’enchaînement des événements tout comme la pièce manquante qui empêche de connaître la vérité qui présentent une dimension très cinématographique. D’ailleurs, sur la Croisette en mai dernier, Burning a été très unanimement applaudi par la critique qui le voyait bien rafler la Palme d’or. Que le jury de Cate Blanchett attribua au voisin japonais Kore-eda pour Une affaire de famille. Les décisions des jurés cannois sont et seront toujours insondables. Mais ceci est une autre histoire…

Livreur à mi-temps à Séoul, Jongsu, jeune type emprunté et plutôt introverti, croise, au cours d’une livraison, sans la reconnaître la mignonne Haemi, une ancienne voisine de quartier. En jupette rose, elle danse devant un centre commercial pour des événements promotionnels. Ravie de retrouver son ex-camarade de classe, elle lui fait gagner une montre pour dames rose tandis que Jongsu lui confie vouloir devenir écrivain. Plus tard, il citera comme modèle l’Américain William Faulkner (dont L’incendiaire paru en 1939 a aussi inspiré Lee). Haemi a appris la pantomime et veut devenir actrice. Bientôt dans le petit studio d’Haemi, ils deviennent amants… Mais la jeune femme s’apprête à partir en voyage du côté du Kalahari en Afrique et demande à Jongsu de bien vouloir venir s’occuper de son chat en son absence…

Jongsu erre dans la campagne… DR

Jongsu erre dans la campagne… DR

Secrètement amoureux d’Haemi, Jongsu retourne à la ferme familiale à Paju, un bled où l’on entend, tout proches, les haut-parleurs de la propagande nord-coréenne. Même s’il n’a pas l’âme d’un fermier, Jongsu doit s’occuper de l’exploitation (où il ne reste pourtant qu’un seul veau) car son père a été emprisonné pour avoir lancé une chaise et blessé un policier… Mais le jeune homme s’applique pourtant à retourner nourrir Choffo, le chat de Haemi, qu’il ne voit cependant jamais dans l’exigu appartement de Séoul… Un jour, pourtant, Haemi est de retour. A l’aéroport, Jongsu découvre sans plaisir qu’elle revient avec le séduisant et mystérieux Ben, rencontré à Nairobi.

LEE Chang-dong réussit à créer une véritable atmosphère dramatique alors même que Haemi va bientôt disparaître de la circulation tandis que se développe une étrange relation entre Jongsu, l’apathique fils de fermier sans le sou et Ben qui vit dans un superbe appartement très design, roule en Porsche Carrera et fréquente des jeunes gens manifestement sans souci d’argent… Ceux qui connaissent bien la Corée retrouveront, dans les images de Lee, une vision très précise de la vie au Pays du matin calme. Pas si calme que cela d’ailleurs… Car le cinéaste (qui observe : « Il y a trop de Gatsby en Corée ») met aussi en lumière la colère autant que l’impuissance de la jeunesse coréenne, largement frappée par le chômage, contre un monde sophistiqué où il semble si facile de naviguer alors même que l’on sent bien que quelque chose ne va pas.

Jongsu (YOO Ah-in) et Ben (Steven Yeun). DR

Jongsu (YOO Ah-in) et Ben (Steven Yeun). DR

Enfin, le film, servi par trois jeunes et remarquables comédiens, bascule dans une forme de tragédie irréelle lorsque Ben confie à Jongsu son étrange passe-temps. Tous les deux mois, Ben incendie une de ces serres en plastique qui abondent en Corée et défigurent la campagne. Tandis que Jongsu, dans la vieille camionnette paternelle, se met à battre la campagne en quête d’une serre récemment incendiée, l’aveu de Ben achève de faire perdre pied à un Jongsu qui glisse, jusqu’au drame violent, dans la schizophrénie…

Dans une conversation avec le cinéaste, sa co-scénariste OH Jung-mi rapporte qu’elle aurait (mais sans y parvenir) voulu intégrer, dans les dialogues de ce Jules et Jim coréen, la citation suivante : « Tous les animaux et les objets dans l’univers sont la Grande Faim. Les étoiles dans le ciel nocturne frémissent parce qu’elles exécutent la danse de la Grande Faim, conscientes de la finitude de leur existence. La rosée du matin sur les feuilles n’est autre que les larmes versées par les étoiles ». Et d’expliquer que les ancêtres de l’humanité, les bushmen du désert de Kalahari, dansaient des nuits entières dans l’espoir de trouver le sens de la vie. Avant de conclure : « Danser jusqu’à l’aube ne change peut-être pas le monde, mais c’est un moyen de transmettre de l’espoir. L’art du cinéma n’est peut-être pas si différent de la danse de la Grand Faim. »

Allez voir Burning ! C’est une belle expérience de cinéma !

BURNING Drame (Corée du Sud – 2h28) de Lee Chang-Dong avec Ah-in Yoo, Steven Yeun, Jong-seo Yun. Dans les salles le 29 août.

Burning, une vision souvent poétique de la Corée. DR

Burning, une vision souvent poétique
de la Corée. DR

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