DE LA NOUVELLE VAGUE AU NOUVEL HOLLYWOOD

Claude de GivrayL’AMI DE TRUFFAUT.- « Claude de Givray, jeune cinéphile, avait l’habitude de raccompagner ses amis, à pied ou en voiture -il était l’un des seuls à en être pourvu- pour discuter des films vus en chemin. Il était le plus grand « accompagnateur-discuteur » de Paris. » C’est Antoine de Baecque, qui dans la préface du livre que Frédérique Topin lui consacre, évoque ainsi ce personnage de haute cinéphilie, ami de François Truffaut, scénariste, réalisateur, homme de télévision…
« Ce sont les personnages qui font avancer l’action et non l’action qui fait avancer les personnages. ». Cela pourrait être la maxime qui a guidé Claude de Givray tout au long de sa vie. Né en 1933, spectateur assidu des séances du Quartier latin et du studio Parnasse, il est en effet le témoin privilégié mais aussi l’un des acteurs de la naissance de la Nouvelle vague. C’est ainsi qu’il rencontre ceux qui constitueront plus tard la bande des Cahiers du cinéma, futurs fondateurs de la Nouvelle Vague : Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Éric Rohmer et surtout François Truffaut, avec qui il partagera une longue amitié qui ne prendra fin qu’à la mort de celui-ci.
Cinéphile invétéré, critique aux Cahiers du cinéma et à Arts, De Givray fut aussi le metteur en scène de quatre longs-métrages remarquables : Tire-au-flanc 62 (1961), cinquième adaptation au cinéma d’une pièce à succès (1904) de Mouëzy-Eon et Sylvane, Une grosse tête (1962) avec Eddie Constantine et Alexandra Stewart, Un mari à prix fixe (1963) avec Anna Karina et Roger Hanin et L’amour à la chaîne (1965) avec Jean Yanne. Avec Truffaut, il signe les scénarios de Baisers volés ou Domicile conjugal mais aussi de La petite voleuse que Claude Miller mettra en scène en 1988 après la disparition de Truffaut A la télévision, il devient réalisateur de documentaires et de fictions, et enfin directeur de la fiction de TF1 où, dès son arrivée, il annonça la couleur, affirmant que son « ambition était de créer l’école française des films de série B. »
Alors qu’elle écrit son premier scénario pour la série Navarro, l’auteure rencontre Claude de Givray en 1990. Elle travaille par la suite sur de nombreuses séries (dont Les Cordier, juge et flic), jusqu’au début des années 2000 où elle devient également productrice. Au cours des trois décennies où ils se côtoient, Claude fait souvent part à Frédérique de l’envie d’écrire son histoire pour évoquer ses amis, François Truffaut, la bande des Cahiers, Michel Perez, Georges Desmouceaux, son père, le premier après sa grand-mère à l’avoir initié au cinéma, mais aussi Claude Nedjar, Lucette, sa chère épouse, Bernard Revon, Pierre Grimblat, et bien d’autres figures du cinéma et de la télévision.
Amie de longue date, Frédérique Topin offre, pour la première fois, la parole à Claude de Givray et cela nous vaut un récit agréable, voire jubilatoire que traverse Bernadette Lafont et Raoul Coutard, Mizoguchi ou Kurosawa, Renoir ou Duvivier, le Fritz Lang de Furie… Et évidemment François Truffaut…

Delphine Seyrig et Jean-Pierre Léaud dans "Baisers volés". DR

Delphine Seyrig et Jean-Pierre Léaud
dans « Baisers volés ». DR

Claude Givray se souvient : « Après Les quatre cents coups, François avait fait un court-métrage, Antoine et Colette, dans lequel il avait déjà repris le personnage d’Antoine Doinel. Il avait de nouveau envie de faire quelque chose avec Jean-Pierre qui n’était plus un adolescent. Je crois aussi qu’il avait envie de le récupérer après tous les films qu’il avait tournés avec Jean-Luc Godard, mais aussi avec Jean Eustache dans Le Père Noël a les yeux bleus et Jerzy Skolimowski dans Le départ, des films formidables. L’histoire est très connue, Truffaut nous a dit trois choses : « Le film commencera avec Jean-Pierre Léaud en tenue militaire, il est en prison à cause de ses ennuis avec l’armée. Même si les distributeurs préfèrent le titre de la chanson Que reste-t-il de nos amours ?, le film s’appellera Baisers volés et je veux une scène avec une femme d’un certain âge que Jean-Pierre Léaud désire. Cette femme devra lui demander : « Est-ce que vous aimez la musique ? » Et lui, répondra : « Oui monsieur. » C’était peu de choses, mais c’était très précis ! Évidemment, il fallait tout construire autour de ça. J’avais déjà écrit avec François pour mes films, mais je n’avais jamais écrit pour ses films à lui. François disait toujours qu’une fiction, c’est trente ou quarante bonnes scènes avec, à l’intérieur de chaque scène, un début, un milieu et une fin. Il avait remarqué qu’il y avait beaucoup de films cohérents mais qui ne comportaient aucune bonne scène ! Pour lui, le plus beau film du monde, c’était Les enchainés, parce qu’il n’y avait que des bonnes scènes. Autant dire que la barre était très haute. »

CLAUDE DE GIVRAY – L’HOMME QUI VENAIT DE LA NOUVELLE VAGUE. Frédérique Topin. Carlotta Editions. 221 pages. 20 euros. En librairie depuis le 20 avril.

BogdanovichUNE OEUVRE SECRETE.- « L’œuvre de Bogdanovich est sans doute l’une des plus passionnantes et secrètes du cinéma américain de ces cinquante dernières années, mais aussi l’une des plus méconnues, en dépit de tout le bien qu’en disent, dès qu’ils en ont l’occasion, Quentin Tarantino, Wes Anderson ou encore Noah Baumbach. »
C’est ainsi que Jean-Baptiste Thoret évoque le parcours du réalisateur de La dernière séance (1971), son film le plus connu, titulaire de deux Oscars en 1972 pour les meilleurs seconds rôles (Ben Johnson et Cloris Leachman)…
Né en 1939 dans l’État de New York, Peter Bogdanovich débute comme critique de cinéma. En 1968, il réalise son premier film, La cible, thriller réaliste sur une star vieillissante du cinéma fantastique (Boris Karloff) confrontée à la violence arbitraire de l’Amérique du Vietnam. Deux ans plus tard, Bogdanovich pose sa caméra au Texas et tourne La dernière séance, en compagnie d’une jeune génération d’acteurs prometteurs (Jeff Bridges, Cybill Shepherd, Timothy Bottoms, Ellen Burstyn) et de Ben Johnson, l’un des acteurs fétiches de John Ford.
Après ce film, grand succès public et classique instantané, la carrière de Bogdanovich est lancée : suivront notamment On s’fait la valise, docteur? (1972), un screwball comedy moderne avec Ryan O’Neal et Barbra Streisand, La barbe à papa (1973), Daisy Miller (1974), Nickelodeon (1976), Saint Jack (1979), Et tout le monde riait (1981), Mask (1985), Texasville (1990) et le récent Broadway Therapy (2014).
Paru en grand format en 2018, Le Cinéma comme élégie est sorti dans sa version poche à l’occasion de la rétrospective consacrée au cinéaste, en avril 2023, par la Cinémathèque française.
Connu comme critique de cinéma, spécialiste du 7e art américain, notamment du Nouvel Hollywood mais aussi du cinéma italien des années 70, réalisateur et auteur d’une quinzaine de livres sur le cinéma autour de figures du cinéma de genre comme Dario Argento, John Carpenter ou Tobe Hooper, Jean-Baptiste dirige aussi, depuis 2018, la collection Make my Day chez Studiocanal qui édite des films rares, pas ou peu édités en France.
Entre 2009 et 2018, Thoret va entretenir une conversation avec Peter Bogdanovich au cours de laquelle le cinéaste (disparu en janvier 2022) évoque ses films, ses rencontres, son enfance et ses drames personnels, sa conception de la mise en scène et les coulisses parfois cruelles d’Hollywood. Il aborde ses faits d’armes et ses déboires avec les studios américains, et sa passion pour les grands maîtres du septième art, de John Ford à Orson Welles.

Cybill Shepherd dans "Daisy Miller". DR

Cybill Shepherd dans « Daisy Miller ». DR

À propos de Daisy Miller et de la question Amérique/Europe, Bogdanovich observe : « Disons que je pense que les Européens sont plus raffinés, plus subtils, peut-être plus intelligents. Daisy, elle, est très américaine, dans le sens où elle saute sans cesse d’une situation à une autre, batifole instinctivement, comme Cybill (Shepherd) d’ailleurs. C’est comme ça qu’elle se définit. Il y a même cette réplique « Vous êtes un flirt terrible ! » et elle répond « Oh oui, je suis un flirt terrible ». Toute fille sympathique est un flirt. Avez-vous déjà rencontré une fille sympathique qui ne le soit pas ? C’est quelque chose que les Européens ne comprendraient pas, parce que les femmes européennes ne flirtent pas de façon si ouverte, si innocente. Vraiment. »

PETER BOGDANOVICH – LE CINEMA COMME ELEGIE – CONVERSATIONS. Jean-Baptiste Thoret. Carlotta Editions. 219 pages. 20 euros. En librairie depuis le 6 avril.

 

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