Les silences d’Irène et les combats de Clémence

Deux beaux portraits de femmes occupent actuellement l’écran dans des films français attachants. L’une est une jeune femme, passionnée de théâtre, qui se prépare à passer le concours du Conservatoire de Paris à l’heure où les Juifs commencent à être persécutés dans la France de Pétain. L’autre est la maire d’une ville de Seine Saint Denis, le fameux 9-3, qui mène une bataille acharnée pour sauver le quartier des Bernardins, une cité minée par l’insalubrité et les « marchands de sommeil ».

"Une jeune fille...": Irène (Rebecca Marder), passionnée de théâtre.

« Une jeune fille… »: Irène (Rebecca Marder), passionnée de théâtre.

OCCUPATION.- Dans le bel été de 1942, Irène vit sa jeunesse à travers les planches où elle savoure, en frissonnant, les textes de Marivaux et la manière de distiller les stratagèmes amoureux. Et elle met infiniment plus de fièvre à vivre sa passion du théâtre qu’à se laisser aller à la rencontre avec le fade Gilbert. Alors Irène court du Conservatoire au théâtre où elle est ouvreuse et à la maison familiale où elle retrouve André, son père, Marceline sa grand-mère et Igor, son frère adolescent. « Et toi, ça va ? Avec tout ça… » C’est ce « tout ça » qui donne au premier long-métrage de la comédienne Sandrine Kiberlain, son poids de tragédie. Car tout ça, c’est l’obligation prochaine de voir inscrire sur les pièces d’identité de la famille le terme Juif…
A force d’entrer dans l’aventure d’un autre ou d’une autre, Sandrine Kiberlain a eu, dit-elle, envie de son aventure à elle. Ce sera donc Une jeune fille qui va bien (France – 1h38. Dans les salles le 26 janvier) qui relève le défi de situer l’action dans la période noire de l’Occupation. Et d’ailleurs, en écoutant le père de famille, fonctionnaire de l’administration, évoquer le respect de la loi en se conformant aux dispositions de Vichy, on ne peut s’empêcher de songer à un autre film, également à l’affiche, en l’occurrence Adieu M. Haffmann où Fred Cavayé fait dire à la famille du personnage de bijoutier juif incarné par Daniel Auteuil : « Il ne peut rien nous arriver, nous sommes Français ».

"Une jeune fille...": Irène et sa famille. Photos Jérôme Prébois

« Une jeune fille… »: Irène et sa famille.
Photos Jérôme Prébois

Dans le film de Kiberlain (qui s’appuie notamment sur des souvenirs autobiographiques et spécialement des histoires contées par sa grand-mère), l’Occupation paraît presque hors-champ. Elle ne semble pas impacter l’existence d’Irène, tout à son bonheur du théâtre. Mais elle est bien attestée par l’absence inexpliquée de la mère, l’inquiétude du père et plus encore l’angoisse du pire que Marceline, la grand-mère, s’ingénie à taire mais que l’on mesure même sans paroles. Mais il suffit d’un simple plan où Irène se tourne et nous révèle l’étoile jaune sur sa veste pour que l’émotion monte. Reposant sur de beaux choix de musiques, le film comporte d’ailleurs des observations fines sur la judéité, ainsi la scène du dîner de shabbat où est invitée Josiane (Florence Viala), une voisine, à laquelle André est loin d’être insensible, qui s’enferre dans un « J’aime bien les Juifs. Enfin, j’ai rien contre… »
Cependant, Une jeune fille qui va bien reste bien le portrait d’une jeune fille lumineuse prise dans les élans de son âge et qui refuse de trop voir les ténèbres qui avancent. Dans le rôle d’Irène à la maladresse gracieuse et aux silences délicieux, la nouvelle actrice (de la Comédie française) qui monte, Rebecca Marder, est superbe. La manière dont elle découvre l’amour autour de sa myopie est pleine de fraîcheur. Elle est parfaitement entourée par André Marcon (André), Anthony Bajon (Igor) et Françoise Widhoff, une formidable Marceline (partiellement inspirée à Sandrine Kiberlain par la tonique Marceline Ivens-Loridan) qui parle de son fils : « Il a peur, il obéit. Il ne faut jamais avoir peur ». Et pourtant… Dans une ultime séquence bouleversante dont on ne dira rien ici, on constate qu’il y avait toutes les raisons d’avoir peur.

"Les promesses": Clémence (Isabelle Huppert) et Yazid (Reda Kateb). DR

« Les promesses »: Clémence (Isabelle Huppert) et Yazid (Reda Kateb). DR

POLITIQUE.- Elle passe d’un pas rapide, avance parmi ses administrés, serre des mains à gauche et à droite, distribue des sourires et donne l’impression à ceux qui la croisent qu’elle les connaît personnellement. Chez elle, Clémence Collombet, maire d’une ville de la banlieue parisienne, écoute les conseils de Yazid, son directeur de cabinet dans le choix d’une petite veste noire et d’escarpins qui vont bien. Car le premier édile doit monter en ligne dans une réunion où il est question, sur fond de pauvreté et de misère, d’une situation qui n’a que trop duré, celle d’une cité où l’eau tombe des plafonds, où les murs suintent, où les habitants n’en peuvent plus, surtout qu’on leur promet depuis trop longtemps que tout va rentrer dans l’ordre alors que les marchands de sommeil se remplissent sordidement les poches. La colère gronde et la menace de ne plus payer les charges plane sérieusement. Mais voilà, trouver 63 millions d’argent public pour régler les problèmes d’insalubrité dans la cité des Bernardins n’est pas une mince affaire. Et gare aux promesses qui ne seraient pas tenues. « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. » C’est Jacques Chirac qui, naguère, parlait ainsi. En la matière, on pouvait lui faire pleinement confiance.
Avec Les promesses (France – 1h38. Dans les salles le 26 janvier), Thomas Kruithof plonge dans une histoire qui prend, évidemment, par ces temps d’élection, une résonance particulière. Bien sûr, il est essentiellement question de gestion municipale et d’une élue qui mène une bataille d’autant plus acharnée sur un dossier chaud, qu’elle est bien décidée à ne pas se représenter aux élections municipales qui approchent. Elle a beau dire à son entourage qu’elle a été médecin, qu’elle a eu une vie avant et qu’elle rêve d’un aller simple pour ailleurs, Clémence Collombet est assurément une accro de la politique. Et passer la main n’est pas aussi simple. Surtout lorsqu’on lui laisse entendre qu’on songe à elle, du côté de Matignon, pour un poste de ministre. « Ministre, c’est mettre une encoche dans l’histoire de France » lui murmure un grand serviteur de l’Etat. Clémence pourrait bien se laisser tenter. Elle connaît bien le terrain et a maîtrisé bien des dossiers. Elle se rend à une entrevue mais le Premier ministre doit décaler le rendez-vous.

"Les promesses": Clémence en lice pour un poste de ministre? DR

« Les promesses »: Clémence en lice
pour un poste de ministre? DR

Reçue par Guillaume Mars, un jeune et parfait énarque, Clémence fait montre d’un réel intérêt pour la proposition. Las, quelques heures plus tard, l’offre ne tient plus. Abattue, elle voudrait comprendre. On finira par lui expliquer qu’elle « ne fait pas rêver ». Au grand dam de son parti qui avait déjà investi sa première adjointe, Clémence décide de se représenter à la mairie…
Pour son troisième long-métrage, Thomas Kruithof (remarqué pour La mécanique de l’ombre, en 2016, déjà sur un complot politique autour d’écoutes téléphoniques) livre un récit rapide et mouvementé sur les arcanes de la politique locale. Entre réunions publiques, arbitrages, promesses (« les promesses non tenues ne sont pas des mensonges » observe le « dircab » de Clémence), négociations, le film propose une vision réaliste. Il devient probablement plus fictionnel lorsque, pour tenter d’arracher une décision cruciale, Yazid va se lancer dans un improbable trip nocturne…
Impeccable comme à son habitude, Isabelle Huppert campe cette Clémence pugnace, soudain épuisée et bientôt de retour au combat. A côté d’elle, l’excellent Reda Kateb est Yazid, le directeur de cabinet dont l’idole est Barack Obama, qui cherche peut-être à écrire sa propre mythologie. Politique quand tu nous tiens…

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