Malony, son éduc et sa juge
La Croisette du glamour et des paillettes a pris d’entrée un coup de réalité sur la tête! En présentant en ouverture du 68e festival de Cannes La tête haute d’Emmanuelle Bercot, Thierry Frémaux plonge d’emblée le festivalier dans l’univers éprouvant de la justice des mineurs. Le propos de la cinéaste française est tout simple: raconter le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, un gamin puis un adolescent qu’une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver…
Scénariste et réalisatrice, Emmanuelle Bercot a mené une longue enquête pour s’imprégner du travail des éducateurs et des juges des enfants. Le point de départ de l’aventure de La tête haute remonte à l’enfance d’Emmanuelle Bercot. Elle rendit en effet visite à un oncle éducateur dans un camp en Bretagne où il s’occupait de jeunes délinquants. Et la cinéaste se souvient de sa fascination pour le comportement d’adolescents rebelles à l’autorité et aux conventions. Pour approcher au plus près la réalité documentaire de son sujet, Emmanuelle Bercot passa du temps dans le milieu des éducateurs, rencontra un juge des enfants, assista à des audiences dans son cabinet et séjourna dans un centre d’éducation fermé…
En découvrant La tête haute, on mesure pleinement la dimension documentaire du film mais celui-ci est cependant loin d’être un documentaire au sens strict du terme. Parce qu’évidemment les personnages sont incarnés par des comédiens, parce que la cinéaste et son directeur de la photographie ont fait un important travail sur la lumière ou encore parce que la mise en scène joue subtilement sur une évolution des relations entre les personnages à travers les cadres. Petit à petit, les amorces se développent dans ces cadres et mettent en relief la communication entre Malony, la juge ou Yann l’éducateur… Plus encore, Emmanuelle Bercot intègre une dimension romanesque avec l’apparition, dans la dernière partie du film, du bébé de Malony. Un enfant qui va amener un (grand) gamin qui a manqué de tout, d’éducation, d’attention, d’amour à se retrouver lui-même en charge d’aimer et d’élever un petit…
Mais pour en arriver là, que de souffrance! Y compris pour le spectateur qui ressent un réel épuisement face une spirale sans fin qui semble impossible à enrayer tant il y a de violence, d’incompréhension, d’agressivité, de haine même dans le comportement de Malony…
L’ouverture de La tête haute est d’ailleurs exemplaire et impressionnante avec Malony, à l’âge de 6 ans, observant sa mère se débattant dans ses problèmes et ses contradictions, insultant la juge tandis que celle-ci va procéder à une ordonnance de placement provisoire… Tandis que le générique se déroule, on retrouve un Malony plus adolescent dans un rodéo automobile sauvage à bord, évidemment, d’une voiture volée… Et puis Emmanuelle Bercot va filmer une dérive sans issue où un gamin tombe, se relève, rechute, finit par aller dans des établissements fermés puis connaît la prison tandis que « sa » juge tente de combler les failles, les blessures, les manques d’une jeune existence placée sous le signe de l’absence complète d’estime de soi.
Avec La tête haute -un titre qui prend son sens dans les ultimes images du film- la cinéaste retrouve Catherine Deneuve avec laquelle elle avait réussi, naguère le beau Elle s’en va. Presque constamment « coincée » derrière son bureau de juge, Deneuve distille pourtant une émotion palpable. Sa juge incarne l’autorité mais la femme est (discrètement mais intensément) attentive et protectrice. Benoît Magimel est Yann, un éducateur qui s’investit totalement dans le cas Malony. Et l’on devine dans le jeu des regards entre la juge et l’éducateur, dans leur tutoiement aussi en privé, qu’il y a eu là aussi, bien des souffrances. Et puis il y a Sara Forestier qui vole presque la vedette à ses partenaires dans le rôle de Séverine, la mère totalement immature et paumée, sublime forcément sublime, de Malony. Elle passe du rire aux larmes, voire à des hurlements de bête blessée. Elle est formidable quand, rendant visite à son fils au parloir de la prison, elle refuse de lui donner son nouveau numéro de portable. Parce que, dit-elle, elle a rencontré quelqu’un et qu’elle ne veut pas qu’il sache qu’elle a des enfants… Enfin Rod Paradot, trouvé au terme d’un casting sauvage, dans un lycée professionnel de Stains, est un Malony présent dans quasiment tous les plans. Avec son visage pur, il est cependant très tête à claques. Jusqu’à ce que sa détresse butée le rende pathétique et qu’il s’élève dans une rencontre amoureuse avec une énigmatique et farouche fille aux cheveux courts qui lui donnera un bébé…
La tête haute est une oeuvre très forte où se confrontent la souffrance d’un gamin et les trésors d’engagement, d’abnégation, de dévouement et aussi de patience de ceux qui ont en charge ces mineurs perdus. On sort de là éprouvé, plein d’admiration et de beaucoup de questions.
LA TETE HAUTE Drame (France – 1h59) d’Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Rod Paradot, Sara Forestier, Diane Rouxel, Elizabeth Mazev, Anne Suarez. Dans les salles le 13 mai.