Et Val rendit son tablier…
« Tu es beau! Avec tes grands yeux bleus, on dirait le prince d’Angleterre… » Une déclaration qui pourrait être celle d’une mère à son enfant chéri… Mais ce n’est que celle, pleine de réelle tendresse, de Val, l’employée de maison, à Fabinho, le fils de famille… Nous sommes dans une belle maison avec piscine de Morumbi, l’un des quartiers riches de Sao Paulo au Brésil. C’est là que travaille, jour après jour, et pourquoi pas aussi la nuit puisqu’elle dort sur place, Val, une femme d’une bonne quarantaine d’années. Elle est au service de José Carlos et de Barbara, ses patrons et elle chouchoute tout particulièrement le frisé Fabinho qu’elle élève depuis son plus jeune âge. Val est plus qu’heureuse. Restée plus de dix années sans voir sa fille Jessica, elle a appris que celle-ci va venir la rejoindre à Sao Paulo. Mais cette bonne nouvelle va cependant modifier en profondeur l’existence de Val…
Avec Une seconde mère, la cinéaste brésilienne Anna Muylaert signe son quatrième long-métrage et donne une oeuvre qui pourrait avoir des allures de conte de fées mais qui est, en réalité, une comédie sociale. Au départ, le scénario du film tournait autour d’une intrigue sur les relations entre des employeurs et une nounou. A l’heure où le président Lula, issu du Parti des travailleurs, accédait à la présidence du Brésil, la cinéaste voulut rendre compte des changements (notamment en matière de droit du travail) et des débats intervenus dans la société brésilienne. Et c’est ainsi que Jessica, la fille de Val, de personnage gentil et un peu malchanceux, est devenue une personnalité suffisamment forte et noble pour affronter les conventions sociales en vigueur et ainsi tourner le dos à un passé colonial…
Dans Une seconde mère, en suivant le quotidien de Val, la cinéaste décrit, à petites touches souvent pleines d’humour, les règles qui gouvernent les relations affectives et sociales dans la haute bourgeoisie pauliste. Si elle a le temps de prendre le soleil en étendant le linge sur la terrasse, Val se fait reprendre sèchement quand elle n’utilise pas le bon service à café dans une réception… Ses moments de bonheur, elle les partage avec un Fabinho pour lequel elle a toutes les faiblesses, y compris de lui montrer la poubelle où sa mère a jeté sa réserve de shit…
Et puis arrive cette Jessica, devenue si adulte, que sa mère manque de ne pas la reconnaître à l’aéroport. Une fille qui va vite s’offusquer de voir sa mère ramener ici un verre d’eau, là de la crème glacée comme si ses patrons claquaient simplement des doigts. Pire, Jessica va prendre Val à contre-pied. Lorsque José Carlos lui fait visiter la maison et lui montre la chambre d’amis, Jessica suggère: « Alors, je dors ici? » Val avait prévu de faire dormir Jessica sur un matelas au sol dans sa petite chambre de bonne étouffante de chaleur… Lorsque José Carlos invite Jessica à sa table et que la jeune femme, le déjeuner terminé, propose de débarrasser, José Carlos lance: « Non, Val va le faire », Jessica ne dira rien, goûtant alors sans vergogne le charme d’une vie bourgeoise. Si Jessica est venue à Sao Paulo, c’est en fait pour entreprendre des études d’architecture, ce qui ne manque pas de faire discrètement sourire les patrons de sa mère… Et Jessica enfonce carrément le clou en expliquant que l’architecture est un vecteur de changement social. A quoi, Barbara, avec une moue, répond: « Comme quoi, le pays est vraiment en train de changer… »
Grâce à la présence magnifique de Regina Casé, immense star au Brésil, dans le personnage de l’exubérante et attachante Val, Anna Muylaert n’a aucune peine à nous entrer dans cette chronique d’une domestique exploitée mais qui accepte sans broncher son sort. Jusqu’à ce que sa fille vienne faire bouger les lignes. Val aura beau préciser les règles (« Quand ils nous proposent quelque chose, c’est par politesse. C’est parce qu’ils savent que tu vas dire non »), Jessica finira par dire: « Mais comment tu peux supporter d’être traitée en citoyenne de seconde classe? »
Autour d’une cuisine et d’une piscine, espaces délimités par des frontières invisibles, autour d’un couloir qui sépare la chambre des patrons et celle des amis, la cinéaste a construit un film finement composé qui fait évidemment songer à La règle du jeu de Renoir pour la référence au monde des patrons et celui des domestiques et un peu aussi au Théorème de Pasolini pour les relations étranges entre José Carlos et Jessica… Tandis que Jessica avance vers la réussite sociale tout en se libérant d’un lourd secret, on fait, avec un vrai bonheur, un bout de chemin avec Val qui, remise à sa place, gagnera, en échange, une fragile mais nouvelle et enthousiasmante liberté.
UNE SECONDE MERE Comédie dramatique (Brésil – 1h52) d’Anna Muylaert avec Regina Casé, Michel Joelsas, Camilla Mardila, Karine Teles, Lourenço Mutarelli, Helena Albergaria. Dans les salles le 24 juin.