DES CINEASTES, UN CAUCHEMAR ET DES PHOTOS DE PLATEAU

PialatFILMS.- C’était en 1987 sur la Croisette. Et Maurice Pialat reçoit la Palme d’or attribuée par un jury présidé par Yves Montand à Sous le soleil de Satan. Sous les sifflets d’une partie du public de l’auditorium Lumière (qui aurait voulu voir le prix adressé aux Ailes du désir de Wim Wenders) il monte sur la scène et rapidement, le bras tendu, le poing serré, il lâche : « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. » Pourtant, dans les années 80, le public est bien au rendez-vous de Pialat pour des films comme Loulou (1980), A nos amours (1983) ou Police (1985) précédant Sous le soleil de Satan qui réunira 815 000 spectateurs en France. Un score que toutes les Palmes d’or cannoises n’ont pas atteint…
Maurice Pialat (1925-2003) a fait onze films, et un enfant. A propos du geste cannois, Jérôme Momcilovic dit : « Ce n’est pas le poing qu’il faut regarder, c’est la main. » Avant les films, Pialat avait commencé par la peinture, sur les conseils d’un oncle qui lui trouvait un don. Il ne viendra au cinéma qu’en 1968, à l’âge de 43 ans, avec L’enfance nue.
Pour l’auteur, critique de cinéma et déjà auteur chez Capricci, d’ouvrages sur Arnold Schwarzenegger et Chantal Ackerman (un superbe grand écart !), le cinéaste a fait des films parce que la vie ne donne à voir qu’une seule fois : des films pour regretter. Les yeux font mal, mais c’est la seule consolation. Qu’est-ce que c’était que cette main ? Qu’est-ce que c’était que ces yeux ?
MAURICE PIALAT LA MAIN, LES YEUX. Jérôme Momcilovic. Editions Capricci. 128 pages. 13,50 euros. En librairie le 28 octobre.
Big GoodbyeCHINATOWN.- On avait découvert Sam Wasson en 2012 avec le remarquable 5e avenue, 5 heures du matin sur la genèse d’un film-culte, en l’occurrence Diamants sur canapé. On retrouve ce romancier américain diplômé de cinéma avec un nouvel ouvrage qui s’ouvre sur la phrase « Sharon Tate ressemblait à la Californie. » Dans The Big Goodbye, entre roman noir et enquête journalistique, Wasson se penche sur le mythique Chinatown (1974), révèlant, pour la première fois, l’incroyable genèse de ce projet avec des personnages hauts en couleurs, sur fond de mutation spectaculaire des studios hollywoodiens.
On croise là Jack Nicholson qui, avec le détective Gittes, trouve l’un des rôles les plus  marquants de sa carrière ; Roman Polanski, alors au sommet de sa gloire mais hanté par la mort dévastatrice de sa femme Sharon Tate. Mais les portraits du producteur Robert Evans ou du scénariste Robert Towne sont remarquables aussi. Avec Los Angeles, John Huston, Faye Dunaway, le grand Hollywood est au rendez-vous du récit !
Après des années d’investigations, Wasson dévoile, avec passion, les coulisses de ce chef-d’œuvre qui appartient pleinement à la mythologie hollywoodienne…
« Chinatown, dit son scénariste, était un état d’esprit. (…) On rêve qu’on est au paradis et on se réveille dans l’obscurité : ça, c’est Chinatown. On pense avoir tout compris et on se rend compte qu’on est mort : ça, c’est Chinatown. »
THE BIG GOODBYE. Sam Wasson. Editions Carlotta. 364 pages. 21,99 euros. Déjà en librairie.
KiarostamiAUTEUR.- Pour Marjane Satrapi, sa compatriote, auteur de bandes dessinées et cinéaste, Abbas Kiarostami « a ouvert la voie à toute une génération d’artistes iraniens. Nous lui sommes tous redevables. » Et la comédienne Golshifteh Farahani d’ajouter : « A lui seul, il a changé l’image de l’Iran ».
Autour de l’œuvre de ce créateur majeur, visionnaire et espiègle, ont lieu différents événements (exposition au Centre Pompidou, rétrospective dans les salles dans toute la France, sorties en vidéo…)
Somme d’entretiens inédits, ce livre illustré fait partie du voyage au cœur des créations de l’artiste. Il rassemble pour la première fois des entretiens avec Abbas Kiarostami (1940-2016) menés par le critique de cinéma Godfrey Cheshire dans les années 1990. Ces entretiens portent sur la plupart des films réalisés par Kiarostami au début de sa carrière, rarement montrés jusqu’à leur récente restauration, ainsi que sur les chefs-d’œuvre qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier, de la trilogie de Koker (Où est la maison de mon ami ?, Et la vie continue, Au travers des oliviers) et Close-Up jusqu’au Goût de la cerise et Le Vent nous emportera. In fine, une leçon de cinéma à part entière !
UN CINÉMA DE QUESTIONS – CONVERSATIONS AVEC ABBAS KIAROSTAMI. Godfrey Cheshire (traduction de Cyril Béghin). Editions Carlotta. 176 pages. 12 euros. Déjà en librairie.
Grande Illusion CélineCAUCHEMAR.- Est-il possible que quelqu’un ait menacé Jean Renoir de le faire fusiller par les Allemands pour avoir réalisé La Grande Illusion, deux ans avant le début de la Deuxième Guerre mondiale et l’occupation nazie ? Oui, c’est possible.
Est-il possible qu’un autre, ami du premier, ait préconisé d’opérer la « circoncision nasale » sur les femmes appartenant à l’ethnie qu’il qualifie de « putain » ? Oui, c’est possible, et un film de Joseph Losey le campe durement.
Est-il possible qu’un troisième, ami des deux autres, ait plongé dans des archives et hanté les cimetières pour s’efforcer de prouver que Bernanos, Robespierre et de Gaulle étaient de sang impur ? Oui, c’est possible.
Il ne s’agissait pas de délirants obscurs mais d’un écrivain célèbre, d’un ethnologue occupant des fonctions officielles et d’un expert en onomastique renommé à l’époque. « Le temps du désastre se déroule en sens inverse du temps chronologique. Au lieu de nous en éloigner, il nous en rapproche », écrit Rachel Ertel. Ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, Jean Narboni  signe, ici, plus qu’un pamphlet, tout à la fois un roman noir, une fable, un conte cruel qui traverse comme un cauchemar des temps sans pitié.
LA GRANDE ILLUSION DE CELINE.  Jean Narboni. Editions Capricci. 144 pages. 17 euros. Déjà en librairie.
Georges PierreTEMOIN.- « Les photographes de plateau sont les témoins pour toujours de la vie du film. Ils sont essentiels pour la production. Ils ébauchent l’image du film pour le public et pour la presse lors de la sortie en salles. Leurs photos sont des témoignages indispensables, elles restituent l’ambiance du plateau et font rêver en fixant l’imaginaire du réalisateur. » C’est Costa Gravras qui, dans l’avant-propos du livre, évoque ainsi Georges Pierre qui travailla tant sur Section spéciale (1975) que sur Conseil de famille (1986).
C’est un hommage à l’un des plus illustres membres de la confrérie des photographes de plateau que rendent Sichler et Benyayer qui notent : « Ce qui frappe en regardant les nombreux clichés qu’il prenait, c’est le naturel, l’originalité du cadre pris sur le vif d’une scène où l’on ne sent pas du tout la pose. Il savait se faire discret et photographiait en perturbant le moins possible le tournage des scènes. Pour cela, il avait mis au point une invention le blimp (dispositif d’insonorisation) qui lui permettait de déclencher son appareil photo en toute discrétion, sans aucun bruit de cliquetis. » De Georges Pierre (1921-2003), témoin du génie créatif des cinéastes, les auteurs ont sélectionné de nombreuses images classées selon les actrices (Marlène Jobert, Romy Schndeider, Delphine Seyrig, Catherine Deneuve), les acteurs (Belmondo, Montand, Delon, Noiret, Serrault, Piccoli, Depardieu) et les réalisateurs (De Broca, Godard, Chabrol, Resnais, Blier, Boisset, Enrico, Sautet). Un fameux générique !
GEORGES PIERRE 100 ANS 100 FILMS PROFESSION : PHOTOGRAPHE DE PLATEAU. Laurence Pierre de Geyer – Philippe Sichler et Laurent Benyayer. Neva Editions. 192 pages. 45 euros. Déjà en librairie.
Mémoire SavonnetteMORALE.- Pour Godard, Luc Moullet est un « Courteline revu par Brecht » et feu Jean-Marie Straub estimait, pou sa part, qu’il est « le seul héritier à la fois de Bunuel et de Tati ». Avec un dizaine de longs-métrages à son actif, une grande quantité de courts, celui qui fut critique aux Cahiers, est assurément un franc-tireur du cinéma français. Ses films, à l’expression décalée, proches du minimalisme, empreints d’un étrange réalisme conceptuel, célèbrent la mort du récit et surtout des genres.
On n’est donc pas vraiment surpris de trouver, avec Mémoires d’une savonnette indocile, l’autobiographie du plus farfelu et cinéphile des cinéastes français.
« Je suis le frère, écrit Moullet, d’un génie de la musique aléatoire, le père d’une belle astronome qui choisit sa voie à 5 ans, le cousin au 11e degré d’un mec qui tua le maire, la mairesse et le garde champêtre (lequel avait déplacé sa chèvre de 8 mètres) de son village, le mari d’une femme équilibrée et séduisante qui me supporte depuis 52 ans. Je suis un highbrow et un Lenny (Des souris et des hommes). Grâce à Truffaut, j’ai écrit sur le cinéma pendant 65 ans, et, lancé par Godard, j’ai fait durant 54 ans des films qui font rire sur des sujets sérieux, marxisme et taylorisme, vagin et clitoris. (…) Ce qui restera de moi, c’est une formule : La morale est affaire de travellings.»
MEMOIRES D’UNE SAVONNETTE INDOCILE. Luc Moullet. Editions Capricci. 400 pages. 22 euros. Déjà en librairie.
Hong Kong ActionACTION.- C’est en 1997 que le Royaume-Uni rétrocède l’île de Hong Kong à la Chine. Durant des décennies, ce petit territoire d’un millier de kilomètres carrés a produit une quantité innombrable de films fondateurs et vu évoluer des personnalités telles que Bruce Lee, Jackie Chan, John Woo ou Tsui Hark, aujourd’hui célébrées dans le monde entier. Que ce soit la colonisation britannique, l’occupation japonaise ou le combat incessant mené contre la corruption des institutions et le crime organisé, l’histoire tumultueuse de Hong Kong infuse depuis toujours son cinéma.
Dans Hong Kong Action, l’auteur, dans un essai de 192 pages, dresse un passionnant état des lieux de 50 ans de cinéma d’action hongkongais, que celui-ci assène sa colère par le tranchant d’un sabre, la fulgurance d’un coup de poing ou le canon d’un fusil.
Marvin Montes partage sa passion du cinéma sur des sites tels que aVoir-aLire et CinéDweller. Il a lancé, en 2019, Final Cut, podcast bimensuel qui explore la carrière de différents réalisateurs en compagnie d’intervenants issus d’horizons variés. Depuis 2020, il coanime avec Erwann Kerroc’h l’émission HKast, entièrement consacrée aux cinémas d’Asie, à commencer par celui de Hong Kong. Il intervient régulièrement dans de nombreuses émissions traitant du cinéma et de la culture populaire. Hong Kong Action est son premier ouvrage.
HONG KONG ACTION. Marvin Montes. Editions aardvark. 192 pages. 18 euros. Déjà en librairie.

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