Aux prises avec une sombre créature

D'Artagnan (François Civil) et Milady de Winter (Eva Green). Photo Ben King

D’Artagnan (François Civil)
et Milady de Winter (Eva Green).
Photo Ben King

J’en appelle à la mort, je l’attends sans frayeur,
Je n’ tiens plus à la vi’, je cherche un fossoyeur
Qui’ aurait un’ tombe à vendre à n’importe quel prix :
J’ai surpris ma maîtresse au bras de son mari,
Ma maîtresse, la traîtresse !

Au début des années soixante, Brassens chantait La traitresse… et se gaussait de cette perfide qui, par un raffinement satanique, moqueur, disait à son endroit que « le plus cornard des deux n’est point celui qu’on croit. » Le grand Georges aurait-il connu la Milady de Dumas revisitée par Bourboulon ? On serait enclin à le croire… Car cette Milady-là cumule noirceur, traîtrise, cruauté, rancune, méchanceté, vices. Comme aurait Audiard, cette intrigante-là est une synthèse.
On l’a deviné, Milady, comme le titre du second volet des Mousquetaires le précise, est au centre du film et au coeur de tous les sales coups qui pleuvent sur D’Artagnan et ses amis. Pire, alors que sa chère et tendre Constance Bonacieux a été enlevée sous ses yeux, le fier bretteur est contraint de s’allier à la mystérieuse Milady de Winter. Et celle-ci parvient quasiment à lui faire perdre pied ! Car c’est bien, ici, l’amour qui est le moteur de l’action. Et quand même un peu le complot contre Louis XIII. C’est pour sauver Constance que D’Artagnan est prêt à tout. C’est bien le dramatique souvenir d’une épouse aimée, marquée au fer rouge puis pendue qui ne cesse de tourmenter Athos. C’est à cause de l’amour qu’Aramis s’inquiète pour sa sœur enceinte et entrée au couvent mais, là, une issue heureuse semble se profiler puisque Porthos, dont le premier épisode nous avait révélé la bisexualité, se propose de convoler…
Si l’on excepte la grande séquence -spectaculaire et bien enlevée- du siège de La Rochelle, ordonné par Louis XIII et commandé par le cardinal de Richelieu, l’essentiel de ce Trois mousquetaires II tourne donc autour de la sulfureuse Milady de Winter.

Les mousquetaires au siège de La Rochelle. Photo Julien Panie

Les mousquetaires au siège de La Rochelle.
Photo Julien Panie

Rappelons que, grâce à l’édit d’Henri IV, La Rochelle, cité de 28 000 habitants dont près de 18 000 protestants, est devenue un haut lieu de la religion réformée en France. Dernière place de sûreté des huguenots, ce port est en relation avec les Pays-Bas, devenus calvinistes, et reçoit, de la mer, l’aide de l’Angleterre. En 1621, la ville portuaire proclame son indépendance, et la constitution d’une Nouvelle République de La Rochelle. Richelieu, principal ministre du roi, craint que cette place forte ne devienne un bastion d’où les protestants pourraient mettre en péril le pouvoir royal et étendre leur influence à l’ensemble du territoire. D’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis iront donc se battre à La Rochelle et le capitaine de Tréville pourra leur lancer un « Mousquetaires, vous êtes soldats pour mourir, je vous emmène là où on meurt » prononcé, dans la réalité historique, en 1884, pendant la guerre franco-chinoise par le général Oscar de Négrier qui, lui, parla de… légionnaires.
Mais on n’en voudra pas à Martin Bourboulon et à ses scénaristes de prendre des accommodements avec l’histoire puisqu’Alexandre Dumas en faisait autant. A cet égard, les auteurs ont ajouté, avec Hannibal, premier mousquetaire noir de l’Histoire en Europe, un personnage fictif au temps de Louis XIII et inspiré de la lecture de Prince ébène, le roman de Fréderic Couderc, paru en 2003.

Milady prend ses ordres chez Richelieu (Eric Ruf). Photo Ben King

Milady prend ses ordres chez Richelieu (Eric Ruf).
Photo Ben King

Avec ce second volet, au ton plus tragique (le premier était, par comparaison, flamboyant) le cinéaste entre dans l’intimité des personnages et développe donc largement celui de Milady, femme bouleversée par un traumatisant évènement dans son histoire. « Là où nous sommes, la mort l’est aussi », dit cette femme lucide quant à son destin et à la marche du monde. Rongée de l’intérieur et fataliste, elle a choisi la part de l’ombre et, telle une guerrière, est capable de séduire et de porter un coup fatal dans le même mouvement… Avec une fière allure, Eva Green incarne une Milady ténébreuse et très caméléon. Derrière une dureté quasi-masculine, sa féminité, telle une arme, lui sert à manipuler ses interlocuteurs, à les séduire (D’Artagnan lutte pour ne pas succomber), les piéger, voire les tuer, parfois…
Enfin, du côté de la lumière dans sa mise en scène, Martin Bourboulon a entendu les observations du public qui trouvait son image trop sombre dans le premier volet… On avait bien « marché » au premier volet qui faisait revivre le charme de nos lectures d’antan. Ici, on se laisse encore prendre même si l’effet de surprise est passé. Mais les Mousquetaires savent toujours se montrer romanesques et François Civil (D’Artagnan) a une belle gueule de héros…

Constance Bonacieux (Lyna Khoudri) au secours de Milady. Photo Julien Panie

Constance Bonacieux (Lyna Khoudri)
au secours de Milady.
Photo Julien Panie

Notamment, en ce qui concerne le sort (funeste?) de Milady, ce second épisode laisse, disons, la porte ouverte. Dans d’immenses écuries anglaises ravagées par les flammes d’un incendie allumé par Milady, cette dernière croise le fer avec D’Artagnan avant de disparaître dans la fournaise. Pour sa part, Athos doit constater, de retour à son château de la Fère, que son jeune fils Joseph a été enlevé…
On a compris qu’en cas de succès de ce second volet (le premier avait réuni plus de trois millions de spectateurs dans les salles), ces deux films pourraient être suivis de l’adaptation de Vingt Ans après et du Vicomte de Bragelonne, les romans de Dumas qui faisaient eux-mêmes suite aux Trois Mousquetaires, a priori sous la forme de deux autres films autour des Trois Mousquetaires qui feront le lien avec Vingt Ans Après et Le Vicomte de Bragelonne
En attendant, les producteurs de la saga ont déjà un autre fer au feu avec l’adaptation à gros budget de Dumas, consacrée cette fois au Comte de Monte-Cristo. Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière (auteurs, en 2012, du Prénom, gros succès avec 3,3 millions d’entrées) signent le scénario et la réalisation. Sortie en salles prévue le 23 octobre 2024.

LES TROIS MOUSQUETAIRES II – MILADY Aventures (France – 1h54) de Martin Bourboulon avec François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Marmaï, Eva Green, Louis Garrel, Vicky Krieps, Lyna Khoudri, Jacob Fortune-Lloyd, Marc Barbé, Eric Ruf, Patrick Mille, Julien Frison, Ralph Amoussou, Camille Rutherford, Alexis Michalik. Dans les salles le 13 décembre.

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