Georges et son terrible cauchemar à franges

Georges (Jean Dujardin) et son blouson à franges. DR

Georges (Jean Dujardin)
et son blouson à franges. DR

Mais pourquoi donc, au risque de faire déborder la cuvette, Georges s’applique-t-il à enfoncer son veston dans les WC d’une aire d’autoroute ? La réponse est peut-être dans l’énigmatique plan qui ouvre Le daim… Plusieurs personnages y répètent : « Je promets de ne plus jamais porter de blouson de toute ma vie »
Au volant de sa vieille Audi, Georges avance sur la route. Bientôt, celle-ci le mène dans la montagne. Georges a rendez-vous avec un vieil homme auquel il confie qu’il est « superexcité ». Désormais, il n’est plus temps d’attendre. Georges veut la voir… cette veste à franges 100% daim qu’il est venu acquérir un prix très conséquent. Et c’est un « Putain ! » admiratif qui salue ce « vêtement pas banal ». En cadeau, le vendeur offre à Georges un caméscope numérique quasiment neuf…
Dans un hôtel presque désert et perdu, Georges s’installe dans la chambre 15. Il compte y séjourner un mois, le temps de mûrir son grand projet. Sa carte bancaire bloquée, Georges laisse en gage au réceptionniste son alliance en or. Il n’en a plus vraiment besoin. Au téléphone, son épouse –qui a bloqué son compte- lui a simplement déclaré : « Tu n’existes plus… »
Dans un bar du coin, Georges boit un whisky. Au bout du comptoir, la serveuse et une cliente semblent se moquer de lui. « Vous parlez de mon blouson ? » lance Georges. Evidemment pas. Mais la conversation s’engage. Et vous faites quoi ? Pourquoi Georges a-t-il répondu : cinéaste ? Si la cliente, une prostituée, lui propose un plan porno qu’il décline, la serveuse, elle, s’emballe. Le cinéma, c’est son truc. D’ailleurs, elle est monteuse. Denise aime remonter des films qui existent déjà. Ainsi, elle a mis Pulp Fiction dans… l’ordre. Avec un résultat assez médiocre, quand même. Si Georges ne comprend rien au cinéma et à tout ce que Denise lui demande, il saisit quand même que le film peut être une bonne manière de « documenter » son grand projet. Sur lequel, on ne dira rien de plus…

Une rencontre autour du cinéma... DR

Une rencontre autour du cinéma… DR

Mais, une chose est certaine. Il n’en pas vraiment bien, Georges. Bien sûr, depuis le début, on le voit ruminer et marmonner mais là, il commence à mener des conversations avec son blouson : « On fait une belle équipe tous les deux ! »
Avec Le daim, son huitième long-métrage, Quentin Dupieux signe son premier film… réaliste. Loin de l’univers zinzinland de ses œuvres précédentes, le cinéaste embarque le spectateur dans une histoire cauchemardesque mais dont le personnage central est bien concret. Ce Georges-là, on pourrait bien le rencontrer dans la rue. Peut-être même l’a-t-on déjà croisé… Et on frémit rétrospectivement en se disant qu’on portait un blouson, ce jour-là !
« Je voulais filmer la folie, explique le cinéaste. J’ai l’étiquette d’un réalisateur qui fait des films fous, mais je n’avais jamais vraiment filmé la folie en face. (…) Il y a toujours eu dans mes films précédents des astuces pour que la folie soit plutôt un truc « rigolo » et hors du réel. C’est les films qui étaient dingues, pas les personnages. J’avais très envie de me confronter enfin à un personnage qui déraille, sans artifice, sans mes trucages habituels. Le Daim est donc mon premier film réaliste. Je sais que ça fait marrer les gens quand je le dis mais je le pense profondément… »

Un blouson en daim qui fait perdre pied à Georges. DR

Un blouson en daim qui fait
perdre pied à Georges. DR

De fait Le daim trouve pleinement sa place dans la filmographie de Dupieux puisque Non film (2001) était une mise en abyme d’un tournage, Steak (2007) parlait notamment d’un… blouson (rouge), Rubber (2010), évoquait un pneu tueur, Réalité (2014) la quête par un cinéaste du meilleur gémissement de toute l’histoire du 7eart tandis que Au poste ! (2018) confrontait les monologues délirants d’un flic et d’un suspect.
Avec Le daim (tourné dans les Pyrenées et doté d’une image laiteuse qui déréalise le propos), Quentin Dupieux nous plonge dans l’obsession pure et totale d’un type apparemment normal mais qui a complètement perdu la boule dans son souci d’être « le seul blouson au monde ». Et qui en devient totalement inquiétant. Sans fournir d’explications ou de raisons à la dérive de Georges, le cinéaste réussit à renvoyer son odyssée comme un miroir au spectateur. Dans ce décryptage d’une normalité effrayante et dans cette mise en scène, au demeurant brillante et maîtrisée, de l’absurde le plus complet, Quentin Dupieux rejoint un Bertrand Blier qu’il affirme apprécier et qui cultivait, lui aussi, la dinguerie noire dans Buffet froid (1979), Notre histoire (1984) ou Tenue de soirée (1986). Et puis, c’était déjà Dujardin qui incarnait Charles Faulque, l’écrivain alcoolique, déprimé et en perdition qui recevait, dans Le bruit des glaçons (2010), la visite de son cancer…
Ce qu’il y a de pire peut-être encore dans ce cauchemar aux allures de fait-divers, c’est que Georges est rejoint dans son délire par une Denise, jeune femme à priori promise à un avenir sans joie et soudain contaminée par sa folie. Dérushant les images tournées par Georges, Denise va, en effet, prendre à son compte la production de « l’œuvre »…

Denise (Adèle Haenel), caméra au poing. DR

Denise (Adèle Haenel), caméra au poing. DR

Volontiers comparé à Belmondo parce qu’il possède un côté héros sémillant, Jean Dujardin a réussi à séduire le grand public en distillant cependant un soupçon de décalage dans ses prestations grand public. Si Hubert Bonisseur de la Bath dans OSS 117 : Le Caire, nid d’espions (2006), est un crétin fini, Georges Valentin, l’acteur de The Artist (2011), est un loser; Antoine Abeilard, le compositeur d’Un plus une (2015) est bouleversé par la passion et Neuville, le hussard du Retour du héros (2018), un vrai imposteur. Mais Dujardin aime aussi les compositions plus discordantes. Le Georges du Daim est un cousin de Jacques Pora, le bon-à-rien de I Feel Good (2018) qui cultivait, lui, une autre obsession : trouver l’idée qui le rendrait riche…
Pour donner la réplique à Dujardin, Dupieux a mis dans le mille avec une Adèle Haenel simplement épatante. On savait, depuis En liberté ! (2018) qu’elle avait un vrai tempérament comique. Elle en use, dans Le daim, avec beaucoup de finesse en entraînant Denise sur la pente glissante d’une normalité en déroute.
Court mais parfaitement mené, Le daim est un sacré film sur une solitude terrible, une tristesse pathétique et une folie dangereuse.

LE DAIM Comédie dramatique (France – 1h17) de Quentin Dupieux avec Jean Dujardin, Adèle Haenel, Albert Delpy, Youssef Hadji, Julia Faure, Marie Bunel, Thomas Blanchard, Tom Hudson, Pierre Gommé, Laurent Nicolas. Dans les salles le 19 juin.

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