La légende des bas-fonds et la courageuse libraire

Vidocq (Vincent Cassel) et le redoutable Nathanël (August Diehl). DR

Vidocq (Vincent Cassel) et le redoutable Nathanël (August Diehl). DR

POLICE.- « C’est ça, Vidocq ? » L’exclamation n’est pas flatteuse mais il est vrai que, prisonnier au bagne de Toulon, sur un sinistre ponton, le fameux bandit n’a pas fière allure. Tabassé par les nervis de l’affreux Maillard, François Vidocq a l’air d’une loque humaine. Et il échappe encore de peu à une tentative d’assassinat… A l’heure du Premier Empire, l’homme réussira pourtant à s’évader en compagnie de Nathanael de Wenger, un bagnard qu’il sauve de la noyade. Quelques années plus tard, Vidocq est à Paris, converti en marchand de draps. A cette occasion, il sauve la mise à la belle Annette, une voleuse à la tire… Mais « l’évadé perpétuel », devenu une légende des bas-fonds, est accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Pour sauver sa peau, Vidocq va proposer un marché au chef de la sûreté : il rejoint les rangs de la police pour combattre la pègre en échange de sa liberté sous la forme d’une lettre de grâce. Malgré des résultats exceptionnels, Vidocq provoque l’hostilité de ses confrères policiers et surtout la fureur de la pègre qui a mis sa tête à prix. Devenu un redoutable caïd, Nathanaël de Wenger lui propose une association criminelle avant de devenir son pire ennemi…

Après Harry Baur, George Sanders ou Gérard Depardieu au cinéma, Bernard Noël ou Claude Brasseur à la télévision, c’est donc au tour de Vincent Cassel de se glisser dans la défroque du célèbre bandit devenu policier. Avec L’empereur de Paris (France – 2h. Dans les salles le 19 décembre), le comédien, omniprésent à l’écran, retrouve Jean-François Richet qui l’avait déjà dirigé dans le diptyque consacré à Mesrine (L’ennemi public n°1 et L’instinct de mort en 2008) puis dans l’oubliable Un moment d’égarement (2015). Avec Vidocq, Cassel trouve un rôle qui lui permet de composer un personnage déterminé, sauvage, rebelle et violent. Et Richet peut s’en donner à cœur-joie avec une luxueuse reconstitution historique à Paris même (et non pas à Prague !) en observant : « Les professeurs d’histoire pourront le montrer à leurs élèves et dire : Voilà… Paris, c’était ça. » Malgré la qualité des décors, le travail sur la lumière et l’importance de la figuration, le cinéaste, au-delà de l’action et de son souci de faire un film populaire, a surtout voulu montrer un Vidocq qui, en prenant son destin en main, a décidé de dire non au déterminisme social. Dans une situation où nécessité fait loi, Vidocq, en fuite, cherche à se libérer et très vite se pose la question du prix à payer…

Fouché (Fabrice Luchini) et François Vidocq. DR

Fouché (Fabrice Luchini) et François Vidocq. DR

Autour de Vincent Cassel, Richet a réuni une brochette de comédiens venus de différents horizons et qui donnent corps au chef de la sureté, à un rude policier, à un immonde chef de gang, à une gourgandine ou à une fausse baronne spécialisée dans le négoce des faveurs, ainsi Patrick Chesnais ou Olga Kurylenko, Denis Menochet ou Denis Lavant, James Thierrée ou Freya Mavor. L’Allemand August Diehl, vu récemment en Karl Marx devant la caméra de Raoul Peck, incarne De Wenger qui évoque sa ville natale de Strasbourg et son fameux marché de Noël ! Quant à Fabrice Luchini, il est l’inquiétant Joseph Fouché et le scénariste Eric Besnard lui a mis quelques dialogues savoureux dans la bouche, ainsi ce « La légion d’honneur, bientôt on la donnera à tout le monde ! » Pour sa part, Vidocq observe : « L’essentiel est de survivre. Les vivants ont toujours le dernier mot ». Consacré à une partie seulement de l’existence aventureuse de Vidocq, L’empereur de Paris, saga polcière autant qu’historique, se regarde sans déplaisir…

 

Florence Green (Emily Mortimer) dans sa librairie.

Florence Green (Emily Mortimer) dans sa librairie.

LIVRES.- En 1959, à Hardborough, une petite bourgade du nord de l’Angleterre, Florence Green, jeune veuve de guerre, tombe sous le charme d’une vieille bâtisse désaffectée et plutôt en piteux état. Elle décide d’acquérir cette Old House (où même la paille a 500 ans) avec l’idée d’en faire une librairie. Le projet est accueilli avec curiosité par les autochtones qui, avouent-ils, ne sont pas très portés sur la lecture. Mieux, ils sourient en glissant à Florence que le seul habitant du village à aimer la lecture, le très ombrageux Edmund Brundish, ne sort jamais de chez lui… Mais aussi idéaliste que discrète, Florence franchira les obstacles représentés par un banquier condescendant ou un conseiller juridique péteux pour finir par ouvrir son Bookshop. Invitée à la party donnée par le général et son épouse Violet Gamart, Florence va découvrir le petit monde aisé de Hardborough. Et c’est de là que viendront les coups les plus fielleux portés à l’entreprise de la courageuse Florence. Car Violet Gamart caressait, elle, le projet de faire de The Old House un centre d’art. La coupe sera pleine pour Violet lorsque la libraire, véritable bouffée d’air frais dans une communauté repliée sur ses conservatismes et ses egoïsmes locaux, décide de promouvoir et de vendre le remarquable mais sulfureux roman de Vladimir Nabokov Lolita qui vient alors de paraître… Désormais persona non grata et peu à peu lâchée par le village, Florence Green ne trouvera d’appui qu’auprès du cher Brundish auquel elle a fait découvrir les œuvres de Ray Bradbury…

Edmund Brundish (Bill Nighy) et Violet Gamart (Patricia Carlkson). Photos Lisbeth Salas

Edmund Brundish (Bill Nighy) et Violet Gamart (Patricia Carlkson). Photos Lisbeth Salas

C’est la cinéaste catalane Isabel Coixet qui signe cette chronique nostalgique imprégnée d’atmosphère so british qu’est The Bookshop (Grande-Bretagne/Espagne – 1h52. Dans les salles le 19 décembre) en s’appuyant sur le roman éponyme de Penelope Fitzgerald paru en 1978. Révélée sur le plan international avec Ma vie sans moi (2003), la réalisatrice s’empare d’une histoire simple qui est un vibrant hommage à la littérature et à ceux qui la font vivre, ici une libraire passionnée et un homme solitaire dévoreur de belles pages. Car c’est bien la matière vive des personnages et des histoires qui habite Florence Green (elle dit tout simplement : « J’aime lire ») qui lui donnera la force de se jeter dans la fragile économie de la vente de livres et d’en affronter les obstacles qui vont bientôt s’accumuler…

Jouant la carte de l’épure, Isabel Coixet distille, au fil des promenades solitaires de Florence dans une campagne de bord de mer à la météo perpétuellement changeante, un récit tranquille où la violence est toujours en filigrane. Et il faudra vraiment que Violet, la « bonne châtelaine » (Patricia Clarkson, parfaite dans la componction odieuse) se montre tyrannique pour que le paisible Brundish sorte de ses gongs.

Au travers de l’affaire Lolita, The Bookshop interroge aussi la valeur morale de l’œuvre littéraire. Comme le confie Brundish à Florence, l’unique jugement de valeur auquel un livre doit être soumis est celui de l’esthétique, retranché de toute évaluation éthique. Le plaisir littéraire que procure la lecture de Lolita ne saurait être oblitéré par les agissements immoraux de son héros pédophile, que le lecteur est, par ailleurs, parfaitement en droit de réprouver ou non…

La cinéaste a choisi deux excellents comédiens britanniques pour incarner ses antihéros. Bill Nighy campe un Edmund Brundish, tendre amoureux transi, et Emily Mortimer est une Florence Green dont le doux sourire est follement touchant. Ces deux-là auront mené un combat peut-être perdu d’avance mais qui leur aura donné une espérance plus forte que l’amertume de l’échec. « On ne se sent jamais seul dans une librairie… » C’est le mot de la fin de The Bookshop. Et c’est, ma foi, bien vrai.

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