Alice Guy, une cinéaste moderne à l’orée du 7e art

Alice Guy (debout, à côté de la caméra) en plein travail. DR

Alice Guy (debout, à côté de la caméra)
en plein travail. DR

Mais qui est donc Alice Guy ? Ce pourrait être le (mauvais ?) titre d’un petit polar… Mais c’est surtout l’objet d’un passionnant documentaire qui a la bonne idée de se pencher sur une femme, véritable pionnière à l’œuvre aux heures primitives et enthousiasmantes du cinéma.
Sur fond de cartes postales vintage, nous voilà transportés dans le Paris de 1895, celui où les frères Auguste et Louis Lumière vont révolutionner le monde avec leur Cinématographe. Si l’acte de naissance du 7e art porte la date du 28 décembre 1895 avec un « accouchement » mythique dans le Salon indien du Grand café sur le boulevard des Capucines, Alice Guy a, elle, la chance de découvrir les films des Lumière dès le mois de mars lors d’une projection privée dans les locaux de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. Ce jour-là, la toute jeune Alice (elle est née à Saint-Mandé le 1er juillet 1873), accompagne son patron Léon Gaumont. Et elle tombe instantanément sous le charme magique des images en mouvement… Si Gaumont, dans la foulée des Lumière, est surtout intéressé par la vente des appareils de projection de vues animées, Alice Guy, elle, imagine déjà se servir de ce médium pour raconter des histoires. Elle parvient à convaincre Léon Gaumont de la laisser tourner quelques essais… Il accède à sa demande à condition que cela ne nuise pas à son travail de sténo dans la compagnie à la marguerite. Bref, vous faites ça sur vos heures de loisirs !
C’est à cette jeune fille, artiste pleine d’allant, que la documentariste new-yorkaise Pamela B. Green a consacré plus de huit années de recherches pour arriver à ce Be Natural qui raconte tout bonnement l’histoire de la toute première femme cinéaste !

Sur le tournage de la vie et la passion de Jésus Christ. DR

Sur le tournage de la vie
et la passion de Jésus Christ. DR

D’emblée Pamela Green tend son micro à de multiples réalisateurs, acteurs, producteurs, enseignants, universitaires, chercheurs, conservateurs américains… Tous, dans leur très grande majorité (mais pas les Françaises Julie Delpy et Agnès Varda), avouent ignorer qui est cette Alice Guy que des interviews, menées notamment en 1964 par François Chalais, nous montrent petite dame aux cheveux blancs, rangs de perle et sourire malicieux qui glisse : « J’aurai voulu être actrice… » Elle ne connaît rien, avoue-t-elle, à la technique de la photo et du cinéma mais se mettra tant et si bien au parfum qu’elle signe, en 1896 à l’âge de 23 ans, La fée aux choux, son premier film de fiction long de 54 secondes qui la consacre première femme réalisatrice (elle se dira « directrice de prises de vues ») dans l’histoire du 7e art. Dans un (vrai) jardin, une fée se penche sur des choux immenses (en carton pâte) et en sort comme par magie des nouveau-nés gigotants qu’elle montre, ravie, à la caméra… On le savait, les bébés naissent dans les choux (ou les roses ?) et Alice Guy le confirme en obtenant un joli succès…
Dans ce film en forme d’enquête avec « filatures », recherches de parents oubliés, de photos perdues, de vieille cassette « cuite » au four pour « réveiller » ses images, de visage analysé par un pro de la morphologie pour savoir si la jeune femme sur les images du rare Kinora est bien Alice Guy, la réalisatrice de Ben Natural raconte une folle aventure, celle d’une Française qui s’en va gagner sa place dans le rude univers (le vol des scénarios est alors une pratique courante) de la production et de la réalisation de films, se hissant à la hauteur d’Edison ou de Méliès, révélant aussi, à ses côtés, des talents comme Zecca ou Feuillade…

Alice Guy, une artiste complète. DR

Alice Guy, une artiste complète. DR

Le titre du documentaire fait référence au grand panneau qu’avait affiché Alice Guy (devenue Guy-Blaché à la suite de son mariage en 1907 avec Herbert Blaché) sur les plateaux de tournage de son studio : « Soyez naturels ! » Une injonction (« C’est tout ce que je leur demandais » dira-t-elle) pour les comédiens à rester dans la sobriété dans cette époque du muet où le jeu était le plus souvent (très) appuyé…
Pamela Green montre aussi l’apport d’Alice Guy à l’art cinématographique, au-delà même de la fiction, dans le domaine de l’écriture, de la coloration ou encore du son synchrone…  Elle est aussi productrice avec la Solax Film Co, dont les studios sont installés à Fort Lee (New Jersey), qui va devenir l’une des plus grandes maisons de production des USA avant l ‘émergence d’Hollywood. Plus encore, au long de sa carrière française comme américaine, les films d’Alice Guy-Blaché –qui se comptent par plusieurs centaines- constituent fréquemment de petites révolutions. Si, en 1898-99, les 25 épisodes de la vie et de la Passion de Jésus Christ apparaît comme le premier péplum de l’histoire, d’autres œuvres donnent une image très féministe des femmes tout en donnant aux comédiennes des personnages actifs et aventureux. Dans Les résultats du féminisme (1906), on voit des femmes fumer le cigare tandis que les maris font la vaisselle. Dans Madame a des envies (1907), une femme enceinte sirote avec bonheur de l’absinthe ! Tandis qu’Une femme collante (1907) est joyeusement grivois. Dans A House Divided (1913), un couple séparé vit sous le même toit et communique par petits mots manuscrits… Et puis A Fool and his Money (1912) est le premier film entièrement interprété par des acteurs afro-américains…

Des films où les femmes ont le beau rôle... DR

Des films où les femmes ont le beau rôle… DR

En 1920, Tarnished Reputations sera le dernier film américain d’Alice Guy dont on perd un peu la trace après 1922… Pamela Green a heureusement la chance d’avoir des images de Simone Blaché, la fille d’Alice, qui raconte une mère « généreuse, énergique, curieuse des choses scientifiques et littéraires, avec une passion contagieuse pour la vie… »
Les historiens du cinéma, y compris des vedettes comme Georges Sadoul, mettront bien du temps à rendre sa juste place à une cinéaste qui disparaitra à l’âge de 94 ans aux Etats-Unis sans avoir pu rassembler des copies de ses films, ni faire paraître ses mémoires… Une artiste moderne qui dira : « Il n’y a rien dans la production d’un film qu’un homme ne saurait mieux faire qu’une femme »

BE NATURAL – L’HISTOIRE CACHEE D’ALICE GUY-BLACHE Documentaire (USA – 1h42) de Pamela B. Green. Racontée par Jodie Foster. Sortie prévue dans les salles le 18 mars. Donc prochainement…

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