Tordues valses de Vienne

Les Montlibert (Benjamin Biolay et Karin Viard), un couple de la communauté française de Vienne. DR

Les Montlibert (Benjamin Biolay et Karin Viard),
un couple de la communauté française
de Vienne. DR

A la façon dont Eve Montlibert cloue le bec à sa mère, on se dit d’emblée que cette femme-là ne gagne pas forcément à être fréquentée. C’est vrai que la maman d’Evelyne (« Non, maman, c’est Eve ») est plutôt du genre peuple. Mais de là, à lui faire comprendre, tout en la poussant dans l’avion du retour, qu’elle n’est qu’une grosse plouc, il n’y a qu’un pas.
Eh oui, dans la belle capitale viennoise, avec son Ring, ses calèches et ses Apfelstrudel, les Montlibert sont la coqueluche de la petite communauté française. Car Henri Montlibert n’est autre que le brillant et réputé chef d’orchestre du Konzerthaus
Et on comprend alors sans peine que la première question de la journaliste venue interviewer Eve pour un fanzine, soit : « Comment faites-vous pour gérer tant de bonheur ? » Entre ses amies qui cancanent (Pascale Arbillot est brillante dans le genre tête à claques) ou délirent de joie devant les gougères au fromage de la Konditorei du coin de la rue, son Henri qui lui donne du « ma diva » et les soirées entre soi où l’on débat de la viande française et des qualités respectives de la Salers ou de l’Aubrac, Eve n’en peut plus de rayonner… Mais cette lumineuse félicité va prendre un sévère coup de moins bien. Car, un soir où ses amis sont à la maison, Eve surprend Henri au téléphone… Et le doute s’installe rapidement dans son esprit. Elle franchit alors le pas, trouve le mot de passe de la messagerie de son mari et se met à fouiller. Il ne lui faut guère de temps pour découvrir des mails énamourés ou obscènes d’une certaine Tina Brunner.

Eve et ses amies... DR

Eve et ses amies… DR

Après la sortie de La vie d’artiste, son premier long-métrage en 2007, la productrice Christine Gozlan avait demandé à Marc Fitoussi s’il était intéressé par l’idée d’adapter un roman : « À ce stade, j’avais d’abord envie d’écrire d’autres histoires originales, mais j’avais dit à Christine que si je me lançais dans une adaptation, ce serait plutôt dans le domaine du polar, notamment avec une auteure que j’aimais beaucoup, Patricia Highsmith. Mais tous les droits de Highsmith étant détenus par Sydney Pollack… » Poursuivant ses recherches, la productrice a déniché Trahie, un polar suédois de Karin Alvtegen que le cinéaste adapte, librement, transposant ici l’action du roman de Stockholm à Vienne et y ajoutant le microcosme de la communauté d’expatriés français dont le côté « notables » l’attirait à cause de son ambiance « vase clos ».
Quant on évoque la bourgeoisie et ses petits mystères bien gardés, on a tôt fait d’appeler l’éminent Claude Chabrol à la rescousse. On pourrait convoquer aussi le cher Hitchcock. Mais contentons-nous de l’auteur des Noces rouges ou de La cérémonie qui a posé sa marque sur ce sous-genre longtemps bien représenté dans le cinéma français qu’est le drame « bourgeois de province ». Bien sûr, dans Les apparences, l’histoire a pour cadre une capitale huppée et un milieu culturel haut de gamme mais cela ne change rien aux petites turpitudes… Car Eve Montlibert, plutôt que d’exploser de colère et de dépit, va organiser un piège qu’elle pense pouvoir maîtriser et qui devrait lui ramener le volage Henri. Mais le détournement d’un mail de Tina à son amant envoyé à tous les parents d’élèves du Lycée français de Vienne va provoquer des tourmentes en cascade…

Jonas (Lucas Englander) et Eve se croisent... DR

Jonas (Lucas Englander) et Eve se croisent… DR

D’autant que, pour apaiser sa rancœur, Eve va boire un verre dans un café. Où elle est abordée par Jonas, un jeune Autrichien avec lequel elle va finir la nuit. Las, Jonas, amoureux transi, est gravement barré. Accro au foulard oublié par Eve, il n’aura de cesse de vouloir partager sa flamme avec une Eve qui ne sait plus comment se débarrasser de cet importun dont elle a remarqué les chaussettes trouées mais pas le bracelet électronique à la cheville…
Si l’on s’amuse un peu avec la description, volontiers caricaturale, des « expats » français de Vienne, on prend longtemps son mal en patience avant de voir ce drame conjugal prendre réellement du rythme. D’autant que le scénario s’ingénie à accumuler des péripéties de plus en plus surprenantes. Ainsi, mais on n’en dira pas plus, Tina Brunner n’étant, par exemple, pas celle que l’on croyait…
C’est grâce au personnage d’Eve que Les apparences va finalement décoller et faire valser quelques bonnes séquences un rien perverses et des dialogues grinçants sur le couple, le paraître… « Le prestige, les apparences, il n’y a que ça qui t’intéresse ? » lui lance Henri. Karin Viard excelle dans le rôle. Elle est tour à tour parfaitement agaçante en « bourgeoise », pathétique en femme trompée, inquiétante en manipulatrice et, in fine, quasiment hallucinée…

Henri Montlibert, un chef réputé. DR

Henri Montlibert, un chef réputé. DR

Bon directeur d’acteurs, Fitoussi a déjà mis en scène Sandrine Kiberlain et Emilie Dequenne dans La vie d’artiste, Isabelle Huppert dans Copacabana (2010) et La ritournelle (2014) et à nouveau Sandrine Kiberlain, cette fois avec Audrey Lamy, dans Pauline détective (2012). Dans Les apparences, c’est Karin Viard qui tient clairement la baraque. Même s’il ne faut pas oublier, loin s’en faut, un Benjamin Biolay parfait en chef d’orchestre presque mutique qui cache ses secrets sous un masque élégant et lisse. Enfin, dans le rôle de Tina Brunner, on aime beaucoup Laetitia Dosch, délicieusement fêlée dans Gaspard va au mariage (2018) et, ici, dans un registre plus « criminel »…  Alors, finalement, Les apparences parvient à divertir.

LES APPARENCES Comédie dramatique (France – 1h50) de Marc Fitoussi avec Karin Viard, Benjamin Biolay, Lucas Englander, Laetitia Dosch, Pascale Arbillot, Evelyne Buyle, Louise Coldefy, Philippe Dusseau, Alexandra Schmidt, Laetitia Spigarelli, Hélène de Saint-Père. Dans les salles le 23 septembre.

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