Les troublants mystères de Madeleine et François

Madeleine (Anaïs Demoustier) sur la plage... DR

Madeleine (Anaïs Demoustier) sur la plage… DR

Un gamin court sur la plage… Image idyllique de vacances bretonnes. Mais le petit Daniel s’approche dangereusement de la mer. Sa mère crie mais il n’entend pas. Un homme qui passe, attrape le bambin et le ramène… Entre François et Madeleine, quelque chose se passe. Silencieusement. Nous sommes en 1947. Serveuse au Beaurivage, un grand restaurant donnant sur la grève, Madeleine est une taiseuse qui élève Daniel mais sans l’aimer. Avec François Delambre, l’étudiant parisien dont la famille possède une belle maison là-haut sur les rochers dominant la mer, Madeleine se dit qu’elle pourrait enfin laisser derrière elle un traumatisant passé.
La séquence d’ouverture du Temps d’aimer est sans équivoque. De (rares) images d’archives en noir et blanc trouvées dans des fonds en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, déroulent l’un des temps les plus sinistres de la Libération, celui des femmes tondues pour cause de « collaboration horizontale » avec l’occupant nazi. Si on connaît bien la fameuse image du grand Robert Capa intitulée La tondue de Chartres, la cinéaste a trouvé des documents qu’on ne connaissait pas. Elles montrent, dans toute leur cruauté, des femmes au crâne lisse, houspillées, brutalisées par des vainqueurs au sourire absolument obscène. Bien sûr, l’Occupation fut une période terrible mais, paradoxalement, on est plein de compassion pour ces femmes battues sur le ventre desquelles on trace des croix gammées…
Parce qu’elle fut humiliée et traitée comme une « poule à boches », Madeleine, aussi, fut tondue. Sur son ventre déjà, elle tente d’effacer les traces, non de sa future maternité, mais de l’offense faite par la soldatesque.

La complicité de Madeleine et de François (Vincent Lacoste). DR

La complicité de Madeleine
et de François (Vincent Lacoste). DR

Le point de départ du Temps d’aimer trouve son origine dans l’histoire de la grand-mère de Katell Quillévéré, qui a toujours fait sentir qu’elle avait un secret. La réalisatrice a aussi toujours su, confusément, qu’il ne fallait lui poser aucune question et respecter son silence… Jusqu’à ce que quelqu’un d’extérieur à la famille, en l’occurrence son compagnon, l’a aidée à découvrir la vérité. Elle explique : « Pendant l’Occupation, elle a eu une relation avec un soldat allemand dont elle est tombée enceinte. Elle s’est retrouvée mère célibataire à 17 ans. »
Le scénario du Temps d’aimer, co-écrit avec Gilles Taurand, déjà co-scénariste de Réparer les vivants (2016), intègre également la suite de l’existence de cette grand-mère. Puisqu’elle rencontra son mari, quatre ans plus tard, sur une plage de Bretagne. C’était un homme d’un milieu beaucoup plus aisé que le sien et il l’épousa contre l’avis de sa famille et a adopté son enfant. « Le secret de la vraie paternité de cet enfant, note encore Katell Quillévéré, a été découvert très tard. Ma grand-mère avait plus de quatre-vingts ans et mon grand-père était mort depuis très longtemps. Leur couple et son mystère me questionnera toujours… »
Au-delà de ce point de départ très personnel, la fiction et l’imagination se chargent de la suite de cette chronique intime placée sous le sceau du silence et des non-dits et centrée sur un couple qui décide de s’inventer à deux, de commettre, comme le disait Roland Barthes, une « folie à deux ». Car Madeleine, la « fille-mère » traumatisée et rescapée des horreurs de la guerre, et l’étudiant de bonne famille n’avaient que peu de chances de faire un bout de chemin ensemble. Mais ce sont justement leurs deux mystères qui vont les pousser l’un vers l’autre. Comme si ces deux-là, sur cette plage bretonne, étaient en fuite. Inconsciemment, ils se reconnaissent dans leur part blessée.
Au-de la rencontre de Madeleine et François, Le temps d’aimer va devenir le récit romanesque des jours et des heures d’un couple que tout oppose et qui s’unit, alors que la menace constante d’une catastrophe est là… Qui est ainsi ce jeune type qui vient hurler sa désespérance sous les fenêtres du couple et frapper comme un dément sur la porte du logement ?

Dans la folle atmosphère d'un dancing de Châteauroux. DR

Dans la folle atmosphère
d’un dancing de Châteauroux. DR

Avec Le temps d’aimer, Katell Quillévéré, révélée en 2013 par l’émouvant Suzanne, réussit brillamment à saisir le temps qui passe et l’atmosphère de la seconde moitié du XXe siècle. On le remarque aisément avec l’évolution du personnage de Daniel que l’on voit à 5, à 10 et à 18 ans mais toujours bouleversé par une unique question : qui était son père ? Et ce soldat allemand était-il mort ? Mais on le voit également à travers les pérégrinations du couple Delambre depuis le petit appartement breton jusqu’à un dancing de Châteauroux où Madeleine et François tiennent un dancing très fréquenté par les soldats américains en poste, dans les années 50-60, à la base aérienne de l’US Air Force de la préfecture de l’Indre en passant par Paris où François enseignera à la Sorbonne…
Enfin, le film repose sur la très belle prestation d’Anaïs Demoustier et de Vincent Lacoste. Ils composent un couple qui souffre silencieusement d’une durable frustration et qui ne s’épanouit que dans le sexe. François tombe éperdument amoureux de Madeleine tout en aimant les hommes. Et Madeleine, dans une remarquable séquence de sexe très chorégraphiée et érotiquement forte, va prendre le risque de sublimer leur complicité dans une rencontre charnelle partagée avec Jimmy, un GI’s américain…

François réconforte Daniel, son fils adoptif. DR

François réconforte Daniel, son fils adoptif. DR

Si Anaïs Demoustier est constamment juste dans un personnage de femme toujours prête à se battre, Vincent Lacoste (qui a perdu dix kilos pour tenir son rôle) est simplement poignant. François vit constamment dans la peur, à une époque où l’homosexualité est un délit en France. Dans la scène de la pissottière où il retrouve l’un de ses étudiants, il apparaît dans un état de détresse et d’abandon absolu qui est bouleversant alors qu’il est peut-être enfin lui-même…
Sans que Le temps d’aimer soit réellement un mélodrame, Katell Quillévéré fait cependant référence au grand Douglas Sirk, maître américain du mélodrame flamboyant, et notamment à son film de 1958, A Time to Love and a Time to Die. Il y est aussi question de guerre, d’amour, de mariage, de maternité…

LE TEMPS D’AIMER Drame (France – 2h05) de Katell Quillévéré avec Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste, Morgan Bailey, Hélios Karyo, Josse Capet, Paul Beaurepaire, Margot Ringard Oldra, Ambre Gollut, Sébastien Depommier, Anne See, Eugène Marcuse. Dans les salles le 29 novembre.

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