UN CINEASTE MELANCOMIQUE EN PERPETUEL MOUVEMENT

De Broca« Peu de réalisateurs ont autant réussi à mettre de la grandeur dans la légèreté. » C’est Cédric Klapisch qui le dit dans la préface d’un beau livre sur Philippe de Broca, le metteur en scène de Ce qui nous lie ajoutant : « Peu de réalisateurs ont à ce point-là tordu le cou à la réalité pour y accueillir l’incongru, le saugrenu, l’hurluberlu, comme pour rappeler que ces choses gênantes pour les gens sérieux font aussi partie de la réalité… »
On n’est évidemment pas surpris de lire, en avant-propos, Jean-Paul Belmondo évoquer ce grand frère –ils sont nés tous deux en 1933- qui lui confia le rôle titre de Cartouche, sa première grosse production et son premier film en couleurs…
« Le rire est la meilleure défense contre les drames de la vie » professait Philippe de Broca, cinéaste à l’humour gracieux et léger. Dans un ouvrage nourri de documents inédits et largement illustré, Philippe Sichler et Laurent Benyayer partent à la rencontre d’un artiste dont les comédies légendaires –de Cartouche à Tendre poulet en passant par Le roi de cœur ou Le cavaleur- font partie intégrante du patrimoine cinématographique français…
Né le 15 mars 1933 à Paris dans une famille de la petite noblesse, Philippe Claude Alex de Broca aimait préciser que son titre remontait aux guerres de religion qui ravagèrent le sud-ouest de la France. « Parmi mes ancêtres, disait-il, il n’y a que des généraux, des amiraux, des juges, des prêtres. Ce n’est pas ce que j’apprécie et, pourtant, j’aime d’où je viens. »
Dès l’adolescence, De Broca se rêve metteur en scène et se voit diriger « des séquences baroques, brumeuses, lyriques ». Pour ce faire, il passera par l’Ecole de Vaugirard et, diplômé, il songe à intégrer l’IDHEC, la future Fémis. Mais, cette année 1953, il n’y a pas de concours d’entrée. En qualité d’opérateur 16mm, il accompagne alors une expédition de camions Berliet dans une traversée nord-sud de l’Afrique. Au Tchad, il quitte le groupe et va parcourir, un an durant, le continent. A son retour, il effectue son service militaire au Service cinématographique des armées à Baden-Baden puis en Algérie.
Au printemps 1957, enfin libéré, il en sort définitivement antimilitariste et bien décidé à ne plus voir la vie que sous son côté comique, sain antidote à la barbarie humaine. A Paris, il trouve des stages d’assistant-stagiaire à la mise en scène, notamment sur Tous peuvent me tuer et Charmants garçons d’Henri Decoin. « Je ne gagnais pas ma vie mais j’apprenais mon métier. » Cette fois assistant de Chabrol, il travaille sur Les cousins et A double tour où il rencontre Belmondo. Un dernier assistanat sur Les 400 coups de Truffaut et voilà que Chabrol lui donne les moyens de passer à la réalisation avec le léger et drôle Les jeux de l’amour
« Le mouvement, dit De Broca, est peut-être la caractéristique de ma mise en scène et de ma direction d’acteurs. Je suis l’homme pressé. J’aime les choses rapides, j’aime tourner vite. Une bicyclette a besoin d’avancer pour rester droite. L’arrêt, c’est la mort. C’est ma philosophie : la vie n’existe que par le mouvement. » Il illustrera brillamment ces mots avec Cartouche (1961), son premier gros budget porté par un Bebel virevoltant. Le cinéaste et le comédien s’entendent comme larrons en foire. « Nous étions des enfants qui rêvaient de s’amuser » dit De Broca dont le film de cape et d’épée connaît le succès avec 3,6 millions d’entrées.
Aventurier, marin, botaniste, passionné d’Histoire et d’astronomie, amoureux des ailleurs exotiques qui voulait que la vie soit « croquante et imprévisible », l’élégant Philippe de Broca a signé, entre 1959 et 2003, 31 longs-métrages qui sont autant d’aventures et d’épopées, intimes ou spectaculaires.
Sichler et Benyayer entraînent le lecteur dans les coulisses de la création et dévoilent les mille et un visages d’un homme complexe, condamné à faire rire pour connaître le succès tout en offrant un regard documenté et passionnant sur une œuvre à la première personne, sur un cinéma de divertissement d’auteur, reflet d’une époque fastueuse du cinéma français.
Le box office met aussi en lumière la belle complicité entre De Broca et Belmondo puisque les cinq plus gros succès du cinéaste sont L’homme de Rio (1964 – 4,8 millions d’entrées), Cartouche, Le magnifique (1973 – 2,8 millions), Les tribulations d’un Chinois en Chine (1965 – 2,7 millions) et L’incorrigible (1975 – 2,5 millions).
S’il a dirigé la crème des comédiens français et les plus belles actrices (ah, que Marthe Keller est pétillante dans Le diable par la queue !) l’auteur De Broca demeure relativement méconnu. Peu d’écrits ont analysé ses films comme un ensemble cohérent et singulier –c’est chose faite ici- où motifs thématiques et personnages récurrents tissent une trame particulière.
Philippe de Broca, disparu en novembre 2004 (sa tombe à Belle-Île-en-Mer porte l’épitaphe « J’ai assez ri ») était, en quelque sorte, un artiste mélancomique dont les films sonnent encore juste à l’oreille de bon nombre de cinéastes français contemporains. Et d’ailleurs… Au début des années 80, Steven Spielberg ne cachait pas son admiration pour L’Homme de Rio avant d’entreprendre Les Aventuriers de l’arche perdue.

PHILIPPE DE BROCA UN MONSIEUR DE COMEDIE. Philippe Sichler et Laurent Benyayer. Néva éditions. 335 pages, 69 euros. Le livre contient un dvd du film Les 1001 nuits version tv (4 épisodes de 52 minutes). En librairie le 26 novembre.

Philippe de Broca sur le tournage de "Cartouche" avec Jean-Paul Belmondo. DR

Philippe de Broca sur le tournage de « Cartouche » avec Jean-Paul Belmondo. DR

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