Au plus près des feux de l’enfer

Tom Blake (Dean-Charles Chapman) et Will Schofield (George MacKay) partent en mission. DR

Tom Blake (Dean-Charles Chapman)
et Will Schofield (George MacKay)
partent en mission. DR

Ce 6 avril 1917, une petit brume légère flotte sur un champ fleuri. En travelling arrière, on découvre deux soldats anglais se reposant au pied d’un arbre. D’un petit coup de pied, un sergent réveille Blake et lui ordonne de choisir un homme –ce sera son voisin Schofield- et de prendre son barda…
En quelques images, Sam Mendes plante le décor d’un jour quotidien de la Seconde Guerre mondiale. Blake se réjouit de lire une lettre où il apprend que Myrtle va avoir des chiots. C’est aussi la faim qui taraude constamment la troupe alors que Blake s’inquiète de sa permission annulée et que Schofield constate : « C’est pas facile de ne pas rentrer… »
Filant à travers les tranchées encombrées de soldats, Tom Blake et Will Schofield sont convoqués chez le général Erinmore. Une mission vraisemblablement impossible les attend. Alors que les communications sont coupées, les deux caporaux sont chargés de traverser, seuls, les lignes ennemies pour rejoindre d’abord le petit village d’Ecoust, dans le Pas de Calais puis le bois de Croisilles où est stationné le 2e Devon du général MacKenzie. Les troufions doivent lui remettre un message afin d’éviter que 1600 soldats britanniques, parmi lesquels se trouve le frère de Blake, donnent l’assaut et tombent dans un piège tendu par l’armée allemande…
Dans cette odyssée guerrière (dédiée à Alfred H. Mendes du 1er bataillon des Fusiliers du roi qui a raconté ses histoires au cinéaste), Mendes, en restant à hauteur d’homme, ne va plus quitter d’un pouce Blake et Schofield. Les voilà donc, sortant de la tranchée anglaise et s’avançant entre les rangs de barbelés, les chevaux éventrés, les chars renversés et les trous d’obus mouillés par la pluie où les rats, gros et gras, se délectent des cadavres des deux bords…

Colin Firth incarne le général Erinmore. DR

Colin Firth incarne le général Erinmore. DR

Superbe exemple de ce genre hautement cinématographique qu’est le film de guerre, 1917 est constamment palpitant parce que la mort guette partout. Pliés en deux, la baïonnette au canon, les deux soldats avancent tandis qu’on attend la rafale qui va les faucher. Mais le champ de bataille a été déserté par les Allemands. Ce qui ne veut pas dire que les troupes du Kaiser n’ont pas laissé derrière eux des pièges mortels… Tout cela, Mendes le rend palpable en étant au plus près de Blake et Schofield filmés en plan-séquence dans des travellings avant ou arrière ordonnancés de main de maître par Roger Deakins. Célèbre directeur de la photo anglais, Deakins, 70 ans, a fait l’image des plus grands comme Michael Radford, Martin Scorsese, Ron Howard, M. Night Shyamalan, Stephen Daldry, Denis Villeneuve et presque tous les films des frères Coen. 1917 est déjà sa quatrième collaboration avec Sam Mendes mais assurément sa plus spectaculaire. Car Deakins manie, ici, parfaitement le plan-séquence qui devient une véritable signature de ce drame de la Grande guerre. Gageons que les enseignants de cinéma se serviront largement de 1917 pour décrire les vertus du plan-séquence…
Dans l’écriture cinématographique, le plan-séquence, d’une durée de quelques dizaines de secondes à plusieurs minutes, permet une prise de vues unique se déroulant en plusieurs endroits d’un même lieu ou successivement en plusieurs lieux reliés les uns aux autres…

Bref moment de répit pour le caporal Blake. DR

Bref moment de répit
pour le caporal Blake. DR

Dès les années 20, le grand Murnau est le premier à utiliser le plan-séquence dans l’une des scènes célèbres de L’Aurore (1927). Bien d’autres confrères suivront au fil des années, employant magnifiquement le plan-séquence qui fera notamment la réputation d’œuvres mémorables. C’est le cas de Howard Hawks avec le plan d’ouverture de Scarface (1932), Lubitsch avec Ninotchka (1939), Hitchcock avec La corde (1948), Welles et la scène d’ouverture, avec son beau mouvement de grue, de La soif du mal (1958) ou encore la course dans les couloirs de l’hôtel Overlook du jeune Danny sur son tricycle filmée à la Steadicam par Kubrick dans Shining (1980)… Brian de Palma comme Andrei Tarkovski maîtrisaient largement le plan-séquence tout comme Tarantino, Haneke ou le Gaspar Noé de Irréversible (2002). En 2015, le cinéaste allemand Sebastian Schipper tournait Victoria en un seul plan-séquence, réellement réalisé en une seule prise longue de 134 minutes !
Mais, à la vision des tranchées de 1917, on ne peut s’empêcher de penser tout de suite aux Sentiers de la gloire (1957) dans lequel Kubrick, encore lui, filme, en travelling arrière, le colonel Dax (Kirk Douglas) remontant une tranchée et passant les soldats en revue avant l’attaque…
Si Roger Deakins a déposé sa patte sur 1917, on ne saurait sous-estimer le travail de mise en scène de Sam Mendes. On le connaît bien sûr pour ses deux James Bond, en l’occurrence le très rentable Skyfall (2012) et 007 Spectre (2015) mais il ne faut pas oublier que Mendes a débuté dans le cinéma avec American Beauty (1999), violente mise en pièces d’une famille américaine ordinaire frustrée et saisie par le stupre. Un conte cruel qui rafla cinq Oscars dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur !

Will Schofield erre dans les ruines d'Ecoust. DR

Will Schofield
erre dans les ruines d’Ecoust. DR

Dans 1917 (qui ne cherche pourtant pas à devenir un défi cinématographique), Mendes réussit à maintenir une tension constante jusque dans les séquences supposées paisibles. Il en va ainsi d’une traversée de souterrains ennemis abandonnés mais pourtant très périlleuse ou d’un lointain combat aérien qui aura des répercussions sinistres sur le duo Blake/Schofiled incarné respectivement par Dean-Charles Chapman, 22 ans, vu dans 18 épisodes de Game of Thrones et de George MacKay, 27 ans, remarqué dans Pride (2014), Captain Fantastic (2016) ou Le secret des Marrowbone (2017). Omniprésents à l’écran, ils croisent de grands acteurs anglais comme Colin Firth, Mark Strong, Andrew Scott Richard Madden, Benedict Cumberbatch dans de courtes mais solides silhouettes.
Nul héroïsme non plus chez ces deux soldats qui assument une mission, simplement parce que c’est la guerre et qu’ils sont malheureusement là pour la faire. D’ailleurs Schofield a troqué naguère, auprès d’un officier français, une médaille gagnée au combat contre une bouteille de vin. Quant à la mort, ici, elle n’est ni glorieuse, ni épique mais violente et rapide…
Enfin, s’il fallait une raison de plus d’aller voir 1917, c’est assurément cette parenthèse aux allures d’opéra wagnérien qu’est la traversée d’Ecoust par le caporal Schofield. Dans des ténèbres dont on imagine qu’elles pourraient être celles de l’enfer de Dante, le tommy avance entre de hautes façades défoncées sur lesquelles bougent les ombres épaisses des incendies alentour tandis que se glissent des formes ennemies qui font siffler les balles… Impressionnant !

1917 Drame (Grande-Bretagne – 1h59) de Sam Mendes avec George MacKay, Dean-Charles Chapman, Colin Firth, Andrew Scott, Mark Strong, Benedict Cumberbatch, Richard Madden, Adrian Scarborough, Claire Duburcq. Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs. Dans les salles le 15 janvier.

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