Paulette gagnée par le virus de l’émancipation

Paulette Van Der Beck (Juliette Binoche) et Soeur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky).

Paulette Van Der Beck (Juliette Binoche)
et Soeur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky).

C’est du côté de Boersch en Alsace, entre Rosheim et Obernai, non loin de Molsheim, au sud-ouest de Strasbourg que se situe l’action de La bonne épouse… L’endroit est beau, entre remparts et vignobles, sous le signe du fameux Strudel aux pommes… Nous sommes à l’automne 1967 et on a déjà compris que le ton du nouveau film de Martin Provost est plutôt au clin d’œil… Il n’en reste pas moins que cette comédie se fonde sur une réalité sociale qui est celle des écoles ménagères qui fleurissaient dans les années 50-60.
L’Alsace, dans le domaine, était bien pourvue avec notamment la fameuse école ménagère de Carspach, à proximité d’Altkirch où l’on dispensait aux jeunes filles des cours de broderie, cuisine, couture, puériculture, économie domestique avec un peu de français et de maths… En 2015, la documentariste Nadège Buhler a d’ailleurs consacré un film au sujet et plus spécialement aux « petites Marthe »…
C’est donc à Boersch que Robert Van der Berck et son épouse Paulette dirigent une école ménagère où ils sont secondés par la fantasque Gilberte, sœur célibataire de Robert et Sœur Marie-Thérèse, énergique garde-chiourme qui ne passe rien aux pensionnaires de la maison et s’inquiète de voir une nouvelle venue rousse dans les rangs : « Elle va nous faire tourner les sauces » … Paulette a beau rétorquer : « Nous ne sommes plus au Moyen Age, Marie-Thérèse ! », elle ignore que, du côté de Nanterre, un certain Dany le Rouge est en train de penser une révolution des mœurs et de la société… Pour l’heure, c’est dans le dortoir que les jeunes filles, en chemise de nuit (le pyjama est proscrit), se révoltent parce qu’elles ne veulent ne plus faire pipi dans un pot de chambre mais bien aux toilettes…
Tenir son foyer et se plier au devoir conjugal sans moufter : c’est ce qu’enseigne avec ardeur une Paulette Van Der Beck en tailleur rose, pleine de son sujet et convaincue du bien-fondé de son enseignement… Elle martèle ainsi à Mesdemoiselles Des-Deux-Ponts, Fuchs, Herzog, Ziegler, Goetz, Wolff ou Schwartz quelques solides valeurs (voir ci-dessous) qui leur permettront de devenir des perles de ménagères et « un rêve pour leurs futurs époux »

Lorsque Paulette commence à se poser de (bonnes) questions...

Lorsque Paulette commence
à se poser de (bonnes) questions…

Mais c’est un drame familial qui, avant Mai 68, va bouleverser l’établissement. Le malheureux Bobby, parangon du mâle satisfait, s’étouffe avec un os de lapin chasseur pourtant parfaitement cuisiné par Gilberte et ses ouailles. En mettant le nez dans la comptabilité de son mari, Paulette tombe de haut. Robert a tout joué au tiercé… Ses certitudes vacillent quand elle se retrouve veuve et ruinée… Il lui reste à aller demander de l’aide à la Banque alsacienne de crédit. Où elle tombe sur André Grunvald qui fut son premier grand amour !
« L’éducation ménagère, soulignait l’historienne Rebecca Rogers, est le symbole d’un monde social où les femmes sont clairement inférieures aux hommes, vouées à la gestion intérieure, laissant au sexe fort la gestion de la chose publique. » Dans le grand vent de liberté de Mai 68, l’école ménagère Van der Beck devient une pétaudière tandis que Paulette ose enfiler un pantalon et tomber dans les bras d’André qui lui jure qu’il sait repasser, faire la cuisine et repriser lui-même ses chaussettes. La bonne épouse a jeté des principes éculés par-dessus les moulins et est en marche pour devenir une femme libre et émancipée, entraînant dans son sillage des élèves qui n’en espéraient pas tant !
En s’appuyant sur une bonne reconstitution d’époque (ah, le tourne-disque où Gilberte se passe Adamo et son Tombe la neige), Martin Provost passe à la moulinette d’un humour sympathique un temps où Guy Lux, l’animateur du Palmarès de la chanson sur la première chaîne, pouvait exiger que la speakerine Anne-Marie Peysson soit retirée de l’antenne parce qu’elle était enceinte et où Ménie Grégoire, à la radio, parlait aux filles, accrochées au transistor, de masturbation et de clitoris!

Gilberte (Yolande Moreau) et ses ouailles...

Gilberte (Yolande Moreau) et ses ouailles…

Découvert du grand public en 2006 avec l’excellent Séraphine (sur Séraphine de Senlis, magnifique peintre naïf incarnée par Yolande Moreau) qui obtiendra sept Césars, Martin Provost a souvent parlé de l’émancipation féminine dans ses films, que ce soit Où va la nuit (2011) sur une femme battue qui se révolte et tue son mari, Violette (2013) sur l’écrivaine Violette Leduc ou Sage femme (2017), histoire de transmission entre deux femmes… Avec La bonne épouse, il signe son film le plus engagé (même si la drôlerie des situations semble longtemps le cacher) sur des femmes rattrapées par un irrépressible besoin de liberté…
Pour porter cette aventure tout à la fois intime et habitée par un grand vent de folie, le cinéaste peut compter sur une Juliette Binoche qui maîtrise parfaitement un registre qui va du rire aux larmes. Sa Paulette est savoureuse comme l’était la bourgeoise hystérique du Ma Loute (2016) de Bruno Dumont. A ses côtés, Yolande Moreau (Gilberte) et Noémie Lvovsky (Sœur Marie-Thérèse) partagent un même gros grain de folie, la première plus poétique, la seconde plus barrée… Quant aux hommes dans ce film de femmes, ils sont touchants. Edouard Baer (André) en « homme nouveau » charmant et charmeur. François Berléand (Robby) en mari veule à souhait…

Paulette et André Grunwald  (Edouard Baer) courent sur les chaumes alsaciennes... Photos Carole Bethuel

Paulette et André Grunwald (Edouard Baer) courent sur les chaumes alsaciennes…
Photos Carole Bethuel

Pendant qu’il tournait La bonne épouse, Martin Provost s’est souvenu d’un passage des Lettres à un jeune poète de Rilke que son père lui avait offert lorsqu’il avait 16 ans: « Cette humanité qu’a mûrie la femme dans la douleur et dans l’humiliation verra le jour quand la femme aura fait tomber les chaînes de sa condition sociale. Et les hommes qui ne sentent pas venir ce jour seront surpris et vaincus. » Le texte date de 1904 et il est d’une certaine actualité…

LA BONNE EPOUSE Comédie (France – 1h49) de Martin Provost avec Juliette Binoche, Noémie Lvovsky, Yoland Moreau, Edouard Baer, François Berléand, Marie Zabukovec, Anamaria Vartolomei, Lili Taïeb, Pauline Briand, Armelle. Dans les salles le 11 mars.

SEPT PILIERS… (aimablement fournis par Paulette Van Der Beck)
Pilier n°1 :
La bonne épouse est avant tout la compagne de son mari, ce qui suppose oubli de soi, compréhension et bonne humeur.
Pilier n° 2 :
Une véritable maîtresse de maison se doit d’accomplir ses tâches quotidiennes, cuisine, repassage, raccommodage, ménage, dans une abnégation totale et sans jamais se plaindre.
Pilier n°3 :
Etre femme au foyer c’est savoir tenir ses comptes dans un souci d’économie constant, savoir évaluer sans caprice les besoins de chacun, sans jamais mettre en avant les siens. Vous êtes une trésorière, pas une dépensière.
Pilier n° 4 :
Etre femme au foyer c’est être la gardienne de l’hygiène corporelle et ménagère de toute la maisonnée.
Pilier n° 5 :
Première levée, dernière couchée, la bonne ménagère ne se laisse jamais aller, sa coquetterie, son amabilité, sa bonne tenue étant les garants de ce qu’on appelle “L’Esprit de famille“.
Pilier n°6 :
La bonne ménagère s’interdit toute consommation d’alcool, se devant de toujours montrer l’exemple, surtout à ses enfants. En revanche, elle saura fermer les yeux et se montrer conciliante si son époux se laissait aller à ce mauvais penchant, ce qui arrive si souvent.
Pilier n° 7 :
Un dernier devoir est à la bonne épouse ce que le travail est à l’homme, parfois une joie, souvent une contrainte, je veux parler du devoir conjugal. Avec le temps et en y mettant un peu de soi-même, on franchira cette épreuve aussi pénible et ingrate soit-elle. L’expérience vous apprendra qu’il en va de la bonne santé physique et morale de toute la famille.

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