ECRIRE, METTRE EN SCENE, MONTER…

Ecrire Film« Des films, je dis que j’en fait dix-huit, mais j’en ai écrit quarante, donc tous les autres sont là, ils attendent. Mon tiroir, c’est une arrière-boutique où je vais chercher des trucs sur des films que je n’ai pas tournés, sans le dire à personne ». C’est Bertrand Blier qui parle ainsi, répondant à l’interpellation « Il faudrait faire le recueil de ces projets ! » et d’ajouter : « Il ne faut pas le faire, parce que c’est triste les films qu’on n’a pas faits ».

Dans Ecrire un film sous-titré scénaristes et cinéastes au travail, N.T. Binh et Frédéric Sojcher, qui ont coordonné ce travail dans la collection Caméras subjectives, notent : « Très peu de livres abordent l’écriture filmique dans l’ensemble de processus de création du film » sinon, observent-ils, l’ouvrage récent, aux éditions du Nouveau Monde, Paris 2016, de Luc Jabon et Fréderic Sojcher, Scénario et réalisation : modes d’emploi ? Le titre est ironique et le point d’interrogation central (sic).

Ce présent livre est issu de rencontres durant lesquelles les étudiants du Master en scénario, réalisation et production de de l’Ecole des arts de la Sorbonne (université Paris 1) ont interrogé scénaristes et réalisateurs sur l’écriture filmique. Les débats (publics) ont été enregistrés puis retranscrits pour donner lieu à l’ouvrage. Un premier cycle avait été organisé il y a quelques années et avait donné naissance à L’art du scénario (aujourd’hui épuisé) mais Ecrire un film reprend les propos formulés à l’époque par Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, Valeria Bruni-Tedeschi et Noémie Lvovsky, Robin Campillo et Laurent Cantet et Emmanuel Carrière. Y ont été ajoutés, ici, les propos –inédits pour la plus grande part du volume- de Bertrand Blier, Jean-Claude Carrière, Olivier Dazat, Claire Denis, Pascale Ferran, Jacques Fieschi, Fabrice Gobert, François Ozon et Danièle Thompson. Sans être nécessairement des théoriciens de leur art, tous ces scénaristes et réalisateurs contribuent cependant à une théorisation de ce qu’est « écrire pour le cinéma ».

Comment un scénariste et un réalisateur dialoguent-ils ensemble aux différentes étapes d’écriture du scénario ? A quel point le non-dit est-il aussi important que les dialogues et comment appréhender cette part d’indicible ? Comment écrit-on « pour » un acteur ? Comment la musique du film participe-t-elle à l’écriture ? Comment le film s’écrit-il aussi au tournage et à la table de montage ? Autant de questions et bien d’autres qui se posent lorsqu’il s’agit d’écrire un film de fiction. Rédiger le scénario, certes mais la mise en scène ou le montage sont aussi des formes d’écriture.

En préambule, on y évoque tant la « mort du cinéma » souvent annoncée… alors que le cinéma, tel le phoenix, renaît toujours de ses cendres que le malentendu né d’une approche culturellement différente du scénario entre l’Europe et les Etats-Unis ou encore la vraie noblesse d’être un « passeur » d’histoires, Fréderic Sojcher observant : « L’art de raconter est parmi les plus beaux qui soit car il renvoie à ce qu’il y a de plus humain en nous : la nécessité de donner du sens au monde (…) Le propre de l’homme serait ‘’son besoin de fiction’’… »

Dans ce recueil d’entretiens souvent enjoués, l’enjeu était de ne négliger aucun aspect du métier ni aucun pan du cinéma francophone, du film d’auteur le plus singulier aux productions les plus commerciales, en passant par les séries et par les « films du milieu » naguère définis par Pascale Ferran – proposant une vision personnelle, tout en étant accessibles à un large public. Toutes les générations, tous les genres sont ici représentés – et tous les cas de figure, des cinéastes qui écrivent aux scénaristes « professionnels » qui se définissent parfois comme des « mercenaires ».

Quand on demande à Jean-Pierre Bacri pourquoi il a commencé à écrire en tandem, il répond : « Pour vaincre l’ennui ! » Et quand on interroge Blier sur un souvenir de tension particulière sur un tournage, il affirme : « Oui mais je n’en parle pas. » Parce que ça doit rester secret ? « J’en connais des salauds, dit-il de manière audiardesque, mais je ne dis pas les noms ».

L’ambition de Ecrire un film (dont la lecture est limpide et plaisante) est de livrer une véritable ode aux liens entre scénario et réalisation, avec le film conçu comme un tout organique. Une vision bien éloignée des manuels de scénario… mais évidemment profitable pour qui s’intéresse au 7eart et, plus encore, envisage de s’y lancer !

ECRIRE UN FILM – SCENARISTES ET CINEASTES AU TRAVAIL. Coordonné par N. T. Binh, Frédéric Sojcher. Ed. Les Impressions nouvelles. 392 pages. 22 €.

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