Lise ou les lourds silences d’une adolescente

Lise Bataille (Mélissa Guers) dans le box des accusés.

Lise Bataille (Mélissa Guers)
dans le box des accusés.

Non, le bracelet du titre n’est pas l’un de ces jolis colifichets fantaisie avec de brillants petits cailloux… Il s’agit bien d’un gros engin électronique accroché à la cheville et qu’on a tendance à cacher sous la jambe de son jeans… Ce bracelet, Lise Bataille le porte depuis deux ans. Un jour d’été, alors qu’elle passait des vacances sur une plage avec ses parents et son jeune frère Jules, la police est venue l’interpeller et elle est partie entre deux gendarmes. Sans manifester plus d’inquiétude ou de surprise que cela. Une attitude que l’avocate générale ne manquera pas de relever. Car Lise Bataille va être jugée devant une cour d’assises. On lui reproche d’avoir tué Flora, sa meilleure amie, de sept coups de couteau…
La fille au bracelet s’ouvre sur un plan plein de lumière estivale où une famille se détend sur un horizon ensoleillé. Et on se rendra compte, à la fin, que c’est l’unique plan du film –quasiment une image d’Epinal- où la famille Bataille est réunie dans un même cadre. Car de ce temps heureux mais furtif , on va vite basculer dans l’autopsie clinique d’un procès d’assises…
Le film de Stéphane Demoustier appartient de plein droit à ce genre cinématographique, le plus souvent hollywoodien, qu’est le film de procès, le trial film ou le courtroom drama comme disent les Américains. Des films majeurs ont marqué le genre comme ce modèle parfait d’analyse du fonctionnement d’un jury qu’est Douze hommes en colère (1957) de Sidney Lumet. Plus généralement, ces films permettent de réaliser le portrait d’un avocat (Le verdict de Lumet ou Autopsie d’un meurtre de Preminger), d’un officier perturbé (Des hommes d’honneur de Rob Reiner), d’interroger l’abolitionnisme (La vie de David Gale de Parker), de se pencher sur le nazisme (Music Box de Costa Gavras) ou sur le négationnisme avec Le procès du siècle de Mick Jackson …

Les parents (Roschdy Zem et Chiara Mastroianni) dans le prétoire.

Les parents (Roschdy Zem
et Chiara Mastroianni) dans le prétoire.

Remarquable film de prétoire qui ausculte, avec précision, le déroulement d’une audience d’assises, La fille au bracelet dépasse cependant cette dimension-là. A travers le personnage de Lise Bataille, le cinéaste questionne en effet l’invisible (et, ici, très large) fossé entre parents et enfants.
Car si Bruno Bataille, le père de Lise, est très attentif à la manière dont sa fille se prépare à affronter son procès (« Regarde les jurés, le juge, la partie civile. Tu seras constamment observée par des gens qui ne te veulent pas que du bien »), il mesure pourtant mal la manière dont sa fille a mené sa vie jusqu’au drame. Et la visite de Diego, qui se présente comme un ami de Lise, qui déboule, l’air de rien, chez eux, le trouble : « Il sort d’où, celui-là ? »
Alors, dans la précise crudité des débats et dans le dévoilement des éléments censés éclairer la cour, ce père tombe des nues. Lise est-elle « une fille facile » ? Quid de cette vidéo filmée avec un téléphone portable où l’on voit l’accusée administrer une fellation à un garçon ? A l’avocate générale qui lui demande si elle a des sentiments pour ce garçon, Lise, presqu’interloquée, répond : « Absolument pas. » Lorsque les experts viennent faire part de leurs constatations à propos de l’ADN de Lise retrouvée sur le corps de la victime, l’accusation croit tenir les preuves de sa culpabilité. C’était sans compter sur le rapport charnel qui avait réuni Lise et Flora. Pour le plaisir, juste entre amies… La plaidoirie de la défense posera la bonne question : « Que savons-nous des codes, des désirs, des fantasmes, des amitiés, des amours de nos enfants ? »

Anaïs Demoustier dans la robe de l'avocate générale.

Anaïs Demoustier
dans la robe de l’avocate générale.

Si La fille au bracelet, second long-métrage de Stéphane Demoustier après Terre battue en 2014, est volontiers fascinant, c’est aussi parce que la mise en scène est d’une impressionnante sobriété à l’intérieur du cube rouge profond du tribunal (le tournage a eu lieu à Nantes, dans le bâtiment construit par Jean Nouvel). « La caméra, précise le cinéaste, épouse le point de vue des parents. L’expérience qui est proposée au spectateur, c’est celle de vivre un procès. Comme le ferait un juré. Dès lors, je ne voulais pas créer de mouvements artificiels. C’eût été superflu car le procès se suffit à lui-même. Lors d’audiences auxquelles j’ai assisté, j’ai remarqué à quel point le récit d’un témoin pouvait être captivant. Le pari du film, c’était de restituer cela, cette expérience du procès. Cela engage l’image, les cadres, mais aussi le son. Car je voulais faire un film qui donne à voir par la parole mais qui impose aussi ses silences, d’autant plus notables qu’ils agissent en contraste avec le régime du procès qui fait constamment la part belle aux discours. »
Pour mener à bien son entreprise, Demoustier peut se reposer sur des comédiens que l’on sait brillants. On apprécie ainsi l’épaisseur tourmentée de Roschdy Zem que Despleschin avait également su capter récemment pour le commissaire de Roubaix, une lumière.
Chiara Mastroianni, on se dit toujours en la voyant à l’écran qu’elle est trop rare dans le cinéma français. La fille au bracelet semble la laisser un peu en marge jusqu’au moment où cette mère qui se dérobait jusque là, vient enfin à la barre pour témoigner. Et c’est alors aussi fort que bouleversant lorsqu’elle considère : « La vie doit reprendre ses droits mais c’est impossible ». Malicieuse et pétulante dans le récent Alice et le maire, Anaïs Demoustier, soeur cadette du réalisateur, occupe, ici, le « mauvais rôle », celui de l’accusation. Et cela aussi, elle le fait bien.

Une fille et sa mère mais se parlent-elles? Photos Matthieu Ponchel

Une fille et sa mère mais se parlent-elles?
Photos Matthieu Ponchel

Mais la révélation de La fille au bracelet, c’est évidemment Mélissa Guers dans le rôle de Lise Bataille. Pour sa première apparition à l’écran, cette jeune fille impose un jeu d’une puissante intensité et réussit à donner une force formidable à ses silences. Avec elle, son personnage devient, tour à tour, absent, vide ou opaque… Et il faudra du temps pour qu’elle affiche sa vulnérabilité.
Enfin, alors que bien des films ont du mal à se finir, Stéphane Demoustier a trouvé une chute aussi brillante qu’énigmatique. On ne vous la « divulgâche » pas ici. Allez voir La fille au bracelet. C’est du très bon cinéma.

LA FILLE AU BRACELET Drame (France – 1h36) de Stéphane Demoustier avec Mélissa Guers, Roschdy Zem, Chiara Mastroianni, Annie Mercier, Anaïs Demoustier, Carlo Ferrante, Pascal-Pierre Garbarini, Paul Aïssaoui-Cuvelier, Anne Paulicevich, Victoria Jadot, Mikaël Halimi, Léo Moreau. Dans les salles le 12 février.

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