De l’or dans les neiges de Cappadoce

Cannes, c’est fini… Retour dans la vraie vie! Marcello Mastroianni sourit encore sur l’affiche du 67e Festival mais, comme le disait Lambert Wilson lors de la cérémonie de clôture, « Godzilla » est redevenu le film le plus important de la semaine…

Retour quand même, à tête reposée, sur un palmarès qui n’a pas fait l’unanimité. Exactement comme tous les palmarès depuis que le Festival existe. Côté Palme d’or, rien à dire. Dès sa première projection de presse, « Winter Sleep » faisait figure de « palmable ». Aux yeux des exploitants de salles, le jury de Jane Campion n’a pas choisi la facilité puisqu’avec ses 3h16, le film de Nuri Bilge Ceylan ne va pas « faire » beaucoup de séances. Mais voilà, c’est du vrai, du grand cinéma. Un film contemplatif où la beauté et l’intelligence du propos sont au rendez-vous d’une mise en scène dépouillée et marquée par la grâce. Bien sûr, tous les journalistes n’ont pas été sensibles à cette aventure de l’intime. Certains ont même pronostiqué de grands ronflements et de bonnes petites siestes dans les salles. Mais voilà, au-delà des qualités cinématographiques de « Winter Sleep », cela faisait plaisir de voir le cinéaste turc sourire enfin. Lui qui fait souvent la gueule, était heureux. Heureux et grave quand même puisqu’il n’a pas oublié d’évoquer la crise politique et sociétale que traverse son pays, rendant aussi clairement hommage aux jeunes victimes des dernières années.

Il n’y a, en général, qu’une Palme par édition. Les grands oubliés de 2014 sont, évidemment, « Timbuktu » d’Aberrahmane Sissako, superbe réflexion sur l’intolérance, « Still the Water » de la Japonaise Naomi Kawase, habituée de Cannes et qui offrait cette année, son film le plus limpide et le plus lisible autour des liens entre l’homme et la nature. Quant aux frères Dardenne, leur « Deux jours, une nuit » est un fleuron de plus dans leur quête sensible de l’homme blessé face à la rude machine du monde. Une Palme, leur troisième, les aurait fait entrer dans la grande Histoire de Cannes. Mais les frères belges reviendront forcément sur la Croisette.

Côté prix d’interprétation, je ne suis pas en phase. Timothy Spall, primé pour « Mr. Turner » de Mike Leigh, est un excellent comédien anglais. Pourtant si la peinture de Turner préfigure l’impressionnisme, la prestation de Spall est ici bien académique. Et l’entendre grogner pendant 2h29 est aussi pénible que de l’écouter (ou tenter de l’écouter) sur la scène de l’auditorium Lumière. Vous ne l’avez pas vu? Ne regrettez rien. Quant à Julianne Moore, excellente comédienne elle aussi, elle glisse trop souvent vers la caricature hollywoodienne dans le « Maps to the Stars » de Cronenberg. Et ce qui m’agace encore plus, c’est qu’il y avait tant et plus de comédiennes épatantes dans cette compétition. Citons simplement Hilary Swank dans « The Homesman » de Tommy Lee Jones (qu’il faut absolument aller voir tant qu’il est dans les salles) ou Marion Cotillard qui s’est brillamment  glissée dans le monde des Dardenne, eux aussi toujours à l’affiche.

« Leviathan » d’Andrey Zvyagibtsev pouvait prétendre à la Palme. On espère que son prix du scénario le mettra assez dans la lumière pour que le plus large public aille le voir. Les deux lauréats ex-aequo du prix du jury, Xavier Dolan (pour « Mommy ») et Jean-Luc Godard (pour « Adieu au langage »), connaissent déjà la lumière. Le premier, 25 ans, est un surdoué qui monte. Le second, 83 ans, est une icône du cinéma. Jane Campion a-t-elle voulu tenter un hommage en forme de grand écart entre la modernité et le classicisme?

Quant au prix de la mise en scène, il sauve la mise du cinéma américain. Signé Bennett Miller, « Foxcatcher » est un thriller… sportif à la fois glauque et envoûtant. Aveu spontané: j’ai raté « Les merveilles » d’Alice Rohrwacher qui a raflé le Grand prix. A l’heure de la projection de presse de ce film italien, je me battais pour entrer à la projection de « Welcome to New York » dont je voulais vous entretenir par le menu. DSK façon Ferrara contre les apiculteurs bobos de « Le Meraviglie », j’ai fait le mauvais choix. Mais j’étais de bonne foi, Madame le président!

Pour l’émotion, on a gardé les adieux de Gilles Jacob après 38 ans de Festival. Elégant et droit (même s’il traînait la patte à cause, dit-on, d’une cruralgie), cet amoureux du 7e art a quitté la scène avec une distinction old fashion qu’on aimait bien. Pour la bonne bouche, il y a  cette Caméra d’or pour « Party Girl », film lorrain tourné à six mains et qui nous embarque avec aisance dans la vie d’Angélique Litzenburger, « party girl » au long cours dans des boîtes allemandes montantes. L’heure de raccrocher a sonné. Un client propose le mariage à Angélique qui accepte… Le Festival nous réserve parfois des bonheurs inattendus.

Laisser une réponse