Trio tragique pour thriller intime

Joseph Haffmann (Daniel Auteuil), un bijoutier juif à Paris en 1941.

Joseph Haffmann (Daniel Auteuil),
un bijoutier juif à Paris en 1941.

Propriétaire d’une modeste bijouterie à Paris, Joseph Haffmann sort, un jour de mai 1941, sur le pas de sa boutique. On vient de placarder sur le mur voisin une affiche qui annonce le recensement obligatoire des Juifs. A cet instant, Haffmann sait qu’il va falloir prendre le large. Hannah, sa femme, a beau formuler le fameux « Mais nous sommes français » répété par tant de Juifs alors que les nazis et Vichy préparaient leur extermination, Joseph est bien décidé à faire partir sa femme et ses enfants pour la zone libre. Il les rejoindra dès qu’il aura réglé la question de sa petite entreprise…
En adaptant librement la pièce éponyme (inspirée de faits réels) de Jean-Philippe Daguerre créée au théâtre en 2016, Fred Cavayé réalise un film d’époque certes conventionnel mais solide et efficace. Le réalisateur souhaitait dresser le portrait de collaborateurs sous l’Occupation : « Je vois la pièce et je découvre que ce n’est pas vraiment le sujet. Je me l’étais raconté tout seul ! Le texte était vraiment formidable mais j’avais envie de l’emmener ailleurs. Ce que Jean-Philippe m’a autorisé à faire en m’offrant toutes les libertés possibles. […] J’ai donc gardé le point de départ d’Adieu Monsieur Haffmann et fait évoluer les personnages différemment, surtout celui de François ».
Voici donc, un huis-clos dans lequel sont emprisonnés Joseph Haffmann et le couple Mercier. Lui est employé dans la boutique et Blanche, sa frêle épouse, travaille dans une blanchisserie. Lorsque le bijoutier prend la décision de partir, il propose un deal à François Mercier. Ils vont signer un acte de vente de la boutique et Mercier, avec l’argent prêté en cachette par Haffmann, en deviendra le patron. Quitte à tout remettre dans l’ordre lorsque la paix sera revenue. Surpris par la proposition, Mercier accepte cependant. Il ne reste plus à Haffmann qu’à partir. Las, le passeur qui devait lui permettre de rejoindre, à son tour, la zone libre, lui fait faux bond. Le bijoutier revient donc chez lui. Le couple Mercier n’a d’autre choix que de lui offrir l’hospitalité. Le temps d’une nuit ou deux avant un nouveau départ de Haffmann vers les siens. Mais ce départ n’arrivera pas et Haffmann se retrouve « prisonnier » dans ce ce qui fut, quelques heures plus tôt encore, son appartement et sa boutique.

M. Haffmann et François Mercier, son employé.

M. Haffmann et François Mercier, son employé.

Dans le vaste panorama des films qui traitent de l’Occupation allemande en France et qui s’étend de Monsieur Klein de Joseph Losey au Dernier métro de Truffaut, on a toujours eu à connaître du sort tragique et funeste des Juifs. La trouvaille de Cavayé, c’est d’inscrire plusieurs parcours dans ce « thriller intime ». Il y a évidemment celui de Joseph Haffmann sur lequel plane constamment la menace de la Shoah. Mais le cinéaste confronte ce destin à celui d’un homme anonyme soudain propulsé dans une situation inédite. L’employé se retrouve patron et lui qui se rêvait créateur de bijoux, va pouvoir proposer de belles pièces à ses clients. Et tant pis si François Mercier s’approprie le talent de Joseph Haffmann. Pire, les belles broches imaginées par le bijoutier juif attirent l’attention de Jünger, un officier allemand, désireux de combler ses conquêtes françaises… Bientôt, François Mercier sera aspiré dans un engrenage infernal. « Ses » bijoux plaisent aux nazis qui ne manquent pas, en retour, de le fournir en pierres précieuses. Il n’en faut pas plus pour que Mercier glisse vers une attitude « collabo » aussi banale que tragique. Le tout au grand dam de Joseph Haffmann, prisonnier dans la cave de la bijouterie, sommé de fabriquer des bijoux (son talent dépasse clairement celui de Mercier) et écoeuré jusqu’à la nausée lorsqu’il reconnaît un bijou réalisé naguère par ses soins pour un couple juif…

François Mercier (Gilles Lellouche) et ses inquétants clients.

François Mercier (Gilles Lellouche)
et ses inquétants clients.

Enfin, Fred Cavayé greffe un troisième volet à son récit. Cette fois, il met Blanche, l’épouse de Mercier, au cœur d’un drame familial. Depuis longtemps, Blanche voudrait avoir un enfant mais François, stérile, ne peut le lui donner. Désespéré et obsédé, l’époux imagine alors de pousser sa femme dans les bras d’Haffmann contre la promesse de faire parvenir des nouvelles à la famille du bijoutier…
En s’appuyant sur les décors étouffants d’un petit appartement parisien, d’une boutique d’un autre âge et d’une cave sinistre, en jouant sur des couleurs sombres où domine le brun et le gris, le cinéaste compose un oppressant huis-clos, souricière terrible où évoluent trois personnages qui finissent par ne plus pouvoir se supporter et qui s’évitent de plus en plus. Jusqu’au moment où Joseph Haffmann décide de ne plus jouer le jeu.
Daniel Auteuil, que Cavayé considère comme l’un des « monstres du cinéma français », campe Haffmann, un homme de peu de mots mais dont le regard traduit tout à la fois la détresse puis la détermination. Déjà présent dans deux films de Cavayé (A bout portant en 2010 et Mea culpa en 2014), Gilles Lellouche, plus massif que jamais, est François Mercier, un type banal dont la vie bascule totalement. Où comment l’attrait de l’argent, l’envie de respectabilité vaguement bourgeoise, emporte François dans le vertige de la Collaboration et, in fine, de la délation. « On n’avait rien, dit Blanche, maintenant il veut tout ».

Blanche (Sara Giraudeau), une épouse malheureuse. Photos Julien Panié

Blanche (Sara Giraudeau),
une épouse malheureuse.
Photos Julien Panié

Blanche, c’est l’excellente Sara Giraudeau en épouse diaphane, prête à une « proposition indécente » pour garder son mari et qui choisira de résister à sa manière devant l’ignoble… Enfin, le cinéaste a trouvé, pour incarner un Junger mielleux et inquiétant, un acteur de 45 ans dont le nom et le visage nous disent évidemment quelque chose : Nikolai Kinski, le fils de Klaus, l’inoubliable interprète d’Aguirre et Fitzcarraldo

ADIEU MONSIEUR HAFFMANN Drame (France – 1h56) de Fred Cavayé avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau, Nikolai Kinski, Mathilde Bisson, Anne Coesens, Frans Boyer, Claudette Walker, Vivien Tarragon. Dans les salles le 12 janvier.

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