Le cow-boy solitaire et les fantômes d’Hollywood

La tête dans les étoiles, l’oeil sur le grand écran, le buzz à l’oreille, le nez quand même sur la météo (il pleut et vente à Cannes), on en vient, sur la Croisette, à oublier la vraie vie. Ce lundi, le 67e Festival est déjà au milieu du gué. Le festivalier a pris son rythme de croisière, il enchaîne les films, ausculte les programmes du jour, sait qu’il faudra s’attendre à une longue queue pour voir le nouveau Cronenberg… Il sait aussi que le coup de pompe guette et que la redoutable petite sieste n’est pas à exclure.

Mais la vraie vie? Elle est peut-être dans cet échange. La collégienne: « Mais qu’est-ce qu’il fout, ce connard de chauffeur? » Un abribus devant la gare. Talkie-walkie à la main, l’employé de la compagnie des bus parle fort: « Messieurs, dames, il faut aller plus loin. Les bus s’arrêtent la-bas… » Et plus bas à la gamine: « Mais pourquoi vous parlez mal? On détourne les bus parce qu’il y a un accident plus haut… »

Peu avant 8h, la vraie vie est aussi dans les entrées des magasins encore fermés, derrière le Monoprix, devant les Galeries Lafayette. Là, se réveillent des hommes et des femmes qui s’extirpent de leurs sacs de couchage, de leurs cartons, de leurs bâches en plastique noir. Une femme mange un sandwich. Ils sont jeunes pour la plupart et regardent dans le vide. On les retrouve plus tard, faisant la manche sous les gros yeux des caméras de surveillance municipales. Dans le petit square face à la salle Debussy, un type, sur une couverture, dort dans l’herbe. De l’autre côté de la Croisette, les néons du casino clignotent. Bingo?

Mais on est là pour le cinéma, évidemment. Qui réserve de bonnes et de moins bonnes surprises. En compétition, la bonne, c’est « The Homesman » de Tommy Lee Jones. On connaît bien le comédien américain pour l’avoir vu, en shériff Gerard dans « Le fugitif » ou tout récemment en parlementaire libéral dans le « Lincoln » de Spielberg. Au festival, Tommy Lee est en pays de connaissance. En 2005, sous sa casquette de réalisateur et de comédien, il était déjà en compétition avec « Trois enterrements » qui lui valut le prix d’interprétation. Le revoilà avec un western presque minimaliste, une histoire toute simple et tragique, celle, en 1854, de trois femmes devenues folles à cause de la rudesse de leurs conditions de vie.  Elles sont confiées à Mary Bee Cuddy, une pionnière (l’émouvante Hilary Swank) qui doit les conduire, en chariot, dans l’Iowa. En route, Mary Bee croise George Briggs, un homme sorti de nulle part. Ils s’associent pour face aux rigueurs et aux dangers qui sévissent dans les vastes étendues de la Frontière.

Et voilà du cinéma, une histoire qui vous attrape et ne vous lâche plus, des personnages solides, des désirs de vie meilleure, des paysages imposants où la ligne d’horizon sépare le ciel de la terre. Un peu mal aimé aujourd’hui, le western est un genre très codé. Tommy Lee Jones s’empare de ces codes (le vieux solitaire vaguement escroc, la femme indépendante qui rêve secrètement de mariage) pour envoyer ce tandem d’abord mal assorti tracer sa route dans les grands espaces et apprendre à mieux se connaître. On a envie de dire qu’il n’y a rien de plus à dire, sauf à savourer un vrai et beau spectacle de cinéma.

« The Homesman » est déjà sur les écrans depuis hier. Mercredi, un autre film de la compétition sortira dans les salles. Et c’est la moins bonne surprise dont il est question plus haut. En effet, avec « Maps to the Stars », David Cronenberg déçoit beaucoup. Fils de Cannes bon teint, le cinéaste canadien est souvent venu, ici, en compétition. On se souvient du choc, en 1996, de « Crash » mêlant sexe et carrosserie automobile ou encore, en 2005, de la bien nommée « History of Violence ». Après un « Cosmopolis » raté (2012) mais qui avait permis à Robert -Twilight- Pattinson d’affoler les (jeunes) festivalières, on attendait de retrouver un bon Cronenberg. Raté! Conçue comme une satire des moeurs hollywoodiennes, « Maps to the Stars » commence plutôt bien avec la visite de Benjie Weiss, un adolescent star, à une jeune fan en train de mourir à l’hôpital. C’est d’un cynisme absolu et… prometteur. Hélas, Cronenberg perd vite la main et s’ingénie alors à aligner des clichés sur l’usine à rêves. Voilà le thérapeute magicien qui masse le corps, câline l’âme et en profite pour vendre ses livres ou encore la vedette de 40 ans dont les rôles se font rares et qui en devient hystérique. Là-dessus, Cronenberg convoque quelques fantômes, le poème « Liberté » d’Eluard et saupoudre le tout d’une pointe d’inceste. En expliquant: « Le monde du cinéma est incestueux en ce qu’il est très limité, même si sa diffusion est mondiale. Tout le monde a les mêmes problèmes, les mêmes discussions, les mêmes centres d’intérêt. Et Hollywood est une communauté incroyablement petite. Donc l’inceste est dans le business, la sensibilité et la créativité. »  CQFD.

On veut bien que ce drame dans la famille hollywoodienne soit une réflexion sur une désespérante société du spectacle. Encore aurait-il fallu que le spectacle soit au rendez-vous.

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