Le beau sourire des ringards de la piscine

Pas vraiment un look de "winners"? DR

Pas vraiment un look de « winners »? DR

Quoi de plus touchant –au cinéma s’entend- que de solides losers ? Ceux qui peuplent Le grand bain sont, si on peut dire, spécialement, gratinés. Car de Bertrand à Simon en passant par Marcus, Laurent ou Thierry, ils trimballent dépression, mal-être, mélancolie, découragement, lassitude… De quoi faire un film bien plombé ? Eh bien non, le nouveau film de Gilles Lellouche est bien une comédie, dramatique certes, mais qui finit par emporter le spectateur dans l’aventure d’une bande de branquignols qui se retrouvent, dans une piscine municipale, autour de la pratique de la natation synchronisée masculine.

Alors qu’il se préparait à son rôle d’alcoolique pour Un singe sur le dos (2009) de Jacques Maillot, Gilles Lellouche avait été frappé par la chaleur humaine, l’écoute et le partage sans aucun jugement qui régnait dans les cercles de parole. Et il avait eu envie d’en faire la matière d’un film. Une fois l’écriture commencée et alors qu’il manquait la dimension poétique et cinématographique à son sujet, le producteur Hugo Selignac lui suggéra de regarder un documentaire sur Arte consacré à une bande de Suédois pratiquant la natation synchronisée…

C’est donc dans le vacarme d’une piscine, dans les vestiaires, le sauna ou les couloirs à sèche-cheveux que l’on va rencontrer une demi-douzaine d’hommes tous désenchantés qui viennent chercher, là, de quoi donner un peu de sel, sinon de sens, à des existences atones. Autour des efforts accomplis par Delphine, ancienne gloire des bassins, pour faire de cette troupe une équipe de sportifs, Lellouche brosse, les uns après les autres, les portraits de types malheureux. Depuis deux ans, Bertrand ne travaille plus. Sous le regard las de son épouse et triste de ses deux enfants, il se bourre de médicaments contre la dépression et passe son temps à faire la limace sur le canapé. Jusqu’au jour où il passe par la piscine… Là, il croise Laurent, chef de service dans la sidérurgie et râleur constamment mal embouché ; Marcus, petit patron dont l’entreprise de piscines est en train de plonger ou encore Simon, vieux rocker à cheveux longs, qui gratte sa guitare dans les soirées du troisième âge et survit en travaillant, charlotte sur la tête, comme plongeur dans la cantine scolaire que fréquente son adolescente de fille. A laquelle, évidemment, il fout la honte. Quant à Thierry, modeste employé de la piscine, c’est un solitaire paumé, tout juste bon à ranger, le soir venu, les bouées auquel le magnifique Philippe Katerine apporte une parfaite fantaisie lunaire.

Delphine (Virginie Efira), un entraîneur qui cache ses blessures. DR

Delphine (Virginie Efira), un entraîneur
qui cache ses blessures. DR

Même si la mise en place du récit semble prendre un peu de temps, cette petite communauté qui aime à se retrouver dans l’eau du bassin et, sans doute, plus encore dans les vestiaires ou au bar, à se raconter sa vie, apparaît toujours très touchante. D’autant que la douce Delphine cache bien son jeu. Alors qu’elle trônait sur les podiums de la natation synchronisée avec sa partenaire Samantha, quelque chose s’est cassé. Et ce fut la dégringolade infernale dans l’alcool…

L’aventure va connaître un tournant lorsque la bande apprend que le championnat du monde de natation synchronisée masculine va se tenir, d’ici quelques mois, en Norvège. Devant leur ordinateur, les copains, en quelques clics, vont devenir… l’équipe de France. Et trouver, avec Samantha, un entraîneur qui pousse des coups de gueule, distribue des coups de cravache, hurle des invectives et repousse ses amateurs dans leurs derniers retranchements physiques. Mais la compétition est à ce prix. Et le droit de croire, un peu, à ses rêves, également.

Samantha (Leila Bekhti) et Thierry (Philippe Katerine). DR

Samantha (Leila Bekhti)
et Thierry (Philippe Katerine). DR

Le grand bain est un film choral qui repose évidemment, au-delà d’un scénario astucieux, de dialogues souvent savoureux, d’un petit clin d’œil à Esther Williams, la plus célèbre naïade d’Hollywood et d’une bande-son très eighties, sur une palette de comédiens de talent qui, habituellement, tiennent, seuls, le haut de l’affiche. Sous la houlette de Gilles Lellouche, ils sont, ici, très… synchrones et apportent au film ce qu’il faut d’abord de mélancolie, puis de modeste bonheur. Mathieu Amalric (Bertrand), Guillaume Canet (Laurent), Benoît Poelvoorde (Marcus), Jean-Hugues Anglade (Simon) et Philippe Katerine (Thierry) composent un étonnant quintet qui va finir par croire à l’enthousiasme et à la compassion. Autour d’eux, le cinéaste soigne quelques silhouettes (Marina Foïs, Félix Moati, Alban Ivanov, Jonathan Zaccaï ou l’inattendu Balasingham Thamilchelvan) et offre enfin deux beaux personnages féminins à Virginie Efira (Delphine) et Leila Bekhti (Samantha), la première incarnant la grâce, l’élégance et une certaine philosophie du sport (elle récite du Rainer Maria Rilke à sa troupe), la seconde la rigueur, la volonté, l’effort et le sens du sacrifice.

La natation synchronisée masculine, un sport d'hommes? DR

La natation synchronisée masculine,
un sport d’hommes? DR.

Dès le générique, une voix affirmait une absolue certitude : un carré ne rentrera jamais dans un rond et réciproquement. A la fin de cette improbable aventure en forme de feel good movie (Le grand bain a déjà réuni 1,5 million de spectateurs en première semaine), la même voix observe qu’un rond peut rentrer dans un carré et réciproquement. CQFD.

Dans Pull marine, Isabelle Adjani chantait : « J’ai touché le fond de la piscine… » Bertrand, Laurent, Simon et les autres aussi. Pour ces tafioles moquées par les poloïstes, la victoire était belle mais la reconnaissance ne viendra jamais. Ils peuvent cependant regarder, un sourire jusqu’aux oreilles, le soleil se lever sur la Norvège de leur exploit. Evidemment, ça n’a pas de prix.

LE GRAND BAIN Comédie dramatique (France – 1h58) de Gilles Lellouche avec Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Jean-Hugues Anglade, Virginie Efira, Leïla Bekhti, Marina Foïs, Philippe Katerine, Félix Moati, Alban Ivanov, Balasingham Thamilchelvan, Pierre Pirol, Jonathan Zaccaï, Mélanie Doutey, Noée Abita. Dans les salles le 28 octobre.

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