Le désir entre l’extase et l’attente

Hélène Auguste (Laetitia Dosch). Photos Julien Roche

Hélène Auguste (Laetitia Dosch).
Photos Julien Roche

C’est une histoire simple. Celle d’une femme qui met de côté tout ce qui, dans son existence, n’a pas trait à la passion qui la rattache à un homme. Cet homme, c’est Alexandre et Hélène l’attend. Elle attend l’instant où son téléphone sonne, l’instant où la voix dit : « On se voit ». Alors, à cet instant, la vie de la femme s’accélère. Pour elle qui aspirait au désoeuvrement complet, désormais toutes les minutes comptent. Pour choisir ses vêtements (jamais les mêmes !), parfaire sa tenue, ranger l’appartement, sortir des boissons, préparer le lit… Pour l’instant suprême où l’homme arrive. Où elle entend sa voiture dans le jardin, où il sonne à la porte et où ils se retrouvent, avec un minimum de mots prononcés, dans un échange charnel intense…
Cette femme, nous la croisons aux premières images de Passion simple, filmée superbement par Danielle Arbid. La caméra portée approche Hélène au plus près, la saisit dans de très gros plans éclairés par son sourire limpide. Et nous n’allons plus la quitter. Car le cinquième film de la cinéaste franco-libanaise (après notamment Dans les champs de bataille en 2004 et Un homme perdu en 2007 qui décrivait déjà une relation charnelle torride) se concentre complètement sous la forme d’une observation quasi entomologique, sur le portrait d’une femme entièrement vouée à une exquise extase au péril de l’insoutenable attente… Car, avant l’attendu « On se voit », se multiplie les questions, ainsi « Qu’est-ce qui m’assure que ce n’est pas la dernière fois ? »

Alexandre et Hélène après l'amour... DR

Alexandre et Hélène après l’amour… DR

En 1992, Annie Ernaux écrit Passion simple, un court texte de 77 pages dans la collection folio (n°2545) qui, à peine sorti, déclenche une violente polémique dans les journaux (on imagine, avec des frissons, ce qui se serait passé avec les réseaux sociaux d’aujourd’hui) et devient très vite, avec rapidement plus de 200.000 lecteurs(trices) un fait de société. Ce qui fait scandale ou, à l’inverse, est reçu comme une libération, c’est le récit sans culpabilité et sans honte, sans plainte et sans lyrisme non plus, par une femme de sa passion sexuelle (mais pas seulement) pour un homme.
Le film de Danielle Arbid provoquera-t-il autant de débats ? Peut-être, surtout si on estime que le personnage d’Hélène est complètement soumis à un homme et que cette dépendance n’est pas très féministe. Mais ce serait aussi faire fi de la réalité d’une passion avec son caractère inexplicable, fou, absolu et de tout ce à quoi elle donne accès…
Avec Passion simple, la cinéaste entraîne le spectateur d’un extrême à un autre, dans un grand écart entre les tourbillons de l’extase et de la petite mort et les tourments presque intolérables de l’absence où, soudain, la vie d’Hélène se résume à prendre le métro au risque de rater sa station, de faire des courses dans un supermarché avec la tête ailleurs, de s’occuper de son fils mais de rater son match de foot, toujours l’esprit occupé par son unique obsession. Ailleurs, en l’occurrence dans l’attente d’Alexandre, cet homme dont elle ne sait rien. Il est russe, peut-être homme d’affaires, peut-être espion. Il est marié, aime les costumes Dior, les grosses voitures qu’il conduit vite, les séries télé et… Poutine. Alexandre qui lui interdit de lui téléphoner ou de lui écrire mais auquel elle glisse, dans la main, un billet plié en quatre avec « Je pense à toi tous les jours »…

Lorsqu'Alexandre sonne...

Lorsqu’Alexandre sonne…

Passion simple est construit comme un collage de fragments, de souvenirs, de sensations, de gestes, de pensées (en voix off), de flash-back… Mais rien de tragique, ici, Danielle Arbid a le souci de composer un film solaire où l’essentiel, ce sont justement les parenthèses heureuses dans l’accomplissement charnel (les diverses scènes de sexe ne sont jamais obscènes) et non point les vides entre ces parenthèses. Si la chose était déjà évoquée dans le livre, la cinéaste utilise astucieusement une série de chansons pour habiller et soutenir ces moments de grâce et de plaisir entre Hélène et Alexandre. Elle a ainsi recours au nostalgique La La La distillé par la voix grave et cassée d’Ingrid Caven, le  I Want You de Bob Dylan, The Stranger Song de Léonard Cohen ou Only You des Flying Pickets qui dit bien : All I Needed Was The Love You Gave…
Pour porter son propos, Danielle Arbid a eu l’excellente idée de confier le rôle d’Hélène à Laetitia Dosch. On avait déjà remarqué la comédienne dans de nombreux films depuis La bataille de Solférino (2013) puis La belle saison (2015). Plus récemment elle fut la fausse petite amie dans Gaspard va au mariage (2018), la maîtresse un peu barrée d’un chef d’orchestre dans Les apparences (2020) ou la bonne copine de Sara Forestier dans le savoureux Playlist (2021).

Hélène dans l'attente... Photo Magali Bragard

Hélène dans l’attente…
Photo Magali Bragard

Celle qui aurait pu être une interprète parfaite du cinéma de François Truffaut est épatante, rayonnante de bout en bout, exaltée lorsqu’elle goûte les voluptés du désir dans les bras tatoués d’Alexandre ou bouleversante lorsqu’elle se rend, pour quelques heures à Moscou, découvrir la rue Tverskaïa et humer l’air que respirait son amant ou encore lorsqu’elle pleure dans une église de Florence. Et que dire de ces minutes où, retrouvant longtemps après , l’homme qui rythmait sa vie, elle l’entend enfin murmurer à son oreille : « Mon amour ». Alors même qu’elle sait que l’histoire est finie.
Danielle Arbid boucle alors la boucle dans une séquence presque identique à celle qui ouvrait Passion simple. Dans la nuit de Paris, la caméra glisse autour d’Hélène dont le visage en gros plan est baigné de larmes…
Car on ne se remet pas aisément d’une telle passion. « A partir du mois de septembre, dit-elle, l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. Tout de lui m’a été précieux, ses yeux, sa bouche, son sexe, ses souvenirs d’enfant, sa voix… »

PASSION SIMPLE Drame (France – 1h39) de Danielle Arbid avec Laetitia Dosch, Sergei Polunin, Lou-Teymour Thion, Caroline Ducey, Gregoire Colin, Slimane Dazi. Dans les salles le 11 août.

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