Madeleine et le cadavre dans le placard

Madeleine Pastor (Rebecca Marder) en route vers les hautes sphères du pouvoir. DR

Madeleine Pastor (Rebecca Marder) en route
vers les hautes sphères du pouvoir. DR

Une plage au soleil de Corse… Madeleine Pastor sort de l’eau, se sèche dans une serviette. Son regard glisse sur les estivants. C’est l’été, il y a un parfum de vacances mais la jeune femme semble préoccupée… De fait, elle attend les résultats du concours de l’ENA. Sera-t-elle admise au grand oral ? La voie des grands corps de l’État va-t-elle s’ouvrir devant elle ?
Ce soir-là, dans la magnifique villa de Bertrand Mandeville, un financier de haut vol, au côté de son ami Antoine, le fils de cet homme de pouvoir, Madeleine rencontre Gabrielle Dervaz, ancienne ministre, députée de gauche et amie de la famille. Madeleine attire son attention en observant : « Je suis persuadée que l’homme ou la femme politique avec un vrai discours écologiste et féministe sera le prochain président… ou la prochaine présidente ».
« Appelez-moi après votre grand oral… » lui suggère Gabrielle. Las, sur une petite route déserte de l’île, Antoine et Madeleine circulent à vive allure. Devant eux, une camionnette n’avance pas vite. Un coup de klaxon, un dépassement brusque, un doigt d’honneur… Le drame guette. L’algarade prend une mauvaise tournure. Le conducteur de la camionnette moleste Antoine, déballe un fusil…
Remarqué avec Vendeur (2016) son premier long-métrage où Gilbert Melki incarnait un vendeur émérite aux prises avec un fils qui ne l’est pas, Sylvain Desclous signa ensuite La campagne de France (2022), un documentaire (salué par la critique) sur trois candidats qui s’affrontent lors de la campagne des municipales de 2020 à Preuilly-sur-Claise en Inde et Loire.

Madeleine et Antoine (Benjamin Laverhne). DR

Madeleine et Antoine (Benjamin Laverhne). DR

Avec De grandes espérances, le cinéaste, de retour à la fiction, développe une réflexion politique, au travers du thriller, en dessinant le portrait d’une jeune femme brillante et idéaliste. Madeleine sort de Sciences-Po. Sa mère est morte tôt et elle s’est affranchie de ses origines modestes. Elle a perdu le contact avec son père. Avec le sémillant Antoine qui, lui aussi, prépare l’ENA, elle forme un couple promis à un bel avenir du côté des hautes sphères du pouvoir. Même si Antoine est quand même un fils à papa, sous l’emprise de son père et de son milieu social. Sans doute est-ce aussi pour cela que, presque inconsciemment, il envoie se faire voir le conducteur autochtone…
Une altercation qui va précipiter Antoine et Madeleine dans un vertigineux tourbillon de secrets et de mensonges ! « Pendant toute l’écriture, remarque le cinéaste, une question me trottait dans la tête, comme un mantra : peut- on changer le monde si on a les mains sales ? Est-ce que le combat de Greta Thunberg se trouverait discrédité ou disqualifié si on découvrait quelque chose d’horrible sur elle ? Pour moi, non. Je considère qu’en matière politique, la justesse d’une cause justifie les moyens mis en œuvre pour que celle-ci triomphe. Sans conquête du pouvoir, il n’y a pas de pouvoir, et encore moins celui de changer les choses. »
Rejoignant l’équipe de la députée Dervaz, Madeleine Pastor va rapidement révéler ses talents. Toujours disponible, elle conseille judicieusement sa patronne en route vers un nouveau poste de ministre et montre qu’elle n’a pas froid aux yeux lors d’un conflit social dans une entreprise, n’hésitant pas à pratiquer un joli petit chantage sur le patron en lui rappelant quelques vilenies accomplies alors qu’il était DRH dans une autre boîte…
Face à ce petit soldat, selon l’expression de Sylvain Desclous, que rien ne ferait dévier de son objectif, va se dresser Antoine. Toujours amoureux de Madeleine mais complètement à la dérive, il a choisi un autre camp. Et voyant que Madeleine ne lui reviendra pas, il décide de porter des coups bas…

Emmanuelle Bercot dans le rôle de la députée Dervaz. DR

Emmanuelle Bercot dans le rôle
de la députée Dervaz. DR

Le cinéaste pose un regard quelque peu acéré sur la gauche et notamment sur le Parti socialiste, cette grande famille dysfonctionnelle, aujourd’hui noyée dans la Nupes. Ce n’est évidemment pas un hasard si Desclous a placé, dans le bureau de la députée Dervaz, une photo de Lionel Jospin qui vise quelque chose, ou quelqu’un, avec un fusil. « En voyant cette photo pour la première fois, se souvient le réalisateur, je me suis immédiatement raconté qu’elle résumait un moment clé de l’histoire politique récente : celle du premier tour des présidentielles de 2002. Si Jospin avait tiré, peut-être la gauche n’en serait-elle pas là où elle en est aujourd’hui. Pour moi cette photo raconte qu’il faut être en posture de combat, et en mesure d’appuyer sur la gâchette, si on veut l’emporter… » C’est évidemment la posture occupée par Madeleine Pastor en rejoignant l’équipe Dervaz. Sauf qu’elle est poursuivie et rattrapée par ses angoisses et ses cauchemars habités par un terrifiant fantôme… En se rapprochant de son père, Madeleine parviendra-t-elle à apaiser ses peurs ?
Alors qu’elle est toujours sur les écrans en jeune avocate dans Mon crime de François Ozon, l’incontournable Rebecca Marder ajoute, ici, une nouvelle corde à son arc avec sa Madeleine offensive et troublée. Avec brio, elle incarne une jeune femme complexe, animée de convictions fortes et qui lutte pour faire avancer les idées auxquelles elle croit. Ni sainte, ni arriviste, elle se bat autant contre le déterminisme social que contre les préjugés de classe et n’hésite pas pour cela à rendre coup pour coup et parfois plus.

Madeleine a retrouvé son père (Marc Barbé). DR

Madeleine a retrouvé son père (Marc Barbé). DR

Vu récemment dans Le sixième enfant, Benjamin Laverhne est un Antoine qui complètement perd pied alors que l’excellente Emmanuelle Bercot (on se souvient d’elle autant dans Polisse que dans Mon roi) est une députée Dervaz très pugnace. Enfin, même si son rôle est assez court mais hautement capital, on remarque le magnétique et parfois franchement inquiétant Marc Barbé en père de Madeleine.
Sylvain Desclous cite aussi Pablo Neruda et son poème qui dit :
« Du fond exigu de la mine
tel un utérus infernal,
j’ai entendu une voix s’élever,
puis j’ai vue remonter à la surface
un être sans visage,
un masque barbouillé
de sueur, de sang et de poussière.
Et ce masque m’a dit : Où tu iras,
parle de ces souffrances,
parle, mon frère, de ton frère
qui vit en bas, dans cet enfer. »

Voici donc un vrai thriller où il est question d’économie sociale et solidaire et de retraite à taux plein, il fallait le faire ! Et c’est très bien fait.

DE GRANDES ESPERANCES Drame (France – 1h4) de Sylvain Desclous avec Rebecca Mardder, Benjamn Laverhne, Emmanuelle Bercot, Marc Barbé, Pascal Eslo, Thomas Thevenoud, Cedric Appierro, Jean-Emmanuel Pagni, Pascal Reneric, Aurélie Marpeaux, Holy Fatma, Marie-Pierre Nouveau. Dans les salles le 22 mars.

 

Laisser une réponse