Rosemay ou la quête obstinée

 

Rosemay (Galatéa Bellugi), un bloc de douleur. DR

Rosemay (Galatéa Bellugi),
un bloc de douleur. DR

C’est une image quasiment bucolique qui ouvre La fille d’Albino Rodrigue… Une jeune fille montée sur un beau cheval traverse un coin de campagne bucolique. Mais cette image apparaît rapidement comme le reflet d’un paradis perdu. Car la gare de Metz où elle débarque n’est pas plus charmante que cela. Pire encore, Albino Rodrigue, son père, n’est pas là à l’attendre. Alors, Rosemay va rejoindre le domicile familial par ses propres moyens…
Pourquoi cette adolescente est-elle placée dans une famille d’accueil ? On ne le saura jamais. On note simplement que Rosemay peut voir ses parents biologiques pendant les vacances scolaires. Et c’est donc pour cela qu’elle débarque chez elle. Personne n’est là non plus pour la recevoir mais elle sait par quelles portes passer pour entrer… Et lorsque Marga, sa mère, rentre enfin, Rosemay apprend que son père est à l’hôpital…
Aux Rencontres de Gérardmer (voir ci-dessous), Christine Dory disait, malicieuse, « C’est un film où il faut bosser quand on le regarde… » En tout cas, la cinéaste réussit d’emblée à nous plonger dans un univers qui n’a rien d’amical ou de bienveillant. Car Rosemay veut comprendre. Dans quel hôpital se trouve son père ? De quoi souffre-t-il ? Peut-on lui rendre visite ? Et pourquoi donc se trouve-t-il dans un centre hospitalier à Mâcon ?

Marga (Emilie Dequenne), une mère toxique. DR

Marga (Emilie Dequenne), une mère toxique. DR

Autant de questions auxquelles Marga répond de manière plus qu’évasive. Suscitant évidemment l’inquiétude puis les soupçons de Rosemay. Même si elle doit retourner chez Samy et Valérie, les parents de sa famille d’accueil, la jeune fille veut en avoir le coeur net. Petit à petit, ne se fiant qu’à elle-même, elle avance dans son enquête, par ses propres moyens.
Christine Dory qui songeait d’abord à tourner chez elle, du côté de Saint-Etienne, a finalement fait le choix du Grand Est. Elle a trouvé du côté de Metz et de ses environs des décors qui racontent une certaine France, des lieux désolés, oubliés des politiques, des vestiges d’une société industrielle qui n’est plus. Ce n’est pas une terre de misère mais c’est clairement la France pauvre.
C’est dans ce cadre, sinon oppressant, du moins singulièrement morose, que Christine Dory orchestre, avec une solide maîtrise cinématographique et une forte humanité, l’affrontement de Rosemay et Marga. Car, face à une mère fuyante, Rosemay est de plus en plus déterminée dans sa quête, petite Antigone messine loyale, obstinée mais dévouée à cet Albino disparu.

Rosemay dans sa famille d'accueil. DR

Rosemay dans sa famille d’accueil. DR

Superbement incarnée par une Emilie Dequenne qui lui donne forcément un petit côté Rosetta qui a mal tourné, Marga est évidemment un personnage très fort. Elle dispose d’une impressionnante capacité à louvoyer, à mentir, à berner et à instrumentaliser… C’est la banalité du mal, l’abjection et la monstruosité « près de chez vous ». Face à elle, Rosemay doit tenir bon, surtout quand Marga tente de la « séduire » comme avec un billet pour se payer un nouveau téléphone. Cette mère toxique contraint sa fille à devenir un bloc de souffrance et elle enfonce le clou en évoquant son difficile passé pour montrer à sa fille qu’elle a bien de la chance de n’avoir pas vécu la même vie qu’elle. A de rares occasions seulement, Rosemay peut s’ouvrir. Auprès de son grand frère ou de la petite Sosha, nouvelle venue dans la famille d’accueil…

Valérie (Romane Bohringer)  et Samy (Samir Guesmi), les parents de la famille d'accueil. DR

Valérie (Romane Bohringer) et Samy (Samir Guesmi), les parents de la famille d’accueil. DR

Le directeur de la photographie Jean-Marc Fabre, coutumier d’un travail au long cours avec des réalisatrices (Nicole Garcia pour L’adversaire ou Un balcon sur la mer, Danièle Thompson pour Fauteuils d’orchestre ou Le code a changé, Noémie Lvovsky pour Les sentiments ou Faut que ça danse, Anne Fontaine pour Nathalie… ou Mon pire cauchemar) signe, ici, une image de belle qualité qui met aux prises deux personnages féminins en lutte. A Rosemay, les gros plans qui saisissent une immobilité douloureuse, celle d’une adolescente confrontée à l’incompréhensible. A Marga, sa mère, des cadres beaucoup plus larges dans lesquelles elle navigue constamment, tentant de sortir symboliquement du cadre comme pour échapper aux questions et au regard dur de Rosemay…
Toujours à l’affiche dans l’intéressant Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, Galatéa Bellugi, découverte dans L’Apparition (2018), campe brillamment une Rosemay timide et résolue alors qu’Emilie Dequenne est remarquable en mère intrigante, désinvolte et avec un côté No future, rien à foutre de rien…

LA FILLE D’ALBINO RODRIGUE Drame (France – 1h33) de Christine Dory avec Galatea Bellugi, Emilie Dequenne, Samir Guesmi, Romane Bohringer, Matthieu Lucci, Elsa Hyvaert, Joël Clabault, Catherine Salée. Dans les salles le 10 mai.

RENCONTRE «  Le regard d’une jeune fille qui a survécu à quelque chose de terrible »

Bien des années après Les inséparables, mis en scène en 2008 et l’un des derniers rôles de Guillaume Depardieu, Christine Dory est de retour derrière la caméra… Dans les salons de l’hôtel Beau Rivage à Gérardmer, la cinéaste, née au coeur de la Saône et Loire rurale, est l’invitée des Rencontres où La fille d’Albino Rodrigue était présenté en avant-première au début du mois d’avril… Christine Dory sourit. Non, elle n’est pas restée sans rien faire entre ces deux films. D’abord, après ses études de philosophie, elle a longtemps enseigné. Ensuite, elle a travaillé comme scénariste sur des films de Mathieu Amalric ou Emmanuel Salinger…

Christine Dory. DR

Christine Dory. DR

Le désir de se pencher sur Rosemay, le jeune et tragique personnage de son nouveau film, est né d’une histoire vraie : « J’ai été longtemps addicte aux émissions télé sur les fait-divers. Celui-ci s’est déroulé du côté de Nice et d’Antibes. J’ai vu le visage de la vraie Rosemay à la télévision et il m’a bouleversé. » La cinéaste se met alors à creuser le sujet et à décortiquer l’histoire. « La jeune fille avait le regard de celle qui a survécu à quelque chose de terrible… » Christine Dory s’attache évidemment aussi à l’autre grand personnage du film, une mère très toxique. « Les journalistes ont dit, au procès, n’avoir jamais vu une mère charger autant son fils qu’elle avait poussée au crime… ».
Mais Christine Dory fait le choix de simplifier son récit : « J’ai pris mes aises dans le scénario tout en m’appliquant à conserver le potentiel tragique du fait-divers. J’ai décidé ainsi de supprimer le personnage d’Albino Rodrigue, le père… Et puis, dans le vrai fait-divers, il y avait aussi deux mères toxiques… » Pour la mère, Christine Dory écrit le personnage de Marga en pensant à Emilie Dequenne. « Ca l’amusait de jouer une méchante ! » Le réalisatrice lui explique : « Tu vas incarner un monstre mais il ne faut pas le jouer comme ça… »

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